1ère partie En réponse au remarquable «cri du cœur» de Kamel Daoud, son article du Quotidien d'Oran du 02-02-10, concernant «l'extrait de naissance...». A l'instar de la parabole de la femme de Loth qui, se retournant vers son passé, fut «pétrifiée», ne pouvant plus «avancer» et être «sauvée», l'on peut donner raison à Kamel Cependant, voici quelques réflexions sur «l'appartenance» des individus à une «nation», leurs relations aux «ancêtres», à l'Histoire «subie» par nos parents, et notre référent culturel à considérer, pour «se situer» en cette modernité «mondialiste». L'identité «pratique» est reliée à l'individu, citoyen d'un Etat, tout individu agit et réagit dans une société. L'Etat a des lois prescrivant des règles pour le vivre ensemble. Il est nécessaire de rappeler, au risque de «banalité», quelque considération à ce sujet. Lorsque l'on dit «je suis Algérien», on affirme une appartenance à une «nation», signifiée, en toute rigueur linguistique, par umma, à un pays «où l'on vit», signifié par watan, à une «culture» d'un «peuple», signifiés par shab. El watan a des frontières géographiques, El umma-nation a une Constitution, Esheb a des règles morales pour le vivre ensemble. Ces concepts, ainsi traduits, sont loin d'être «universaux», leurs expressions sont aussi diverses que la «biodiversité», comme cela est suggéré dans ce qui suit... Les «citoyens» sont représentés et administrés par des «politiques» (de politikos et polis - cité), représentant le «pouvoir dans l'Etat - dewlà». L'on peut voir, en cette origine du concept de citoyen et du politique, la diversité des acceptions de ces termes : politique se dit siyàssa, l'idée maîtresse en est «diriger, gérer, discuter, en ménageant prudemment», d'où «bissyàssa» = «doucement», avec un signifié «éthique» : «billàti hya ahsen» (Coran XXIX/42 ; XLI/34 ), dans les «rapports à autrui, même l'ennemi en deviendra amical». Dans notre culture référentielle, Ibn Khaldùn, qu'on ne saurait trop recommander, distingue plusieurs formes de politiques, dans sa Muqaddima, dont deux principalement citées : siyàssa aqlya-politique rationnelle, selon laquelle le pouvoir étatique repose sur des citoyens «raisonnables» dont l'intérêt procède de la «force» de l'Etat et «l'esprit de corps» (liens du sang et autres) ; Ibn Khaldùn la dénonce et lui préfère la «démocratie», sans en exprimer le concept actuel, dont la base est la concertation shùrà et le consensus - ijtimà ; la siyàssa madanya- politique utopique, en rappelant la «Cité Vertueuse» d'El Faraby, El Madynat El Fadhylà, cité idéale des philosophes, dont les membres ont de telles dispositions naturelles, qu'ils peuvent se passer de gouvernement, ce qui est utopique. (El Muqaddima, pp614-631-Trad. du Professeur Vincent Monteil-Ed.Sindbad 1978). Qu'en est-il alors de l'identité de l'individu ? C'est le débat actuel, en France, qui suscite le plus de polémique. L'Europe ayant supprimé les «frontières nationales», des Etats qui la constituent, se trouve confrontée au problème de «l'identité» des citoyens. Un «consensus» de l'inconscient collectif des Européens, dont la genèse est le fruit des longues et meurtrières guerres européennes, affirme que l'identité européenne est «judéo-chrétienne» (d'où l'opposition farouche à l'adhésion de la Turquie et les terribles purifications ethniques dans les Balkans). «L'exception française» dans cette Europe, réside en «les valeurs républicaines laïques», auxquelles doivent adhérer tous les citoyens. Ceci fait que les citoyens «affichant» une appartenance religieuse, sont «rappelés à l'ordre républicain», même si ce «rappel» va à l'encontre des «valeurs républicaines» promulguées par les articles des Constitutions de 1789à 1958, stipulant, invariablement «l'égalité de tous les citoyens, sans distinction d'origine, de race ou de religion» (cette expression date du 4 octobre 1958- article2). La religion, comme «identité citoyenne», fut longuement débattue au cours des deux siècles derniers. Les «symboles religieux» perdurent dans les constitutions et déclarations universelles. En voici, brièvement, quelques exemples historiques : [* Aucun filtre adapté à cette opération n'a été trouvé. [ En-ligne *] Cette forme en diptyque des Tables de La Loi est utilisée, depuis La Révolution de 1789, pour la représentation de La Déclaration Universelle des droits de l'Homme. Le «recours» à Dieu est signifié clairement dans les Constitutions françaises : -«En présence et sous les auspices de l'Etre Suprême (1791)». -«...le peuple proclame en présence de l'Être Suprême, la déclaration suivante des droits de l'Homme et du citoyen (1793 et 1795)». -«En présence de Dieu et du Peuple français, l'Assemblée nationale proclame... (4nov. l848)» Si de 1795 à 1848 cette mention de la