Déroutantes ! C'est le moins que l'on puisse dire des déclarations du président français Nicolas Sarkozy concernant l'affaire Tibehirine. En moins de 48 heures, le chef de l'Etat français a tenu deux déclarations contradictoires ! Après avoir implicitement jeté la suspicion deux jours auparavant, le président français fait marche arrière et modère ses propos: «Pourquoi voulez-vous qu'avec le président algérien nos relations s'en trouvent bouleversées ? La justice est saisie, que la justice dise la vérité. Moi, je m'en tiens quand même au communiqué numéro 44 du GIA en 1996 revendiquant l'assassinat des moines. Je n'ai accusé personne, je veux que la vérité soit faite », a déclaré à la presse Sarkozy le jeudi 9 juillet, en marge du sommet du G8, en Italie. Voilà donc un chef d'Etat qui dit s'en tenir aux faits (la revendication par le GIA, le 26 avril 1996, de l'enlèvement des sept religieux), deux jours après avoir tenu sans retenue aucune des propos incendiaires. « Les relations entre les grands pays, elles s'établissent sur la vérité et non pas sur le mensonge ». Une déclaration unanimement perçue en Algérie comme une accusation de mensonge formulée à l'encontre des autorités algériennes. A quoi rime ce jeu de Sarkozy ? Question complexe et ouverte. Une seule certitude : en employant le terme « mensonge », le président français -et il le savait très bien - s'est bel et bien mêlé d'une affaire censée être du seul ressort d'une justice française qu'on présente comme étant « indépendante » ! Deux jours après, le ton est aussi à la modération chez la ministre française de la Justice, Michèle Alliot-Marie, qui a déclaré jeudi dernier : « Ce n'est pas une question de défiance ou de provocation à l'égard d'un pays ami. C'est un devoir de transparence et de vérité que nous devons à ces victimes, à leurs familles, à l'ensemble du peuple français ». Michèle Alliot-Marie, qui s'exprimait au Sénat français, a dans le même temps annoncé que le juge d'instruction parisien en charge du dossier des moines de Tibehirine a adressé des commissions rogatoires en Algérie. Des commissions qui demanderont une aide algérienne dans l'enquête sur l'assassinat en 1996 des sept moines. Le débat fait rage sur les deux rives de la Méditerranée après la déposition du général français à la retraite François Buchwalter, ancien attaché de Défense à Alger, attribuant, devant le juge antiterroriste chargé de l'enquête en France, le massacre des moines à une «bavure» de l'armée algérienne. Selon l'officier, qui dit tenir ses informations d'un militaire algérien, les moines cisterciens ont été tués par des tirs d'hélicoptères militaires algériens qui avaient ouvert le feu sur ce qui semblait être un bivouac des terroristes islamistes. Le président français a affirmé qu'il n'y aurait pas de secret défense concernant l'assassinat en 1996 des moines de Tibehirine. Sarkozy s'exprimait après les déclarations de Abdelhak Layada, un ancien chef des Groupes islamiques armés (GIA), affirmant que le GIA est responsable de l'assassinat en 1996 des sept moines. Layada a déclaré au quotidien arabophone El Khabar que c'est le GIA qui était à l'origine de leur mort. L'homme attribue leur décès aux tergiversations des Français dans leurs négociations pour libérer les moines. « Les assassinats ont été commis par Djamel Zitouni (alors chef du GIA), à la suite des tergiversations du renseignement français», a-t-il déclaré. «Les négociations qu'il menait avec les Français concernaient ma libération contre la libération des moines. Les Français ont tardé à répondre s'ils acceptaient de négocier ou non avec le GIA. C'était la cause de l'échec», a-t-il ajouté. Layada, condamné à mort en 1993 par la justice algérienne après avoir été extradé du Maroc, a été libéré en 2006 dans le cadre de la politique de réconciliation nationale initiée par le président Bouteflika. Cet ex-chef islamiste a également dénoncé une «deuxième trahison», évoquant le «non-respect par les Français de l'accord conclu avec le GIA pour la libération des moines». «L'attaché militaire à l'ambassade de France à Alger (...), qui a donné son accord préliminaire pour ma libération, n'a été en fait engagé que pour espionner le GIA», a encore accusé Abdelhak Layada. «C'est pour cette raison que le GIA a décidé d'achever les sept moines». A signaler que le RND a qualifié de «provocation» la campagne en France sur le massacre des sept moines de Tibehirine en 1996. Par ailleurs, le président de la Commission nationale consultative de protection et de promotion des droits de l'Homme (CNCPPDH), Farouk Ksentini, a déclaré qu'»il y a une volonté politique de nuire à la réputation de l'Algérie» dans l'affaire des moines de Tibehirine.