La crise financière grecque est un excellent révélateur de la nature de l'Union européenne. Au-delà de la cacophonie et des torrents de commentaires plus ou moins inspirés, ce qui apparaît clairement est le niveau très insuffisant de l'intégration économique et politique de l'UE. L'Europe apparaît pour ce qu'elle est : un vaste marché fédéré essentiellement par une monnaie unique et dénué d'un centre de coordination de la politique économique commune. La faillite de l'Etat grec, prévisible depuis des années, a éclaté au grand jour depuis deux mois, mettant à nu des pratiques publiques en matière de gestion financière dignes d'une république bananière. L'endettement public a atteint des sommets 300 milliards d'euros , non pas en raison de la crise mais du fait de l'allocation systématiquement clientéliste, souvent purement délinquante, des ressources de l'Etat. Les dysfonctionnements grecs étaient connus des spécialistes et des politiques au plus haut niveau des pays partenaires de la zone euro et au-delà. La situation des finances d'Athènes était tellement dégradée que la banque-conseil du pays, la sulfureuse Goldman-Sachs, avait participé au maquillage des comptes publics dans le but de dissimuler l'ampleur catastrophique des déficits. Il n'empêche que les marchés de capitaux auxquels la Grèce doit régulièrement recourir pour financer le fonctionnement de son économie ont réagi en affectant aux crédits consentis des taux d'intérêts de plus en plus élevés. A telle enseigne que le taux aujourd'hui imposé à la Grèce est de l'ordre de 7,5%, soit le double de ce que devrait payer l'Allemagne sur ces marchés. Athènes doit emprunter 53 milliards d'euros pour boucler ses budgets 2010. Elle a pu jusqu'à présent mobiliser 18 milliards d'euros ; les 34 qu'il reste à emprunter doivent servir à rembourser les crédits arrivés à échéance, à payer les intérêts dus et à financer le déficit public. L'Allemagne a dès le départ fait clairement savoir qu'elle n'avait absolument pas l'intention de subventionner la Grèce et que ce pays devait adopter des mesures d'austérité et accepter de passer, comme un quelconque pays sous-développé, sous les fourches caudines du FMI. La position allemande, politique plus que morale, n'est pas seulement fondée sur la tradition germanique de rigueur budgétaire et de gestion luthérienne des finances publiques. Les Allemands, exaspérés par le rôle de vache à lait et de pompier qui leur semble dévolu au nom de leur opulence, sont inquiets par l'élargissement de la crise des dettes souveraines. En effet, les marchés ont manifesté à plus d'une reprise leur volonté de s'attaquer à la monnaie européenne en profitant des défaillances de certaines économies du sud de l'Europe. Mais le danger principal vient de l'Est, des pays de la Baltique et d'Europe centrale qu'ils appartiennent ou non à la zone euro - qui doivent aujourd'hui rembourser les crédits contractés lors de la période d'euphorie qui avait précédé la crise des subprimes. La Grèce, qui bénéficiera finalement d'une solidarité européenne accordée à contrecœur, est le deuxième pays occidental, après l'Islande, à assumer une quasi-faillite. Sera-t-il le dernier ? Rien n'est moins sûr, tant l'importance des déficits de nombreux pays pose question. La crise bancaire est sans doute achevée, commence celle des emprunteurs souverains. La seconde décennie du millénaire s'ouvre sur des perspectives financières - aux implications sociales et politiques - fort problématiques.