Présence Divine est occultée dans les constitutions de l'Empire français, le caractère «sacré» des familles royales et impériales est souligné, ainsi que la religion : -«La personne du roi est inviolable et sacrée... (art. 13 de 1814 et art. 12 de 1830)». -«La religion apostolique et romaine est la religion de l'Etat (art.5, 4 juin l814)». Cette dernière déclaration a disparu en 1830, cependant, il sera notifié : -«Les ministres de la religion catholique, apostolique et romaine, professée par la majorité des Français, et ceux des autres cultes chrétiens, reçoivent des traitements du Trésor public, (art. 5 de Charte constitutionnelle du 14 août 1830)». [* Aucun filtre adapté à cette opération n'a été trouvé. | En-ligne *] Comme on peut le voir, le diptyque des Tables de La Loi mosaïque est utilisé comme symbole «spirituel», agrémenté par des représentations «chrétiennes» , d'ange et femme (symbolisant la République), avec le triangle central, dont le noyau est un œil, lumineux, représentant Dieu, ce qui n'est pas sans rappeler «l'œil dans la tombe qui regardait Caïn» (le fratricide biblique de la Légende des Siècles de V.Hugo) «Ce sont les questions religieuses qui donnèrent lieu aux plus vives controverses (Etats généraux du 18 août 1789). Fallait-il placer la Déclaration sous l'invocation de Dieu dans le préambule ? Le projet parlait du «Législateur Suprême de l'Univers». Des députés protestèrent. Finalement la Déclaration fut mise «Sous les auspices de l'Être Suprême»... Mais les membres du clergé (25°/° de l'Assemblée), auraient voulu que la Déclaration reconnût le catholicisme comme religion d'Etat. Mirabeau protesta : il estimait que le mot «tolérance» (d'autres religions par un Etat catholique...) était restrictif. «La Liberté la plus illimitée de religion est à mes yeux un droit si sacré que le mot tolérance, qui voudrait l'exprimer, me paraît en quelque sorte tyrannique lui- même, puisque l'existence de l'autorité qui a le pouvoir de tolérer attente à la liberté de penser, par cela même qu'elle tolère, et qu'ainsi elle pourrait ne pas tolérer», dit-il. Finalement, l'Assemblée adopta l'article 10 : Nul ne peut être inquiété pour ses opinions même religieuses... Ce qui ne satisfit pas Mirabeau, car, disait-il, «il place en réserve» l'intolérance dans la Déclaration». Extrait du commentaire des Constitutions de la France (Ed. Flammarion 1979). Il est à relever, qu'en deux siècles d'existence de la République, ce n'est qu'à la seconde moitié du deuxième siècle qu'apparurent, dans la Constitution, la «laïcité» (article 1er de la Constitution d'octobre 1946, article 2 de celle d'octobre 1958). Ce qui est significatif, c'est le fait que ce concept fut «emprunté» à l'organisation même de l'Eglise Catholique : «un laïc de l'Eglise est un membre de celle-ci, non consacré, mais reconnu comme enseignant de la doctrine catholique». On relèvera, à ce propos, qu'il n'y a pas de «sacrement» en Islam, sacrement d'où procède le clergé catholique. L'Islam n'a pas de clergé (IX/19,31,34,107 ), il est de ce fait «laïc». Il est, aussi, à relever, dans les lois constitutionnelles, qui font débat actuellement, pour «l'intégration» : «la langue de la République est le français» (loi constitutionnelle, article 1er du 25 juin 1992 ). «Culture judéo-chrétienne-Histoire commune», «laïcité», «la langue est le français», sont les thèmes majeurs des discussions des «commissions parlementaires», actuellement, en vue de «l'intégration» des «musulmans français» ou «français musulmans». C'est là un autre débat, ce qui fut rappelé a pour objet de situer un individu dans un «système» de «valeurs» que lui impose son «appartenance» à un «Etat-Nation». Il n'est pas question d'aborder, ici, dans sa globalité, le problème psychologique ou métaphysique qu'est l'eccéité : ce qui fait qu'un individu est lui-même et non un autre, comme cela fut suggéré par Kamel Daoud. Il s'agira de l'identité citoyenne, qui concerne donc un «ici et maintenant», du vivre en société. L'individu vivant en société se trouve «confronté» aux règles de vie «consensuelle» et cela le renvoie à sa propre conscience. Les questions essentielles et existentielles qui s'imposent à tout un chacun, en ce domaine du «vivre ensemble», sont «que dois-je faire ? comment faire ? pourquoi faire ?», c'est en fait le problème de la «téléologie» et «sotériologie». Ces deux concepts relèvent, certes, des doctrines théologiques, mais la démarche cognitive, en cela, s'appliquerait aussi pour les agnostiques. En effet, il s'agit de la «finalité de nos actes - téléologie», «le salut de notre personne - sotériologie», toutes deux procèdent de la conscience de soi et autrui, l'ego - nefs ayant un rôle, évident, éminent. Il s'agit, aussi, de l'altérité, de l'attitude et