Liamine Zeroual met un terme aux spéculations autour de sa candidature à la prochaine élection présidentielle et rappelle que «en décidant, en toute liberté, de renoncer définitivement à ma carrière politique, j'ai estimé qu'il était temps que l'alternance se concrétise (...)». Dans le long communiqué que Liamine Zeroual a adressé hier à quelques rédactions de journaux, l'on ne sent ni animosité, ni esprit revanchard encore moins le caractère d'une attitude de trouble-fête. Le président de la République qu'il a été ne semble à aucun moment avoir regretté de ne plus l'être. C'est certainement pour montrer qu'il assume parfaitement ce choix qu'il a fait en quittant le palais d'El Mouradia en 1999, qu'il a tenu à rendre publique cette longue mise au point. Ainsi, compte-t-il mettre un terme à propos de ce qui s'est dit ces derniers temps sur sa candidature à l'élection présidentielle d'avril prochain. «Tout récemment quelques titres de la presse nationale ont rapporté l'information selon laquelle ma probable candidature à la prochaine élection présidentielle était non seulement envisageable mais assortie de certaines conditions, qu'il me paraît être inopportun, voire inélégant, de citer dans le présent communiqué.» Comme entrée en matière, Zeroual reconnaît avoir reçu «de nombreux citoyens, de différentes régions du pays (...) qui lui ont offert la courtoise opportunité de m'entretenir avec eux sur un sujet en rapport avec la prochaine élection présidentielle dont ils estimaient l'importance acquise et la perspicacité évidente.» Il tient à affirmer qu'il a été «très touché par toutes ces marques de confiance et ces innombrables élans de sympathie à l'endroit de mon humble personne». A l'ensemble de ces citoyens, il dit «adresser l'expression de mes plus vifs remerciements et les assurer de ma perpétuelle gratitude car profondément convaincu que leur démarche procède de ce légendaire esprit patriotique de l'Algérien et de sa fabuleuse prédisposition à s'assumer dès lors qu'il s'agit de défendre une cause en laquelle il croit». Ceci pour le préambule. «Le rétablissement de la sécurité des personnes et des biens» Pour aller au fond des choses qu'il veut expliciter, l'ancien président de la République commence par souligner que «pour des raisons que j'estime être suffisamment objectives pour convaincre, je me dois de rappeler, et ce en conformité avec l'esprit de mon discours du 11 septembre 1998 et de mon communiqué de presse du 06 janvier 2004, quelques idées-forces s'y rapportant pour lever toute équivoque quant à mon appréhension de la pratique démocratique, mon approche de l'exercice de l'acte politique et ultimement ma perception de l'intérêt supérieur de l'Algérie». C'est comme si l'homme voulait faire comprendre une fois pour toutes que l'on ne badine pas avec la chose politique. Il s'oblige à une rétrospective pour préciser exactement ce qui l'a poussé à accepter d'être propulsé à la tête de la présidence de la République dans une conjoncture de profonde déstabilisation. «C'est dans des circonstances exceptionnelles et particulièrement difficiles que j'ai accepté de prendre en charge les affaires de l'Etat en 1994 avec un certain nombre d'objectifs, tous essentiels de mon point de vue, pour le redressement du pays.» De ces objectifs, il met en avant «le rétablissement de la sécurité des personnes et des biens» et le fait suivre par «la mobilisation citoyenne de toutes les forces vives de la nation, la restauration de l'édifice institutionnel, la relance de la dynamique du développement économique et social et enfin redonner à l'Algérie la place qui est sienne dans le concert des nations». «Une lutte vigoureuse et déterminée contre la violence» Zeroual explique que «le rétablissement de la sécurité des personnes et des biens avait exigé d'engager une lutte vigoureuse et déterminée contre la violence qui s'installait sous la forme d'un terrorisme sauvage dont le but n'était autre que la déstabilisation de l'Etat républicain et la destruction du potentiel économique du pays». Il est utile de rappeler que Liamine Zeroual a pris