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Qui est cet Algérien dont on parle ?
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 16 - 04 - 2009


1ère partie
Avec cet article, nous avons voulu réagir à un événement au cours duquel des propos sur le statut des langues, sur la place du savoir et de l'université ont été tenus par le secrétaire général du FLN lors de l'université d'été de ce parti politique.
L'objet initial de cette contribution était donc de marquer notre étonnement quant à l'intérêt soudain du FLN pour l'université, mais actualité oblige, nous en sommes venus, bien malgré nous, à une analyse globale de la situation politique suite aux dernières élections présidentielles.
Mais commençons par le commencement et soulignant ce fait extraordinaire : le FLN, pour une fois dans son histoire a enfin daigné se pencher sur l'université mettant l'accent sur l'importance de celle-ci et « son influence sur l'humanité et sur le développement d'une manière générale » (le Soir d'Algérie du lundi 25 Aout 2008). Nous nous sommes longuement interrogés sur les mobiles qui ont poussé ce parti politique à s'intéresser enfin à l'importance des enjeux d'une formation universitaire de qualité, intérêt que nous considérons d'ailleurs comme miraculeux. En effet, en dehors des années Boumediene auxquelles on doit la formation de milliers de cadres qui continuent encore, vaille que vaille, à faire marcher les institutions de ce pays, et ce malgré l'hémorragie qui a frappé leurs rangs à cause de la fuite de centaines d'entre eux pour un statut meilleur, mais aussi à cause de l'avance inexorable du temps et donc des départs en retraite pour ceux qui sont restés. Ce parti politique, depuis l'avènement de l'ère Chadli, n'a strictement rien fait pour l'université et ne s'est jamais vraiment investi dans l'amélioration de son état, si bien que cette dernière s'est petit à petit recroquevillée sur elle-même se médiocrisant chaque jour un peu plus. Aujourd'hui, le marasme dans les universités est tel que personne ne croit plus en la qualité de la formation dispensée par cette institution, ce qui se traduit par une déperdition scolaire alarmante et par une démobilisation généralisée du corps enseignant.
Lors de cette université d'été, le FLN par la voix de son secrétaire générale a aussi insisté sur la nécessité d'un encadrement de qualité. La question qui se pose est : comment obtenir un encadrement de qualité face à une telle désaffection ? Cet état de chose a poussé le CNES, il y a quelque temps de cela, quand ce dernier représentait encore quelque chose, à tirer la sonnette d'alarme suite à un constat alarmant de l'état de décrépitude atteint par l'université en soulignant la précarité de son encadrement, le blocage de la formation des formateurs, le laminage par le bas de la qualité de l'enseignement, et la suprématie du pouvoir administratif sur le pédagogique et le scientifique. Au vu de ce constat, le CNES a proposé alors un statut qui permettra à l'enseignant de se rapproprier l'ensemble des tâches et prérogatives liées à son métier. Qu'en est t'il de ce statut des enseignants du supérieur ? Aujourd'hui, le nouveau statut de la fonction publique vient d'être mis en application, il y a eu certes des augmentations de salaires qui améliorent et qui allègent un tout petit peu la pression, cependant celles-ci restent bien en deçà des attentes. Quant au statut particulier des enseignants du supérieur, on attend toujours. Pourquoi, à ce jour, on ne sait toujours pas quel salaire et quel statut auront les enseignants du supérieur. S'il est vrai que l'émancipation du secteur de l'éducation nationale est en partie tributaire des conditions matérielles et environnementales, il est tout aussi vrai qu'elle est, avant tout, tributaire du facteur humain, de la qualité des formateurs, de leur compétence mais aussi et surtout de leur bien être. Il est donc nécessaire, pour motiver les gens, pour les inciter à faire correctement leur travail, de les payer en conséquence, l'argent n'est-il pas le nerf de la guerre ? Il se trouve que cela n'a pas encore été compris et les universitaires ainsi que l'ensemble de la famille éducative tous paliers confondus continue à être mal payés pour ne pas dire sous-payés. Si bien que pour les universitaires notamment, nombreux sont