comportement envers autrui : l'éthique - ihsàn (suivant le Coran XVI/90, verset connu comme adjma el Qur'àn - compendium de morale, selon l'exégète Ibn Masùd, rappelé souvent dans les khotba ). Selon Aristote : «Quel est le but poursuivi par toutes nos actions ? Le Souverain bien. C'est le bien propre à l'homme, l'activité de l'âme en conformité avec la Vertu. La Vertu est une disposition acquise et volontaire consistant en le Juste-Milieu» (cf.Ethique à Nicomaque). Aristote ajoute, par ailleurs, «Les monstres sont des erreurs de la finalité», mettant en garde l'humain contre «je croyais bien faire ». Cette sagesse universelle fut enseignée par le Prophète de l'Islam, qui ajoute, dans un hadyth «Ma Umma - Nation ne peut convenir, par concertation - idjmà, d'une déviance - dhalàl» (cité, entre autres, par le Sheykh Atfiyesh - Djàmi eshemel - Tome II,p.133/Ed.Dàr El Djyl-1988). Ce hadyth fut analysé et discuté par toutes les Ecoles - Madzàhyb, car il pose la question des fondements de la «démocratie», pluralité des voix et consensus - idjmà. Le philosophe cordouan Ibn Hazm (XIème siècle), souvent contesté par les «traditionnaires», l'interprète dans son El Ihkèm fy uçùl el ahkèm, un «Dicours de la Méthode», à l'instar de Descartes. «La pluralité des voix n'est pas preuve de Vérité le hadyth sur l'idjmà est une exhortation optative, signifiant : puisse ma Umma ne jamais tomber unanimement dans l'erreur comme cela est signifié dans le sermon de l'adieu du Prophète». Il sera développé, plus loin, les «bases» de la shura et idjmà. L'individu a-t-il besoin de connaître sa généalogie pour cela ? Doit-on se glorifier de, ou déplorer «ce que furent les aïeux»? Quel référent est entendu par cela ? Quel rôle joue l'acculturation ? En ce qui concerne la genèse des individus, l'élaboration de leurs «personnalités propres» dans la société où ils «évoluent», le rôle de la culture est éminent, c'est un truisme. Dans le milieu culturel islamique, qu'est le nôtre, la réponse est coranique, sans aucune ambiguïté : la généalogie ou nasab est avant tout sociale, intimement liée à la structure familiale des «alliances» ou çihr, l'individu y élaborerait, objectivement, son identité (Coran XXV/54) Les enseignements coraniques et les hadyth du Prophète donnent les «structures de référence et organisation sociale», nécessaires au «vivre ensemble» des êtres «sociaux», que sont les humains, avec les codes moraux requis, pour les croyants et les non croyants : les êtres humains ne sont pas des «anges», et les prophètes, simples humains parmi les humains, n'ont fait que ramener les générations de l'errance à la raison (XVII/89-95 ; XXI/5-8 ; XLIII/44 ). Par ailleurs, l'être humain est mis en garde contre son ego - nefs, «individuation» qui lui fait «rejeter «autrui», déstructurant les liens du «vivre ensemble». La «liberté individuelle» réside en le choix qu'il a de «croire ou ne pas croire», chacun se comporte selon son propre mode - shàkilatihi, par sa raison et sa conscience, son intention - nya (hadyth célèbre) : l'action est libre lorsque la conscience se détermine contre l'ego - nefs, en fonction d'un principe rationnel -aql. L'individu aura, cependant, à assumer sa responsabilité dans les conséquences de ses actes, envers lui-même et autrui (XVII/7,15, 84,95,107, entre autres ; on retrouvera, aussi, l'importance du aql et de la nya, dans la philosophie kantienne : l'intention n'a d'égard qu'à la loi morale, sans considération de l'intérêt propre ; la morale est un impératif catégorique rationnel ). Ces enseignements furent «formalisés» par le Prophète qui établit, démocratiquement, n'excluant pas les non musulmans ni les adjem- étrangers non Arabes, la première Constitution d'une «Cité-Etat», Médine (voir l'article sur : www.forum-democratique). Cette constitution est l'avènement historique du concept de «nation classique - Umma», où tout citoyen est respecté dans sa dignité, ses biens et la pratique de sa religion, sans ethnicisme (et ses redoutables conséquences le racisme ; voir communication dans : Europe Culture et Spiritualités face au racisme - Editions du Conseil de l'Europe-Strasbourg 2005) La Umma est la nation composée d'êtres humains, liés par l'essentiel ou «umm», essentiel défini par la connaissance et reconnaissance mutuelle entre les différentes structures d'organisations sociales, peuples et tribus, dans un respect scrupuleux - teqwà selon l'enseignement coranique (XLIX/13), car la diversité des langues et couleurs, des umma, est un bienfait pour l'humanité (XXX/22 ; V/48 ). On peut traduire ce concept culturel islamique par un néologisme «la matrie», différent du concept nationaliste romantique, la patrie, où le lien revendiqué est «l'héritage des pères» ce qui sera exposé plus loin. A suivre