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Opinion: Oran, la ville malade
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 04 - 04 - 2009

S'il faut mener une réflexion sur la ville de quelque part, il me semble qu'il serait judicieux de commencer par la question suivante : que penser de sa ville et comment l'observer ?
Une question comme celle-ci suppose que nous avons besoin d'un cas pour constater, et le meilleur cas qui se présente à nous est celui d'Oran.
En ce sens, si j'ai souvent qualifié Oran d'exceptionnelle, cette qualification ne vient pas cependant de moi. Je la reprends de Denis Grandet, qui a enseigné au département d'architecture d'Oran. Sont nombreux nos architectes qui ne le connaissent pas ou qui l'ont tout simplement oublié.
Pour ce qui me concerne, l'ayant connu à travers quelques textes de lui, je dirai avec un peu d'audace que Grandet est à Oran ce que Deluz est à Alger. Ils sont les serviteurs d'une mémoire urbaine et architecturale qu'ils ont tentée de sauver comme ils peuvent, avec les moyens de bord et sans avoir froid aux yeux.
Ceci étant dit, il est regrettable de constater que nous n'ayons pas, comme eux, la plume prolifique, afin de conter par nous-mêmes nos villes. Que la témérité de dire, de dénoncer, de raconter soit en nous une vocation refoulée. Car, une ville a besoin d'être exposée, portée par des verbes simples, investie, inventée et réinventée par des pensées et des actes sincères, qui mettent le moins possible en péril ce côté vrai de son histoire, l'histoire de tous et de chacun.
L'histoire est à une ville ce que l'âme est au corps. Chaque rue, chaque arbre, chaque pierre, chaque pavé est une histoire, un témoignage précieux, l'indice d'une mémoire, qu'il faut savoir manier, bouger, toucher, et ausculter avec beaucoup d'amour et de douceur.
Oui, une ville n'est rien sans histoire. Cette dernière nous aide à valoriser les espaces négligés (Sidi El-Houari), quand même la spéculation est coriace, féroce et vorace.
Un coup de peinture ne règle pas les conflits de mémoire et le souci de conserver.
Un mur noirci, tagué, délabré mais entretenu, est aussi vivant que des barres métalliques qui transforment nos immeubles de pierres en prison. Peindre une pierre est un crime. L'autre forme de crime est de fermer des édifices aussi monumentaux que l'ancienne préfecture au grand public.
Le potentiel de notre ville est là.
Cependant, la gestion sincère, engagée et honnête ne suit pas.
A notre grand dam, nous constatons qu'au moment même où le monde développé tente de réussir ses retrouvailles avec des valeurs sûres : encourager la marche et l'utilisation de la bicyclette, l'insertion de la verdure, ménager le patrimoine de la pollution de la voiture, nous continuons encore à faire, avec beaucoup de maladresse, des rues à la manière de celui qui découvre les possibilités de leur faisabilité pour la première fois, des boulevards ratés, et à fabriquer des universités isolées du milieu urbain, comme si le savoir n'avait pas à avoir lieu dans la ville.
Cette même ville, qui souffre de l'absence injurieuse de la culture, doit aussi supporter sa privation du savoir et de leurs lieux de production.
Une politique qui perdure depuis l'indépendance et qui recrée malgré les moyens dont dispose l'Algérie, aujourd'hui, le spectacle de la ville malade. Manque d'entretien, projets médiocres, irrespect du caractère propre des sites historiques, infrastructures importantes en déphasage avec les réalités économiques et sociales (cet élément nous rappelle le décalage entre la forte dégradation de la ville ancienne de Barcelone du dix-neuvième siècle et l'essor industriel que cette même ville connaissait).
Toutefois, Oran n'est pas que désordre, elle continue à se faire de façon très désordonnée. Les chantiers, qui parsèment l'environnement urbain de toute part, renforcent le caractère inachevé et émietté d'Oran. En ce sens, nous sommes les grands partisans de la contradiction.