ceux qui ont fini par opter pour l'exil intérieur pour bénéficier des 80% accordés aux enseignants qui acceptent de se délocaliser vers les petits centres universitaires au détriment des grands pôles. Ce qui fait qu'on se retrouve aujourd'hui avec le paradoxe suivant : Ces petits centres universitaires, qui n'ont ni le poids, ni l'ancienneté des grands pôles universitaires payent leurs enseignants 80% à 90% plus que les grandes universités, c'est à se demander où sont les pôles d'excellence ? Vu l'attractivité salariale de ces centres universitaires, il faut croire que ce sont eux qui vont finir par devenir les pôles d'excellence au détriment des grandes universités qui sont entrain de se vider de leurs meilleurs cadres. Pour d'autres universitaires, c'est le grand exil. C'est la fuite pure et simple vers des contrées plus amènes, des contrées où on a compris que l'université est un centre névralgique, stratégique même. Dans ces pays, ce qui compte ce n'est pas ce que l'enseignant doit percevoir comme salaire qui est important, c'est plutôt ce qu'il est capable de donner en contrepartie de ce salaire. Ces pays ont compris que la compétence, la qualité et le sérieux ont un prix. Ils sont prêts à payer ce prix, et c'est pour cela que nous assistons aujourd'hui à une véritable hémorragie de nos meilleurs spécialistes vers ces pays. L'Algérie a pourtant les moyens pour fixer définitivement ces cadres et spécialistes, l'argent n'est pas un problème. Nous ne sommes certainement pas moins riches que nos voisins tunisiens et marocains où les universitaires sont payés jusqu'à quatre fois plus que les universitaires algériens.
I l semble que le FLN vient de comprendre enfin l'importance et les enjeux d'une université de qualité, enjeux dont peut dépendre l'avenir même du pays et son indépendance chèrement acquise. Mais qu'est ce qui fait que ce parti, qui a géré le pays depuis l'indépendance à nos jours avec les résultats qu'on connaît, se rallie enfin aux bienfaits du savoir et de la science? Il y a anguille sous roche. Comment ne pas douter de la sincérité de ce parti politique tant il est passé maître dans le maniement de la démagogie ? En effet, une lecture plus attentive du discours de ce parti politique nous permet de constater qu'en fait, ce qui importe le plus pour lui, ce n'est guère la qualité de l'enseignement, mais plutôt la généralisation de la langue nationale. Pour son secrétaire général, « il faut en effet s'appliquer à élargir et à étendre la langue arabe sur l'ensemble des matières enseignées et lui donner la place qu'elle mérite à l'université (Le Soir d'Algérie, ibid.) », comme si la renaissance de l'université algérienne doit nécessairement passer par cette condition, comme si jusque là cet enseignement a été dispensé dans une autre langue que la langue nationale.
C e que ce parti politique feint d'ignorer, c'est que près de 80% de l'enseignement universitaire est dispensé en langue nationale. Que reste-t-il à arabiser ? La médecine et les sciences techniques et technologiques ? Pourquoi pas après tout ? Que ce soit en arabe ou en français et pour ce qu'il en reste ? Il y a belle lurette que notre université a cessé de produire de l'excellence parce que les meilleurs spécialistes sont partis ailleurs, là où les salaires sont plus attractifs. Il en est ainsi de la médecine entre autre où certains services n'ont même plus de patrons. Dans tous les pays du monde, on trouve les grands patrons, les meilleurs spécialistes dans les grands centres hospitalo-universitaires mais certainement pas dans les cliniques privées. Ce sont les grands centres hospitalo-universitaires qui disposent des laboratoires et des infrastructures nécessaires à la recherche et à la formation. Pourquoi en Algérie tournons-nous le dos à de telles évidences ? A moins qu'il y ait une politique délibérée de liquider le secteur public ? Sinon, et si ce n'est pas le cas, la seule solution est de faire en sorte que ces spécialistes restent dans les centres hospitalo-universitaires quitte à les payer le double de ce que peut leur donner le secteur privé. Le gain pour le secteur public est sans commune mesure. Il s'agit de la formation de centaines et de centaines d'autres spécialistes. J'ajouterais autre chose aux promoteurs de l'arabisation inconditionnelle de l'université.
