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Bachir Boumaaza... Presque un inconnu
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 11 - 11 - 2009

Un homme d'il y a très longtemps est mort. Une personnalité historique du mouvement révolutionnaire et militantiste. Ainsi toute une partie de l'histoire des personnalités nationales est partie avec.
La télévision nationale s'est contentée juste de balancer l'information avec une image de la dépouille mortelle à son arrivée à Alger.
Un parterre d'accueillants des plus illustres commis de l'Etat était là, mis en exergue. Pour la circonstance. Au journal télévisé, le fameux 20 heures ; point de biographie. Juste un timide et laconique flash documentaire. L'on dirait un homme... presque inconnu.
Cependant à l'enterrement dans une forme solennelle et protocolaire, l'Etat avec ses démembrements, le peuple avec son amitié étaient là. L'on voyait l'ancien ministre au ministre en poste, les partis au pouvoir, les anciens chefs du gouvernement. Le chef de l'Etat se serait fait remplacer par son frère. A voir cette présence, l'on se réjouit de l'élan quand bien même voué à la reconnaissance et au mérite du défunt. A titre posthume, diriez-vous. Hélas.
Boumaaza ne peut en fait échapper au rude destin qui guetterait toute personnalité de sa trompe. Le combat d'idées et d'approches dans la vision du monde politique est très périlleux chez ceux qui font des idées, des principes intangibles dans le mode de la vie politique. Ils s'apprêtent, décidés et fermes contre des aléas toujours fatidiques ; de vivre le calvaire de la marginalisation ou le terrible effroi du retrait forcé. Pour les uns, il s'agirait là d'un repli, pour les autres c'est une simple rupture quant à l'exercice de l'acte politique. Mais tous n'ont de cure de vouloir à tout jamais rompre tout lien avec cette maladie congénitale qu'est dame politique. Quel que soit l'âge, la position et l'endroit, ils observent, vigilants mais silencieux, fins et souriants, le fait et l'événement nationaux.
Leur retraite n'est pas le solde d'une pension. Celle-là n'est que viagère ; tandis que l'autre, la vraie, elle se confinerait dans la disjonction opérée entre l'action pragmatique et le désir irrésistible de la faire. Ils ne font rien. Ils scrutent et saisissent la scène nationale sans en susciter des commentaires bruyants, en privilégiant silencieusement le soupir et le souffle aux commentaires et aux jérémiades. S'ils pleurent, ils ne gémissent pas. Si la vérité est unique et indivisible, le mensonge est multiple. Néanmoins, s'il n'existe pas plusieurs vérités, il n'y a pas également de vérité absolue. Tout est relatif, comme la nature. Ainsi la divergence d'opinion devait s'instituer, non pas comme un obstacle au débat, mais tout simplement comme un avis contradictoire. Et non une opposition.
Messali Hadj, Ferhat Abbas, Mhamed Yazid, Cherif Belkacem et bien d'autres sont partis aussi dans un silence complice et plein de non-dits.
Pourtant la vie de l'homme n'est pas une tranche de vie inexploitée. Un rappel autour d'une table ronde, de sa longue vie de militant, de moudjahid, d'homme d'Etat, d'homme politique, de parlementaire, d'opposant, de président du Sénat puis d'évincé, n'aurait été à la limite de la gratitude qu'une pieuse pensée collective et officielle à son honneur. Ce ne seront pas les messages de condoléances ou les impressions à chaud de quelques pontes du régime qui auront l'honneur de rendre l'honneur à celui qui fut toujours égal à lui-même. Dans les pires moments de sa longue et presque permanente traversée du désert, il n'eut jamais cette outrecuidance de blâmer le fondement d'une idéologie à laquelle il s'est mis volontiers, corps et âme. Se bornant dans l'immensité de sa culture qui lui fournissait d'ailleurs le confort spirituel d'un bon refuge politique, il avait son pays dans chaque mot, dans chaque idée, à chaque intervention. L'Algérie, peuple et nation, histoire et héroïsme, arrivait à lui faire omettre les affres endurées et faisait éclipser toutes velléités ou contradictions avec les tenants du sérail quel que soit la période, le système ou la tendance. Même au cours des instants fortement controversés de sa carrière politique, l'on voyait en lui un mutisme éloigné de toute tactique.
Le commentaire d'événements pouvait être chez lui un simple rappel de fait authentique ou un appel à la sagesse devant prédominer le débat. Universaliste dans sa vision, feu Boumaaza, anti-impérialiste avéré, voulut voir dans l'Algérie, s'épanouir ce à quoi il aspirait en compagnie des pionniers de la prise de conscience nationale. Un Etat de droit. Il avait une notion tout à fait particulière de la liberté. La jouxtant, en tant qu'épouse rebelle à la force, il en parlait, dans l'union avec la démocratie comme s'il s'agirait d'un couple maudit, en donnant sa préférence au premier conjoint.
