La biométrie contre le voile. C'est le nouveau débat national : comment passer du passeport analogique au passeport biométrique avec un personnel sous-qualifié, une société désordonnée et une moitié de peuple qui explique qu'on ne peut pas photographier une femme voilée sans voile, même pour un document personnel. Le débat est posé entre trois totems des temps modernes nationaux : la modernisation, le conservatisme, le sous-développement. Un début de campagne islamiste (avec pétition, bipage à El-Qardaoui, journaux intégristes) tente de mobiliser les Algériens contre la photo d'identité, assimilée à une photo de nu qui oblige les femmes à prouver qu'elles sont des femmes et qu'elles ne sont pas une autre femme. Rappel donc: les islamistes et les conservateurs n'ont pas fait campagne contre la violence contre les femmes, ni contre les sachets bleus toxiques, ni contre la corruption nationale, ni contre le bourrage d'urne, ni contre le réchauffement climatique, ni contre le sous-logement ou le chômage. Les islamistes et les conservateurs n'ont pas daigné se mêler du débat sur l'immigration clandestine et la harga ou la réserve des changes ou les droits syndicaux. Un islamiste vous laissera voler, frauder un appel d'offres, casser les vitres d'une école ou déraciner un arbre ou écraser une tortue migratoire ou polluer le pôle Sud, mais pourra se mêler de votre habit, de votre barbe ou du voile de votre femme ou de la manière de prendre une photo d'identité et de faire des ablutions. C'est le droit de la fatwa de tous sur tout. C'est cela le débat islamiste et sa contribution nationale à la nation. Comme les vieux FLNistes, même quand ils sont jeunes, l'essentiel est dans la bouche : les nationalistes réduisent l'Algérie à une Histoire, les islamistes la réduisent à une fatwa. Au choix donc, même si le bateau crève et s'enfonce. L'essentiel est de construire une mosquée de quartier, pas une aire de jeux pour les enfants entre quatre immeubles de cité. L'essentiel est d'être en colère quand on parle de la Palestine ou de cracher à gauche quand on parle des juifs, mais de ne pas s'occuper du palier d'immeuble sale, de l'invention de la télécommande ou du reboisement du monde que tous ont sous les yeux. C'est ainsi. Et c'est pourquoi. Et c'est depuis toujours. Donc, et pour revenir à l'objet de cette chronique, c'est en même temps que le régime lance une opération «biométrie en main» que se pose le problème des structures archaïques mentales de ce pays de plus en plus affolé par la métaphysique fast-food de l'islamisme. Et ce n'est pas un hasard : il y a un effet de vases communicants entre les deux phénomènes à émulation inversée. Plus on croit moderniser un pays par des kits en package, plus il y a démonstration des résistances et remontée des crampes identitaires importées. Ainsi, c'est au moment même où le département de Zerhouni explique qu'il va numériser les documents, qu'un ban incompatible de la société se révolte contre la photo de la femme comme femme pour ses documents d'identité (la femme ne peut être qu'une femme analogique, au sens étymologique du terme). On peut donc numériser un passeport mais pas facilement un peuple. On peut falsifier un peuple mais de moins en moins un passeport. Que faire ? Un : stopper l'opération biométrie pour tous et reprendre le chemin depuis le début en essayant de moderniser la société et, ensuite, ses documents et ses passeports. Deux : on peut forcer le passage et biométriser les passeports mais avec des femmes voilées, ce qui serait inutile étant donné que l'opération vise à contrer la fraude d'identité pour des fins de banditisme et de terrorisme. Trois : on peut aussi imposer le passeport biométrique, l'empreinte numérique et les photos de femmes sans voile, mais cela provoque déjà des résistances et entame l'alliance stratégique entre le pouvoir et les courants conservateurs qui lui servent de parti unique confessionnel. Que faire donc ? Continuer tout droit. Un jour, quelqu'un va l'emporter: l'islamiste, la femme voilée, la femme dévoilée, le passeport biométrique, la modernité ou le réchauffement climatique qui va obliger tout le monde à porter des pantacourts. A la fin, il y aura un gagnant. Un. Et il sera donc tout seul sur une planète morte.