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Le sport entre «Modernité» et «Authenticité» dans la Péninsule Arabe
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 30 - 03 - 2009

Ce travail s'appuie sur la 15e édition des Jeux Asiatiques qui se sont déroulés dans la capitale du Qatar, Doha, en 2006. Le Qatar était le premier pays arabe et le premier du Moyen-Orient à avoir organisé les Jeux Asiatiques. Ces jeux étaient les plus grands dans l'histoire de cette manifestation en termes de moyens (US$ 2,8 milliards), du nombre de pays participants (45), du nombre de sports représentés (40), du nombre de volontaires (45.000), et de transmission télévisuelle (2.000 heures), pour une audience cumulée de 1,5 milliard d'habitants.
Dans cet article, nous examinerons les discours politiques autour de ces jeux, et plus précisément de l'importance et de l'impact de ces jeux sur la région en général et sur le Qatar en particulier.
Le discours politique qui a accompagné les Jeux Asiatiques organisés au Qatar a été employé comme un moyen par les Qataris pour présenter les nouvelles mutations que leurs nation ainsi que toute la région du Golfe sont en train de vivre.
Pour une meilleure compréhension de cette question, il est important de ne pas la traiter indépendamment de son contexte géostratégique.
* Sur le plan international : l' impact indirect du Nouvel ordre mondial qui décrète le triomphe du libéralisme et l'hégémonie américaine.
* Sur le plan régional : les guerres du Golfe et l'annonce de la fin (présumée) du régime baathiste en Iraq et la fin du projet panarabe pour la création d'un Etat arabe uni (remplacé par le projet américain du Grand Moyen-Orient). L'idéologie baathiste a été présentée comme l'ennemi principal des monarchies arabes et la source de l'instabilité politique dans la région.
* Sur le plan national : la flambée des prix du pétrole a donné à la région un boom économique sans précédent (avant l'annonce récente de début de la crise économique mondiale). Les pays du Golfe se battent aujourd'hui pour leur modèle d'ordre social contre un certain nombre de questions : la question des minorités (religieuses et ethniques), le maintien de la légitimité religieuse et historique des familles royales, la régulation des flux migratoires, les conditions socio-économiques des travailleurs étrangers.
Définir la modernité tardive
Certains auteurs comme Giddens et Beck, par exemple, font valoir que si les sociétés contemporaines restent essentiellement modernes, les développements tels que la croissance de la communication globale et des marchés mondiaux ont considérablement transformé leur nature. Ils utilisent des termes comme la crise de la modernité ou la modernité réflexive pour décrire ce changement.
Habermas parle lui du projet inachevé de la modernité. Alain Touraine utilise le concept de dé-modernisation, caractérisé selon lui par deux mouvements (anti-moderniste et contre l'émergence du sujet) : la culture de masse, d'une part, et l'obsession de l'identité, de l'autre. Derrida a évoqué (après le 11 Septembre) une modernité malade.
Selon Derrida, ce n'est pas que le projet des Lumières n'a pas abouti comme projet intellectuel, mais que son attitude critique envers l'histoire se perd, ouvrant la voie à la barbarie politique.
Arkoun situe la crise de la modernité comme crise ou trouble sémantique provoqué par ce qu'il a décrit comme la modernité matérialiste et le triomphe de la raison télé-techno-scientifique.
Il dit : «J'ai donné des conférences et j'ai dû répondre à tous les types et niveaux d'opposition, de rejet, mélange confus de croyances subjectives, idéologiques et des représentations irrationnelles présentées comme des connaissances indiscutables et vérifiées».
Appadurai annonce, quant à lui, dans son ouvrage sur la géographie de la colère (après le 11 Septembre), que la certitude que des peuples distincts et singuliers prospèrent sur des territoires nationaux bien définis, dont ils ont le contrôle, a été absolument déstabilisée par la fluidité globale des richesses, des armes, des peuples et des images.
En considérant ces différents débats philosophiques sur la « modernité tardive », il est nécessaire aujourd'hui, dans notre réflexion sur le sport moderne comme phénomène social complexe (moral, juridique, politique, esthétique, morphologique, mental, corporel et matériel) dans le contexte arabo-musulman, d'appliquer de nouveaux outils d'analyse et de cadres méthodologiques afin de se libérer (1) de la pensée ou de la «vision» occidentale (hégémonique) sur le reste du monde, y compris le monde musulman, et (2) de la critique essentialiste localiste-provinciale, y compris musulmane, de l'Occident.
Nous faisons une distinction entre mondialisation (ou globalisation) et mondialisme (ou globalisme). Le premier est utilisé dans le sens des échanges culturels entre le global et le local, et le second dans le sens de «la fin de l'histoire» et du triomphe du libéralisme.
