En France, on n'a jamais entendu dire qu'il y avait « trop d'Auvergnats». Mais « trop d'Arabes et de Noirs », cela est courant. L'extrême-droite française et ses cousins en Europe en ont fait leur fonds de commerce depuis des décennies. Mais la xénophobie n'est pas confinée à ces marges vert-de-gris. Un éminent nouveau philosophe, Alain Finkelkraut, grand coupeur de têtes qui se piquent de penser autrement, s'était libéré en déclarant qu'il y avait trop de Noirs dans l'équipe de France de football. « On nous dit que l'équipe de France est admirée parce qu'elle est black-blanc-beur. (...) En fait, aujourd'hui, elle est black-black-black, et on se moque de nous dans toute l'Europe ». Il est vrai qu'un philosophe qui ne compte que des amis dans les médias peut proférer impunément des âneries... Mais un ministre qui ne surveille pas sa langue et qui oublie qu'un dangereux instrument, le téléphone portable, rôde partout, cela fait désordre. Ce qui a été appelé en France la « lepénisation des esprits » vient de trouver une illustration parfaite dans les réflexions du ministre français de l'Intérieur, Brice Hortefeux, alors qu'il posait pour une photo avec un jeune beur, «catholique» «mangeur de cochon» et «buveur de bière», selon la présentation faite par un des militants de l'UMP, parti du président Sarkozy. Premier dérapage, le ministre français semble croire qu'il existe un «prototype» d'Arabe et celui qui se tient à ses côtés sortirait de l'épure. «Ah mais ça ne va pas du tout, alors, il ne correspond pas du tout au prototype, alors. C'est pas du tout ça ». Sans doute pour le rassurer, une participante lui lance un très colonial: «C'est notre petit arabe», sur le mode de «y'a bon, banania». Brice Hortefeux qui venait de saquer un préfet coupable d'un commentaire infâme à l'égard d'un employé noir d'un aéroport parisien - «et tu te crois en Afrique» - se laisse alors aller: «Bon, tant mieux. Il en faut toujours un. Quand il y en a un, ça va. C'est quand il y en a beaucoup qu'il y a des problèmes. Allez, bon courage...». Une vanne « ordinaire » que le bon petit Arabe a accepté avec le sourire - il a accepté par la suite de se faire filmer pour défendre le ministre - mais qui a été immortalisée par une caméra. Ah, ces téléphones portables ! Depuis Abou Ghrib on sait qu'ils n'apportent que des ennuis. Et c'est aussi le cas pour Hortefeux. Ce commentaire banal sur le «trop d'Arabes» a été mis en ligne sur le site du journal Le Monde et depuis, la polémique va bon train. L'opposition française demande son départ tandis que le gouvernement le défend. Hortefeux se perd dans de pâteuses explications en laissant entendre qu'il voulait dire qu'il y avait «trop d'Auvergnats» voire trop de photos. Amine Benalia-Brouch, le «notre Arabe» affirme que la vidéo «a été sortie de son contexte» et affirme, contre toute évidence, que « quand M. Hortefeux dit il ne correspond pas au prototype' ou quand il y en a un, ça va', il ne s'adressait pas du tout à moi, mais à une autre personne». Décidément « notre Arabe» atypique ira loin... Fadela et Nora mènent une pathétique défense... Hortefeux aurait pu se contenter de dire que c'était une plaisanterie «border line» et s'en excuser, il a choisi tout simplement de nier. Il est vrai qu'il avait fait montre quelques heures plus tôt une intransigeance républicaine sans faille à l'égard du préfet Girot de Langlade. La défense du ministre est d'autant moins convaincante que la vidéo est disponible et qu'il n'y a aucune autre explication à en tirer que celle qui ulcère, à juste raison, les organisations antiracistes. Il n'est question ni d'Auvergnats, ni de photos. Il n'y a qu'un ministre qui constate qu'il existe un Arabe qui ne correspond pas au « prototype » et qui se dit rassuré qu'il n'y en ait qu'un seul... C'est consternant, mais cela montre que la lepénisation des esprits n'est pas seulement une formule. Dans la controverse, certains apprécieront sans doute que les noms à consonance arabe du gouvernement français sont montés au créneau - Ah, la solidarité, quelle noble valeur ! - pour défendre Brice Hortefeux qui, il faut bien s'en souvenir, n'en est pas à sa première bavure verbale. Fadela Amara n'y voit que de «l'humour» et sans doute un complot des socialistes français qui chercheraient à détourner l'attention de leurs problèmes. Nora Berra, nouvelle venue au gouvernement français où elle occupe le poste de secrétaire d'Etat chargée des Aînés, défend Hortefeux qui serait « loin d'être quelqu'un de raciste» et dont les propos ont été «sortis de leur contexte» pour entretenir une «cabale médiatique». Nora Berra pose la question ingénue: «A qui sert tout ça ?». Dommage pour Hortefeux qu'il n'y ait pas davantage de collègues «ethniques» au gouvernement français, ils auraient sûrement occupé le paysage médiatique français pour dire tout le bien qu'ils pensent de lui. «Ça ne sent pas bon...» Azzouz Begag, une ancienne « consonance» arabe du gouvernement, lui, garde une mémoire nettement plus mitigée de Hortefeux qu'il qualifie tout simplement de «menteur». «Le ministre de l'Intérieur a tenu des propos racistes. Il devra s'en expliquer devant la justice. Dans ce pays, ces propos sont un délit et pas une opinion. Ce n'est pas la première fois que j'entends des mots aux relents de colonialisme dans la bouche de Brice Hortefeux. Cette réalité, je l'ai connue lorsque j'étais au gouvernement», a déclaré Begag.Hortefeux peut se consoler d'avoir, en attendant celui de Sarkozy, le soutien du Premier ministre Français Fillon qui dénonce «une campagne de dénigrement assez scandaleuse». C'est qu'à gauche, on n'est pas tendre. La dirigeante du PCF, Marie-George Buffet, choquée, a notamment déclaré: «Ces propos sont inadmissibles. (...) Quand on entend ça, on sent des paroles racistes ». «La question n'est même pas de savoir s'il faut ou non qu'il démissionne du gouvernement, mais que fait-il encore au gouvernement à cette heure-ci ?», se demande le porte-parole du Parti socialiste Benoît Hamon. «Aujourd'hui, la dignité du pouvoir en place s'ébroue encore un peu plus dans le caniveau de sa pensée lepéniste. On sait dorénavant ce que M. Hortefeux a dans le ventre. Et ça ne sent pas bon», s'indignent les Verts. Cette odeur nauséabonde ne semble pas indisposer les beaux esprits chargés de l'ordre médiatico-politique. On attend toujours les réactions des philosophes semi-officiels et des porte-voix habituels de la bien-pensance.