Au moment où Barack Obama se prépare pour son investiture, il semble judicieux de réfléchir à un passage de son livre «Les rêves de mon père», qui en dit long sur la façon dont il envisage les problèmes mondiaux. Barack Obama est au Kenya et veut faire un safari. Sa sœur kenyane Auma lui reproche de se comporter en néocolonialiste : « pourquoi toutes ces terres devraient servir aux touristes au lieu d'être cultivées ? Ces wazungu se soucient plus d'un éléphant mort que d'une centaine d'enfants noirs ». S'il finit par faire un safari, Obama n'a pas de réponse à cette question. Faisons le parallèle entre cette anecdote et les préoccupations liées au réchauffement planétaire. Pour bon nombre de personnes - y compris le nouveau président américain -, le réchauffement planétaire est prioritaire, et réduire les émissions de CO2 est ce que l'on peut accomplir de mieux à l'heure actuelle. Pour filer la métaphore, disons que cette vision des choses revient à construire des parcs safari toujours plus vastes au lieu de créer des fermes supplémentaires pour nourrir ceux qui ont faim. Ne vous méprenez pas : le réchauffement climatique est bien réel, et on le doit au CO2 émis par l'homme. Le problème, c'est que même une réduction radicale et très coûteuse de ces émissions à l'échelle mondiale n'aura quasiment aucun impact sur les températures avant 2050. Au lieu d'envisager des mesures coûteuses et inefficaces, concentrons plutôt nos bonnes intentions climatiques sur d'importantes augmentations dans la recherche et le développement d'énergies propres, qui amélioreront la situation climatique à moindre coût. Plus important encore, le réchauffement ne fait qu'exacerber les problèmes existants de la majorité des populations - problèmes que nous ne prenons pas au sérieux aujourd'hui. Prenons l'exemple du paludisme. Selon des études, le réchauffement planétaire augmentera l'incidence du paludisme d'environ 3 % d'ici la fin du siècle, puisque la hausse de température est propice à la survie des moustiques. Toutefois, le paludisme est plus étroitement lié aux infrastructures de santé et à la richesse globale qu'aux températures. Il est rare que les riches contractent le paludisme et y succombent, contrairement aux pauvres. De fortes réductions des émissions de carbone permettraient de réduire l'incidence du paludisme d'environ 0,2 % en un siècle. Les innombrables partisans de ce type d'action font beaucoup de bruit et sont généralement issus de pays riches, non touchés par le paludisme. Relativement simple et peu coûteuse, l'autre solution consiste à donner la priorité à l'éradication du paludisme, notamment par la distribution à grande échelle de moustiquaires imprégnées d'insecticide, par un traitement préventif pour les femmes enceintes, par l'utilisation accrue du pesticide DDT souvent décrié et par un soutien financier aux nations pauvres qui ne peuvent se payer les meilleures thérapies nouvelles. Pour éradiquer quasi totalement le paludisme, il suffit d'un sixième de ce que coûte le protocole de Kyoto. Précisons que pour chaque personne sauvée du paludisme par la réduction des émissions de CO2, les politiques directes de lutte contre le paludisme en sauvent 36 000. Certes, les mesures de réduction des émissions de carbone ne sont pas conçues pour combattre le paludisme, cependant pour chaque fléau aggravé par le réchauffement planétaire - ouragans, famines, inondations -, nous pourrions faire bien plus aujourd'hui grâce à des politiques directes et moins coûteuses. Par exemple, des digues suffisamment solides et de meilleurs services d'évacuation - et non de plus faibles émissions de carbone - auraient permis de réduire les dégâts causés par l'ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans. Durant la saison des ouragans de 2004, Haïti et la République Dominicaine, sur la même île, nous ont donné une leçon éloquente : la République Dominicaine, qui a investi dans des abris anti-ouragans et dans des réseaux d'évacuation d'urgence, a déploré moins de 10 victimes ; alors qu'en Haïti, où les politiques de ce type font défaut, le bilan est de 2000 victimes. A tempête équivalente, les Haïtiens couraient 100 fois plus de risques de mourir que les Dominicains. L'élection de Barack Obama a fait naître l'espoir d'un engagement considérable pour la réduction des émissions de carbone et de vastes dépenses dans les énergies renouvelables pour sauver le monde, en particulier les nations en développement. Comme pourrait en témoigner la soeur kenyane d'Obama, cette faveur risque de s'avérer coûteuse. D'aucuns sont d'avis qu'Obama devraient suivre l'exemple de l'Union européenne, qui s'est donné pour objectif ambitieux de réduire de 20 % en 12 ans ses émissions de carbone, par rapport à celles de 1990, grâce aux énergies renouvelables. Cette seule ambition coûtera probablement plus d'1 % du PIB. Même si le monde entier suivait cet exemple, la démarche n'aurait pour impact net qu'une réduction d'un vingtième de degré Fahrenheit d'ici la fin du siècle, pour un coût prodigieux de 10 milliards de milliards de dollars. D'aucuns espèrent qu'Obama proposera le financement de panneaux solaires, à l'instar de l'Allemagne. Cela voudrait dire que tout individu, même le plus pauvre, paiera des impôts pour que les bénéficiaires, généralement riches, puissent se sentir « écolos ». Pourtant, il importe de noter que les 120 milliards d'euros environ dépensés par l'Allemagne ne retarderont le réchauffement que d'une heure à la fin du siècle. Pour 1/5 de ce coût, nous pourrions fournir des micros nutriments essentiels à 2-3 milliards de personnes, donc peut-être éviter un million de victimes et rendre la moitié et de la population mondiale physiquement et mentalement plus forte. Une fois encore, il semblerait que nous préférions le luxe douteux d'un parc safari supplémentaire plutôt que les avantages concrets d'une ferme. La plupart des prévisions économiques indiquent que le coût total du réchauffement représentera environ 3 % du PIB à la fin du siècle. Certes, ce pourcentage n'est pas négligeable, mais ce n'est pas la fin du monde. D'ici 2100, les Nations unies prévoient que nous serons en moyenne plus riches qu'aujourd'hui de 1 400 %. Un jour, un safari a été source de questionnement chez le futur président américain, auquel il n'a pas trouvé réponse : pourquoi les riches accordent-ils plus d'importance aux éléphants qu'aux enfants africains ? Voici la version actuelle de cette question : pourquoi les pays riches consacrent-ils des sommes indécentes à une lutte contre le changement climatique qui ne produira quasiment aucun effet dans un siècle, alors que nous pourrions accomplir bien davantage pour l'humanité aujourd'hui, à moindre coût ? Le monde guettera la réponse de Barack Obama. Traduit de l'anglais par Magali Adams ------------------------------------------------------------------------ *Professeur adjoint à la Copenhagen Business School, il est l'organisateur du Consensus de Copenhague.