Dans tout le monde arabe, je crois savoir qu'il n'y a qu'en Syrie où la médecine est totalement arabisée, mais je ne vois pas beaucoup d'étudiants arabes courir vers ce pays pour s'y former et je n'ai pas non plus entendu dire que ce pays a innové de quelque manière que ce soit dans ce domaine.
Enfin, ce qu'il faut aussi savoir, c'est que la descente aux enfers de l'université algérienne a commencé justement le jour où l'arabisation de l'enseignement supérieur a été décrétée. En fait, ce n'est pas la langue qui est en cause, mais la manière dont cette politique d'arabisation a été menée. Nous avons déjà abordé cette question de l'arabisation du système éducatif algérien dans une de nos précédentes contributions (Mais où est donc Ornicar ? Quotidien d'Oran du 17, 18 et 19 novembre 2007) et nous avons écris alors à propos de cette politique d'arabisation tous azimuts, qu'elle s'est faite « sans moyens adéquats et sans réelles perspectives, ce qui a fait que l'esprit critique à la base de tout enseignement a fini par céder le pas à un apprentissage sans relief, ne laissant nullement place à l'épanouissement de la pensée créatrice. Si bien que cette belle langue, la langue d'El Moutanabi, la langue d'Avéroes, d'Avicène et d'Ibn Khaldoun, la langue du Saint Coran, qui a rayonné de tous ses éclats sur l'humanité aux siècles les plus obscurs de son histoire, qui a permis des développements considérables dans tous les domaines de la philosophie, des mathématiques, de la science et de la médecine, qui a été à la base même de la renaissance du monde occidental, cette belle langue a été vidée de sa substance pour des raisons obscures de basse politique et de lutte pour le pouvoir. Les manoeuvres politiques et politiciennes ont réussi un tour de force magistral transformant cette politique d'arabisation en une arme idéologique maniée, parfois avec brio, par certains tenants de l'idéologie arabo-islamiste pour asseoir leur pouvoir et « bannir », n'ayant pas peur du terme, tous les intellectuels de tendance progressiste et moderniste, toute l'élite intellectuelle qui n'épousait pas leurs points de vue. C'est donc ainsi que ce tour de force a fait, qu'au lieu et place d'une langue moderne, ouverte et qui n'a pas peur de la concurrence, une langue capable de s'imposer par elle-même parce que c'est d'abord une grande langue, nous nous sommes retrouvés avec un outil linguistique vidé de sa substance, un outil qui s'est érigé en un véritable dogme s'enfermant dans sa tour d'ivoire au nom du sacro saint principe des constantes nationales. Cet enfermement linguistique, cette tendance à l'uniformité linguistique qui ne tient nullement compte des réalités historiques et culturelles de ce peuple, a fini par ériger une nouvelle Tour de Babel autour de cette langue. Mais on sait ce qu'il est advenu de cette Tour biblique. »
Ainsi, le FLN n'a pas changé d'un iota son discours démagogique sur le statut des langues en Algérie, et son intérêt pour l'université n'est qu'accessoire, ce qui importe le plus pour cette formation politique, c'est le pouvoir, encore et toujours et la langue continue à être considérée, non pas comme un outil de savoir, mais comme un cheval de Troie pour pénétrer et occuper la place. La langue n'est donc qu'un paravent, un alibi. Le seul objectif de ce parti politique reste et restera le pouvoir et l'objectif inavoué de cette politique d'arabisation sans concession prônée par le FLN est d'arriver, à plus ou moins long terme, comme le souligne Caire (1992), « à un changement des valeurs en cours par l'imposition d'autres valeurs puisées dans la culture arabo-musulmane » ce qui permettra à cette frange du pouvoir (les arabo-islamistes) de gagner l'adhésion des masses à leur discours arabo-islamiste et asseoir ainsi définitivement leur suprématie par