les règnes du pays dans des moments tragiques et de grande tourmente. Il a tenu lui-même à les décrire. «L'assassinat de milliers de citoyens, d'agents de l'Etat, d'hommes de culture et de lettres, qui procédait de cette même logique de destruction, visait également à vider la société algérienne de sa substance vivifiante et de sa sève nourricière.» Il estime que «l'exigence d'engager une lutte rigoureuse et déterminée contre la violence» était «assumée et partagée par la quasi-majorité des citoyens et citoyennes», et «avait permis à l'Algérie de se sauvegarder et de renouer avec la confiance en soi». Notés chronologiquement, les faits auxquels l'ancien président de la République se réfère s'imposent comme une mise au point à l'intention de ceux qui ont oublié que le combat contre le terrorisme ne date pas de la dernière décennie. D'ailleurs, Zeroual ne manque pas de souligner que la mobilisation de tous autour du rétablissement de la sécurité avait bien donné ses fruits. «Cette confiance qui s'est confortée par le retour de milliers d'Algériens au sein de leurs familles au titre des mesures de clémence «loi sur la Rahma» avait démontré que la voie empruntée par beaucoup de jeunes Algériens crédules était une impasse sans issue aucune», écrit-il. Mais ce n'était toujours pas suffisant pour le retour définitif de la paix. Parce qu'affirme-t-il «le redressement du pays exigeait la mobilisation non seulement des forces armées mais également celle citoyenne de toutes les forces vives de la nation pour venir à bout de cette hydre terroriste qui n'a cessé d'attenter au caractère sacré de la vie humaine et d'endeuiller l'Algérie chaque jour davantage, mettant en péril sa cohésion sociale». «C'est justement dans ce cadre de concertation privilégié...» L'ancien chef de l'Etat explique ainsi que «c'est dans cet esprit que le dialogue fut engagé, entretenu et consacré comme cadre de concertation privilégié avec tous ceux et celles parmi les Algériens et Algériennes qu'interpellait le devenir de l'Etat-Nation, l'Algérie». Et pour lui «c'est justement dans ce cadre de concertation privilégié que s'est organisée l'élection présidentielle en 1995 et que s'est tenue en 1996 la conférence de l'entente nationale, dont les travaux furent couronnés par l'adoption, en sus de la déclaration finale, des textes relatifs aux avant-projets de l'amendement de la Constitution, de la loi organique relative aux partis politiques et de la loi organique relative au code électoral». Pour l'histoire, l'élection présidentielle de Zeroual en 1995 a connu un véritable raz de marée parce qu'elle était considérée comme étant un pas important pour le retour de la paix. Ce n'est pas pour rien que Zeroual s'impose toutes ces haltes. Il doit vouloir convaincre que la gestion de l'Etat n'est pas une mince affaire encore moins l'affaire d'une seule personne. Elle oblige particulièrement à l'instauration d'un cadre de concertation le plus large possible. L'amendement de la Constitution étant inscrit par les soins de l'ancien président de la République dans ce cadre, relever le sous-entendu qu'il n'a pas dû apprécier la manière avec laquelle le président Bouteflika a procédé à la dernière révision de la loi suprême du pays, ne vaut même pas la peine. Pour convaincre de la nécessité de la concertation dans tout ce qui concerne la gestion des affaires de l'Etat, Zeroual dit aussi que «c'est dans ce même cadre que fut également adopté le calendrier de tenue des élections législatives et locales». Il précise d'ailleurs que «cette adhésion participative de la quasi-majorité des acteurs de la vie nationale avait permis à l'Algérie de surmonter de grandes difficultés et d'aller de l'avant pour envisager d'autres conquêtes bien plus précieuses». La réalisation des objectifs qu'il s'était fixés a, estime-t-il, «constitué sans aucun doute un tournant majeur dans la résolution de la tragédie qu'a endurée notre nation». «L'Algérie a pu faire un retour mérité sur la scène internationale» Il en vient au plan économique et social et à la question de la relance de la dynamique du développement