Nous faisons la différence, aussi, entre l'application ou l'interprétation locale de la modernité, dans le sens de l'engagement scientifique et intellectuel pour le progrès de l'humanité, et le localisme, qui réduit la résistance aux tendances mondialistes par une polémique anti-occidentale.
Les pays du Golfe : un projet de modernisation par le haut ?
Dans un effort de diversification des revenus de l'Etat par le développement et la promotion d'autres secteurs comme le tourisme, les services et autres activités non-hydrocarbures et aussi pour répondre aux pressions internationales politiques et économiques pour l'adoption des règles de l'économie libérale de marché, une nouvelle politique de contrôle des réformes économiques et des réajustements structurels sont en cours. Cela s'opère au niveau du Conseil de Coopération des pays du Golfe (CCG) et dans les différents Etats. D'énormes investissements sont faits aujourd'hui dans le parrainage de conférences internationales et d'expositions d'art et de commerce. Le but est de présenter la péninsule Arabique comme un nouveau marché «ouvert» et «libéral» et une destination (a must go) pour les touristes et les hommes d'affaires. Pour certains (les optimistes), c'est un réel signe de progrès et d'ouverture des sociétés du Golfe à la «modernisation» et à l'intégration des normes de la culture et de l'économie mondiale. L'autre aspect de cette libéralisation est perceptible dans les médias et les espaces culturels. Tirant profit des opportunités offertes par les technologies de transmission numérique par satellite et la migration sélective des journalistes et techniciens des médias dans la région, Dubaï, Doha et Abou Dhabi sont devenus des centres de l'industrie des films, de la musique et du divertissement. Défiant la position historique (dominante) du Caire et de Beyrouth dans la production de la culture arabe de musique, de cinéma et de littérature. En plus de réformes économiques libérales, les pays du Golfe sont aujourd'hui engagés dans un projet de réformes politiques «contrôlées».
Dans le domaine du sport, des gros investissements sont effectués dans les pays du Golfe pour les événements sportifs et la construction d'infrastructures sportives. L'investissement dans le sport va au-delà de l'espace national pour y inclure le parrainage des grands événements régionaux tels que les Jeux Panarabes et les manifestations sportives internationales (le sponsoring de la compagnie Emirates Airlines de la Coupe du monde de football 2006 en Allemagne ainsi que le stade d'Arsenal, Bahreïn International, un circuit PH, et pour bientôt à Abu Dhabi, ou le récent take over de Abu Dhabi United Group de Manchester City). Le but est d'établir la réputation d'un leader mondial et d'une destination privilégiée pour les événements sportifs quant aux aspirations des gouvernements dans les pays du Golfe. En termes de stratégies de développement du sport, l'objectif est de promouvoir le sport chez les jeunes et d'accroître le niveau de performance des élites sportives nationales (ou naturalisées) dans des compétitions internationales. Parallèlement à la stratégie de développement, des efforts sont réalisés dans le maintien, sous le parrainage de familles royales, d'une tradition «authentique» de culture sportive. Par exemple, les courses de chameaux, de fauconnerie, qui symbolisent l'affection des familles royales pour l'identité arabe «authentique».
L'espace médiatique arabe est témoin d'une augmentation significative du nombre de chaînes sportives (ART Sport, Al-Jazeera Sport, AbuDhabi Sport, Dubai Sport, Saudi Sport, Showtime) qui sont en compétition féroce pour la diffusion des championnats anglais, italien, espagnol, allemand et français, et d'autres événements sportifs internationaux.
Il y a aussi l'exemple de ART Sport qui sponsorise et qui contrôle la retransmission des matches de Arab champions League (et qui contrôle aussi les droits pour l'Afrique du Nord et le Moyen-Orient des prochaines coupes du monde de football de 2010 et 2014). Un autre domaine intéressant dans la région, qui a besoin de davantage de recherche, est le flux important d'athlètes et d'entraîneurs étrangers.
Qatar, un modèle émergent d'un Etat monarchique libéral ?
Ayant acquis une réputation favorable au fil des années, le Qatar fait la promotion de lui-même comme d'un lieu idéal pour les événements internationaux.
Cette politique de marketing pour une meilleure visibilité internationale a pris un virage important dans l'organisation du sommet de l'OMC en 2001. Il convient toutefois de noter que la position du Qatar face a la mondialisation n'est pas toujours celle de l'assimilation et de l'acceptation passive.