l'exclusion, non seulement politique, mais aussi culturelle de l'aile progressiste et moderniste. Quand nous disons que seul le pouvoir importe pour ce parti politique, pouvoir qu'il n'a jamais perdu d'ailleurs et auquel il continue à s'accrocher contre vents en marais, ce ne sont pas là des propos en l'air, vous remarquerez d'ailleurs que ce parti politique a réussi le tour de force inouï de se maintenir aux commandes malgré toutes les épreuves par lesquelles est passé ce pays. Il a survécu à octobre 88, il a survécu à la décennie noire, il a aussi réussi l'inimaginable en s'imposant comme la seule alternative démocratique face à la montée de l'islamisme politique grâce à une savante bipolarisation de la vie politique algérienne : lui ou les islamistes. En fait d'alternative politique, ce parti ne nous propose pas moins que son maintien ad vitam aeternam au pouvoir. D'ailleurs il ne s'en cache pas, il est le premier parti politique pour ne pas dire le seul à avoir appelé à une révision constitutionnelle relayé par le RND, ce qui ne change pas grand-chose à la donne politique tant les intérêts de ces deux partis sont liés, révision constitutionnelle ouvrant la voie à un troisième mandat présidentiel, une présidence issue bien sur des rangs de cette famille politique ce qui leur permettra ainsi de rester au pouvoir.
En fait c'est de bonne guerre, la vocation d'un parti politique n'est-elle pas de briguer le pouvoir ? Seulement, ce qui gène dans cette démarche, c'est que pour ce faire ces deux partis politiques ont été jusqu'à la remise en question d'un acquis chèrement payé : la première constitution véritablement démocratique de l'Algérie indépendante, constitution que ce pays a accouché dans les larmes et dans le sang, constitution qui nous rendait fiers d'être algérien tant il est vrai que dans tout le monde arabe, nous étions les seuls à avoir enclenché un véritable processus démocratique. Cette constitution unique dans l'histoire du monde arabe, révolutionnaire même, cette constitution qui faisait la fierté de l'Algérie, vient malheureusement d'être balayé d'un trait de plume nous renvoyant ainsi aux années soixante dix sans regard pour tous les sacrifices qui ont été à l'origine de son douloureux accouchement. C'est à se demander où sont passés les concepteurs de ce texte historique. Pourquoi se sont-ils tus, pourquoi ont-ils laissé faire sans exiger au moins un débat national sur la question ? Quoi qu'il en soit, le président de la république a tranché en faveur de cette révision, après un long suspense, ce qui lui a valu un troisième mandat. En agissant ainsi, nos hommes politiques semblent oublier que le pouvoir est éphémère et s'ils sont au pouvoir aujourd'hui, ils risquent fort de ne pas l'être demain.
En agissant ainsi, nos hommes politiques auraient dû songer au moins à leurs enfants qui n'ont d'autres pays que l'Algérie (à moins que...). Aussi, aurait-t-il fallu, avant la prise de telles décisions, se poser quelques questions: quelle Algérie veut-on construire ? Quelle Algérie veut on laisser à nos enfants ? Quel est le système politique le mieux à même de sauvegarder la liberté de penser et d'entreprendre, la justice et l'égalité des citoyens devant la loi, un système politique garantissant l'alternance au pouvoir dans la transparence des urnes ? N'aurait-il pas mieux convenu avant d'entreprendre cette révision constitutionnelle d'oeuvrer dans le sens du renforcement de ce fragile processus démocratique chèrement payé pour consacrer définitivement l'alternance au pouvoir et pour éviter de retomber des les errements du passé, errements qui ont mené l'Algérie au bord du gouffre et du non-état ?
A suivre
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*Université Mentouri-Constantine


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