à propos de laquelle il dit qu'elle était «au coeur de l'œuvre de redressement national et de toutes les préoccupations, elle était celle qui avait le plus d'importance car il y allait du devenir même du pays». Il estime que «la signature des accords avec le Fonds monétaire international avait permis à l'Algérie de contourner la situation de quasi-cessation de paiement à laquelle elle s'était retrouvée confrontée, pour des raisons antérieures à cette période et avait pu, avec le concours de cadres algériens intègres et compétents, surmonter une situation des plus périlleuses pour notre pays». A ce sujet, Zeroual adopte aussi un ton sobre. Il précise que «c'est par cette voie, incontournable à l'époque, que pouvait s'entrevoir et se projeter la relance de la dynamique de développement national». Et que «l'austérité était de fait devenue une règle de conduite nationale avec laquelle il ne fallait aucunement transiger mais œuvrer de manière à atténuer au maximum les effets de la crise sur le niveau de vie des citoyens qui constituait tout également une préoccupation permanente». A propos de l'évolution de l'Algérie sur le plan extérieur, l'ancien président écrit: «malgré son esseulement face à une crise multidimensionnelle des plus redoutables depuis l'indépendance nationale, l'Algérie peut aujourd'hui s'enorgueillir de s'être dignement comportée hier.» Pour lui, «l'Algérie n'avait en rien entamé ses positions de principe sur les grandes questions internationales. C'est en comptant essentiellement sur ses propres capacités et ses potentialités intrinsèques que l'Algérie a pu faire un retour mérité sur la scène mondiale.» «La notion d'homme providentiel à laquelle je n'ai jamais cru» C'est pratiquement à ce niveau d'évolution des affaires de l'Etat que Liamine Zeroual a préféré quitter son siège de président de la République. Un niveau qui oblige l'Algérie à, comme il l'écrit, «se tourner résolument vers l'avenir et de souscrire à une phase nouvelle empreinte d'une pratique démocratique réelle et d'un exercice sain de l'acte politique». Après avoir dressé le bilan de son action à la tête de la présidence de la République, Zeroual tient à donner sa vision «d'un authentique Etat de droit (qui) doit nécessairement reposer sur des institutions fortes parce qu'étant elles-mêmes l'émanation de la volonté populaire librement exprimée». Il explique que «oeuvrer à réaliser cet objectif suprême demeure, de mon point de vue, la condition incontournable à satisfaire pour que la notion d'intérêt suprême de l'Algérie soit le coeur battant de toute décision qui viendrait à engager l'avenir du pays et le devenir de la nation». Zeroual termine son communiqué par des précisions importantes. «Tout en renouvelant le témoignage de mon profond respect et celui de mon immense estime à l'ensemble des citoyens qui ont sincèrement voulu susciter ma candidature à la prochaine consultation électorale, je voudrai saisir cette opportunité pour rappeler à l'opinion publique algérienne que ma décision annoncée le 11 septembre 1998 d'organiser une élection présidentielle anticipée ne résultait pas d'une manoeuvre politique ou d'une pression quelconque, interne ou externe, comme elle n'était pas dictée par l'accumulation de difficultés insurmontables». Il souligne que la décision qu'il avait prise à cette époque «rejoignait en fait ma profonde conviction qu'une démocratie ne saurait s'établir véritablement et s'ancrer sans donner une chance à l'alternance au pouvoir et qu'un développement économique équilibré et bénéficiant à toutes les couches de la société ne saurait être durable en dehors de la pratique effective de la démocratie et sans le strict respect de la volonté populaire». Son propos de la fin est précis, clair et sans appel. «En décidant, en toute liberté, de renoncer définitivement à ma carrière politique, j'ai estimé qu'il était temps que l'alternance se concrétise afin d'assurer un saut qualitatif à nos mœurs politiques et à la pratique de la démocratie, tant était loin de ma conception la notion d'homme providentiel à laquelle je n'ai jamais cru.»