Tandis que le Président de la République appelle à la pratique du développement durable, les projets en cours nuisent de façon grave à l'environnement.
Mais que peut faire le Président de la République, en l'absence d'hommes comme ‘Malraux', amoureux de la culture, du patrimoine et de la ville, sans lesquels Oran est condamnée « à languir », pour ne reprendre que quelques propos de Lamoricière au cours du dix-neuvième siècle ? Et que l'on ne me dise pas que Lamoricière est un criminel qu'il ne faut pas citer, car ce qui m'intéresse, chez cet homme, est son rôle d'urbaniste que je suis peut-être le seul, si ce n'est pas le premier après René Lespès à évoquer.
J'ai bien dit, dans un article précédent, que si Paris a son Haussmann (et Napoléon), Casablanca son Prost (et Lyautey), Oran a son ingénieur Aucour (et le général Lamoricière).
Toutefois, ce qui me fait sourire dans cette histoire, pour ne pas dire la fausse attitude réactionnaire de certains, c'est qu'ils se permettent d'aduler l'oeuvre de Haussmann qui est pourtant issue d'une volonté répressive. C'est parce qu'ils ne se sentent pas concernés par l'injustice qui a chassé les pauvres Parisiens de l'époque du centre ; que cela faisait partie d'une stratégie politico-urbaine visant à éliminer toute possibilité de révolution populaire dans le centre. Nos compatriotes affichent leur fierté d'avoir connu, ou visité Paris, laquelle est le produit de l'histoire répressive de Napoléon tel qu'il l'a forgée et exécutée par ses propres desseins et dessins à travers l'implication de Haussmann. Comme si l'injustice n'était pas la même pour tous.
Ainsi donc, ce sont les stratégies, bonnes ou mauvaises, qui font les villes, les grandes villes, et je vous assure que nous avons beaucoup à dire à propos de nos villes : Alger, Oran et autres.
Même si l'amnésie de l'indépendance semble avoir pris le pas sur la mémoire collective. Qui fait nos villes aujourd'hui, quels sont leurs noms, et comment les font-ils ?
Deluz a bien dit dans son ouvrage : L'urbanisme et l'architecture d'Alger, que le plan de Constantine a servi pendant l'occupation à écarter les architectes créateurs et les urbanistes engagés, en vue d'installer une politique autoritaire qui gère par la gestion administrative la ville, et ne s'occuper donc par là que de ce qui est prioritaire. Et c'est cette politique là que nous perpétuons, depuis l'indépendance, par l'exclusion de la dimension paysagiste, et dans un cadre d'anonymat total, puisque nous n'aimons pas désigner les responsabilités, à la manière des anciens colons. A dire, qu'entre l'occupation et l'indépendance, nous n'avons pas évolué, et qu'il y a des suites, disons, dans la pratique d'une certaine forme d'urbanisme, qui restent à ce jour inexplorées et proie d'une grande incompréhension. Nous sommes passés d'une certaine manière de la stratégie des délais politico-administratifs (plan de Constantine) lesquels avaient pour intention d'améliorer les conditions de vie des Français musulmans par l'importation du modèle industriel de l'habitat, à la logique de l'autoritarisme politique (de l'indépendance) qui se fait hermétique au désir de contribution des acteurs extra-administratifs qui ne partagent pas les choix des responsables nationaux et locaux.
Ce qui nous semble être certain, c'est que l'échec de la stratégie politico-administrative de l'indépendance, en matière d'urbanisme, vu l'état dans lequel nos villes sont, est incontestable. Parce que, d'une part, elle s'inscrit dans la logique d'un contexte qui n'est pas sien, du fait qu'elle prolonge les pratiques du plan de Constantine, et d'autre part, parce qu'elles n'ont jamais été suffisamment regardantes sur les demandes des populations citadines et leur état moral.
* Architecte, Docteur en Urbanisme


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