En parrainant la chaîne Al-Jazeera et la première Conférence mondiale en 2005 (un an avant les Jeux Asiatiques) de la mobilisation pacifique contre les invasions - contre l'intervention américaine dans les affaires internes des pays arabo-musulmans, considérée comme une attaque contre la souveraineté nationale - sont des exemples du rôle du Qatar en tant que participant actif dans la mondialisation. Il est également destiné à réaffirmer ses liens solides avec les causes arabes et islamiques. Le sport peut être considéré comme le moyen par excellence pour la promotion du nouveau Qatar sous la direction de Cheikh Hamad Khalifa. A cette fin, des Jeux Continentaux et des Championnats du monde sont organisés.
Il est vrai que, juste en regardant le large éventail d'installations sportives, le Qatar peut être aujourd'hui vu comme une destination lucrative pour les fédérations internationales et les athlètes professionnels à la recherche de nouveaux marchés. Des thèmes tels que la haute technologie, l'immensité et les symboles architecturaux du nouveau projet de modernisation du Qatar sont représentés dans le projet Aspire financé par le gouvernement, l'Académie des sports Excellence à Doha. L'académie vise à «développer les athlètes les plus talentueux de la région, dans le but de les transformer en sportifs de classe mondiale ». La recherche de «prestige national», qu'une victoire dans une compétition internationale ou régionale peut procurer, a pris une autre dimension avec la naturalisation d'athlètes d'Afrique et d'Europe de l'Est. Mais, le sport qui bénéficie le plus de l'afflux d'argent, est bien sûr le football. En effet, c'est un sport très populaire parmi les familles royales du Golfe. En 2006 déjà, une quarantaine de millions d'euros ont été injectés dans le développement du football au Qatar et la signature d'entraîneurs étrangers et de stars du football mondial. Certaines des catégories qui sortent de l'analyse narrative du contenu des médias (communiqué de presse du Doha Asian Games Organising Committee - DAGOC - et des journaux en ligne), sur les motivations et justifications de la famille royale et des décideurs politiques au Qatar pour l'organisation des Jeux Asiatiques, sont les suivantes :
- Les liens du Qatar avec la tradition arabe d'hospitalité et de générosité
- Le Qatar comme l'un des pays leaders de la région
- Le respect du Qatar des différences culturelles et le Qatar en tant que point de rencontre entre l'Orient et l'Occident
- La reconnaissance du Qatar à l'échelle mondiale en tant que nouveau centre du sport d'élite dans la région et au niveau mondial
- La créativité de la nation qatarienne et sa contribution à l'histoire du sport en Asie
- L'adhésion du Qatar aux valeurs universelles de démocratie, de solidarité et des droits de l'homme
- L'égalité entre les sexes (augmentation de la participation des femmes, l'inclusion dans des postes de direction).
Conclusion
Le sport, dans ses multiples formes, est devenu un moyen privilégié permettant aux décideurs des pays du Golfe de repositionner leurs nations dans la nouvelle carte géostratégique. Cette utilisation contemporaine du sport peut être en grande partie expliquée par le débat théorique sur la modernisation (ou de modernité tardive), comme moyen pour ces pays de se bâtir une nouvelle identité. Pour le Qatar, un modèle émergent d'un Etat monarchique libéral qui a su trouver le bon équilibre entre, d'une part, «l'efficience occidentale», symbolisée par un management efficace des grandes manifestations sportives, et, d'autre part, «l'authenticité» de la culture arabe. Les questions sur les futurs défis que les pays du Golfe devront faire face sont :
- Combien de temps les résultats de cette stratégie marketing ou l'intérêt notable des médias pour la région continueront-ils ?
- Plus important encore, combien de temps ces justifications (attirer les touristes, les investissements étrangers) dureront-elles ?
- Premier test d'»efficacité» auquel le gouvernement qatari et le Comité national olympique devront faire face, est la pleine utilisation et l'entretien des infrastructures sportives de l'après-Jeux Asiatiques (le Qatar organisera la prochaine Coupe asiatique de football en 2011, et il est déjà officiellement candidat pour la Coupe du monde de football de 2022).
* Dr Amara Mahfoud, Maître de conférences en management et politiques du sport
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N.B : Cet article a été récemment présenté a l'occasion du colloque Internationale organisé par Institut d'Education Physique et Sportive, l'université d'Alger, à Tipaza 1 et 2 Mars 2009. Pour une version plus complète de l'article voir : Amara. M (2007), 2006 Qatar Asian Games: A 'Modernization' Project from Above?, in Hong, F. (ed.) Sport, Nationalism and Orientalism: the Asian Games, (Series: Sport in the Global Society), Routledge, pp.89-110.


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