En dehors de ce que la postérité aurait retenu envers ce personnage comme attitude face à la mainmise sur l'indépendance ou face à une dictature nécessaire, le hasard voulut que les péripéties du bonhomme continuent jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Le mal qui le rongeait ne pouvait être autre que celui qui l'aurait mordu dans la chair lors de son éjection du fauteuil de la haute chambre. Il en compatissait. Ses mémoires rédigées et inédites rapporteraient, selon des indiscrétions, les moments très pénibles qu'il aurait vécus dans les derniers soubresauts de son départ. Il en dit «c'est la cause de mon diabète». Certains membres influents du tiers présidentiel l'auraient mis dans une situation «d'humiliation et d'injures»(1). Partagé entre ce devoir de grande réserve à la république et le souci du respect des procédures constitutionnelles, il combattit le revers de l'histoire de tout son courage en bravant la loi de l'omerta et du clanisme. Dans ce volet-là, il était aussi moulé, un certain temps, un peu soit-il, dans la guéguerre des clans. Il avait pourtant souffert d'avoir connu à ses dépens ces penchants de survie à l'ombre d'un chef.
De Ben Bella à Boumediene, feu Boumaaza n'en était ni l'ennemi permanent de l'un, ni l'opposant éternel de l'autre. Comme il ne fut ni dans la sainteté du premier, ni dans le touche pas à mon pote du second. Sans bornes d'attache à un pouvoir, le sachant précaire et révocable, l'infatigable militant alla se forcer pour se plaire dans une expatriation au début involontaire mais qui se prolongera dans un volontarisme légitime.
C'est justement lui qui avait à l'égard d'une personnalité, se targuant de la fatalité amère de l'exil politique, de faire cette sentence quasi prophétique que «l'exil choisi est une immigration». Le politicien n'a pas à opter pour une résidence luxueuse, au Moyen-Orient ou aux pays helvétiques et dire qu'il vivait une tragique traversée du «désert». Le désert dans ce cas et dans ces pays n'est qu'une belle oasis. Un tourisme politique. Certes lui aussi respirait sur les rives du lac Léman le délice lointain d'un pays qu'un régime ou un autre en a rendu en terre si ingrate. Dévoreuse de sa progéniture. Avaleuse de son suc. Son inspiration ne fut toutefois qu'une grisaille. Il est bien retourné au bled. Il y siégeait. Participait aux forums. Jusqu'à cet ordre de vouloir, sans l'avertir, le faire décamper du perchoir sénatorial. Incompatibilité d'humeur ? Réservation de poste ? Ou simple règlement inapproprié de compte ? Que lui reste-t-il donc à faire ? Repartir tout résigné et reforgé pour que soit sain et sauf cet ultime honneur, de nif et de baroud. Non sans avoir usé de toutes les voies qu'offre le droit de l'Etat, à défaut d'un Etat de droit. Cet honneur ne sera pas plus rendu, tel qu'il se doit, une fois l'homme n'est plus là. Un message de condoléances est un usage de bienséance. Un aveu ministériel posthume n'est qu'un discours.
Tout le monde gardera de cet homme une image d'un Algérien jusqu'aux os. Fidèle à une ligne de conduite morale, il saura dans un cadre approprié le comment sauvegarder la mémoire. En créant la fondation du 08 Mai 1945, lui le natif de Kherrata, une arène de monstruosité à l'époque de ces événements, il aspirait à ramener la France colonialiste à faire son mea-culpa et partant hisser Sétif, Guelma et autres villes, au rang des villes martyres. Les témoignages sont nombreux à son égard. Le Dr Ahmed Benani, politologue et anthropologue à Lausanne en Suisse, en dit: «Je veux rendre hommage à sa mémoire et dire combien cet homme, qui fut mon compagnon d'exil en Suisse pendant trente ans, a pesé sur le cours de l'histoire de son pays mais également du Maghreb. C'est une immense perte pour nous toutes et tous, Bachir incarnait la quintessence d'éthique, de droiture qui manque tant aux dirigeants politiques de notre espace maghrébin. Je garderai de lui le souvenir impérissable d'un homme pétri de culture universelle, toujours soucieux du sort des humbles. Un homme fidèle en amitié, cette amitié précieuse et rare frappée du sceau de la solidarité et de l'engagement pour l'émancipation de l'humanité souffrante.» (2)
L'essentiel sera, on le verra dans un proche avenir, si la nation reconnaissante par pouvoirs publics interposés, aurait à baptiser, par exemple l'hémicycle, siège de l'Assemblée nationale populaire, au nom de Boumaaza. Le palais Zighoud Youcef étant étoffé d'un nom glorieux tout aussi grand et de grand mérite.


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