« Je ne suis le Magrébin de personne ! J'ai détesté ce mot depuis l'enfance : il traîne une sorte de crépuscule permanent, face à un Orient trop vaniteux et à l'insolence démodée. Pourquoi faut-il que je me situe toujours par rapport à une sorte de géographie qui me repousse vers la périphérie ? Pourquoi faut-il que je me déclasse éternellement sous l'ordre d'une géographie de croyances qui me répète que je suis sa banlieue et que le Hidjaz est mon centre ? Je n'ai rien contre le Hidjaz, mais je ne veux servir à aucun empire du verbe ou de la conquête. Je ne suis l'Occident d'aucune capitale de mémoire. Moi aussi je revendique le centre de la Terre : je peux le prouver par ma mère, mon père, leurs parents et toute une généalogie. Ma géographie, je la trace par ma présence, pas par des histoires où je suis l'éternel personnage secondaire. Je ne veux plus répéter ce mot «Maghreb» et je suis le citoyen de ma terre qui est mon centre et pas le sujet d'une conquête qui n'est qu'une partie de ma mémoire endolorie. Vois-tu mon frère, je refuse absolument cette cartographie qui me condamne au bégaiement entre une arabité pure et une amazighité radicale. Je n'aime pas me voir sur les plateaux d'Al Jazeera et d'Al Arabiya cherchant mes mots comme un récitateur inhabile, regardé comme un infirme linguistique, décolonisé imparfait sur l'échelle de la pureté de la race et de la langue officielle. Cela me rend malade de voir les miens quémander après une origine qui n'est pas la leur et où ils ne sont qu'à peine tolérés, ici comme ailleurs. Non mon frère ! Je ne suis le Maghreb de personne, le coucher de soleil d'aucun empire de foi et de verbe. Je ne suis l'Occident d'aucune capitale imaginaire. Je ne suis l'habitant d'aucun pays de seconde couche. Qu'ils gardent leur Amr Moussa, leur Ligue, leur poésie apocryphe supposée éternelle depuis leur Djahiliya, qu'il garde leur grammaire qui ne sied plus à ma langue, qu'il garde aussi leur dédain et ce regard d'en haut qu'ils cultivent depuis la conquête sur les miens, qu'ils gardent aussi leur Orient, proche, moyen ou fantasmatique, moi je veux redistribuer les longitudes et ne pas les réduire de l'huile d'olive ou à un chameau armé. Et ne va pas m'accuser de jouer à casser l'unité nationale ou à revendiquer quelques amazighités exclusives et manipulées, non ! Ce dont je parle c'est de ce que je suis réellement et de ce que je refuse : je veux rappeler que je suis algérien et que si cette identité n'en est encore qu'à l'intitulé des documents officielles, je veux en faire une vraie géographie pour mes enfants qui parleront algérien, vivront ici et renoueront avec une vraie histoire où il seront, eux, ou leur ancêtres, des héros et pas des assimilés, ni des archs, ni des autonomistes, ni des enturbannés et des barbus extasiés. Je suis fatigué de me regarder avec les yeux des Autres et je veux guérir de mes propres dénégations perpétuées au nom du Désert originel, de la croyance, des colonisations et des identités sournoises. Je rêve avec ténacité d'une seconde et plus radicale décolonisation ! Tu veux garder tes croyances et ta foi ? Gardes-les, mais corrige ta géographie : tu n'es la marge d'aucun royaume, ni le second rôle d'aucune Histoire qui n'est pas la tienne».