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Au-delà de la drogue
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 17 - 07 - 2010


3ème partie
Au début de cette année le président de l'ONDUC, extrêmement préoccupé quant à la situation qui se développe au Sahel, déclare devant le Conseil de Sécurité: «Les drogues n'enrichissent pas seulement le crime organisé. Les terroristes et les forces antigouvernementales puisent des ressources du trafic de drogue pour financer leurs opérations, acheter des équipements et payer leurs troupes. «Il ne manque pas de préciser aussi que» des répercussions dans les pays voisins, au Maghreb, sont inévitables» Je doute que ce responsable nous apprenne quelque chose d'inattendu. Le Trafic de Drogue en Afghanistan a produit les mêmes effets en Asie, au Caucase, aux Balkans… et les mêmes responsables ont préconisé les mêmes panacées pour les mêmes situations : Conférences –Plan de riposte synergique visant à sensibiliser les pays limitrophes et périphériques (Pakistan-Iran...) et les pousser à faire front contre ce cancer. Il serait donc honnête de reconnaître que cette situation qui est arrivée aujourd'hui à son paroxysme en Afrique était d'une prévisibilité déconcertante. Il y a bien longtemps que l'Afrique se trouve plongée dans la barbarie (génocide, épurations ethniques, coups-d'Etat, corruption, famine, épidémies…) et comme un malheur ne vient jamais seul, les filières latino-américaines qui avaient de plus en plus de mal à pénétrer le marché européen protégé par des boucliers antidrogue sur la façade atlantique, avaient décidé de tracer de nouveaux itinéraires par ce continent oublié par l'histoire et le bon Dieu. Dès lors comment voulez-vous que cela finisse autrement que par créer ce cocktail du Diable : Drogue/Terrorisme. Tous les ingrédients étaient formidablement au rendez-vous, sauf une vigilance, une prise de conscience imminente et une solidarité internationale.
Durant le mois de février de cette année l'Institut européen Thomas-More, dont le siège est basé à Bruxelles, vient de rendre publique une étude sur l'évolution du terrorisme dans la région du Sahel. Intitulée «Pour une sécurité durable au Maghreb, une chance pour la région, un engagement pour l'Union européenne», à l'instar de nombreux observateurs qui considèrent à l'unanimité qu'il est plus qu'urgent que cette région fasse enfin l'objet d'une vigilance et un traitement particulier, cet institut déplore l'absence de coopération internationale et estime que la région constitue une menace pour l'Afrique, l'Europe et les USA. L'UE, du fait de sa proximité géographique et des liens qui l'unissent au Maghreb, devrait se sentir tout particulièrement impliquée par ces enjeux. Selon les appréciations de cet Institut, la stratégie de sécurité intérieure de l'Europe devrait manifester davantage de zèle dans le cadre «d'une meilleure prise en compte des enjeux globaux et du renforcement de la coopération avec ses voisins afin de construire un futur partagé, sécurisé et durable dans son intérêt comme dans le leur». (12)
Nul n'est mieux placé pour admonester les autres, néanmoins il est surprenant de constater chez nos voisins du Nord cette formidable empathie pour le continent noir que lorsque ces fléaux tels que le terrorisme, la drogue et l'immigration clandestine finissent par menacer leur bien-être. Car, pour arriver à embraser ces régions, il a bien fallu un temps interminable et tellement de tragédies bruyantes et surtout une indifférence totale chez ces âmes compatissantes du Nord.
Nous ne sommes ni moins, ni plus avisés que les autres, cela étant, il n'est jamais trop tard pour bien faire, finalement en mars 2010, lors de l'ouverture à Alger de la conférence ministérielle des pays de la région sahélo-saharienne, M. Mourad MEDELCI, ministre des Affaires étrangères déclare à son tour «Le terrorisme dans les pays de la région sahélo-saharienne est une grande menace pour nos populations et le développement économique.
Aujourd'hui, les terroristes sont en relation avec les bandes de trafic d'armes et de drogue, cela aggrave la situation. Cela nous oblige encore une fois à nous unir, en tant que voisins concernés par cette menace, pour combattre ensemble ce grand danger qui se profile à l'horizon.» (13)
C'est une véritable métempsychose, ce mal absolu réapparait dans des circonstances étrangement similaires. Et le plus drôle se sont nos laïus et nos prosaïques lamentations que nous nous refilons les uns aux autres qui sont tout aussi bizarrement similaires.
En Amérique Latine, en Afghanistan, et depuis quelques années en Afrique, le trafic des stupéfiants, réussissant à tisser des liens extrêmement étroits avec l'ensemble des activités criminelles transnationales et en particulier avec le Terrorisme, a commencé il y a déjà bien longtemps à représenter des menaces d'une si grande et complexe variété. Au-delà des sommes faramineuses que ce trafic mondial génère et dont on n'arrivera jamais à établir une quelconque traçabilité ni les formes multiples et néfastes de blanchiment d'argent ; au-delà des dommages irréversibles sur la santé des populations; cette gigantesque criminalité tentaculaire provoque, par onde de choc de très grande ampleur, des séismes politiques et sociaux insoupçonnés.
Duplicités et félonies dans un globe qui ne tourne pas rond
Au début de l'année en cours, lors d'une conférence rencontre sur le trafic de drogue en Afrique de l'Ouest qui s'est tenue à Dakar, M. Antonio Maria Costa, directeur exécutif de l'Office des Nations unies contre la drogue (ONUCD) a sans ambages fait le constat suivant : «Ce qui est choquant, c'est que la plupart de ces découvertes soient accidentelles. Je vous exhorte à renforcer les capacités de vos pays à intercepter les drogues et à coopérer plus étroitement avec les Etats de la région pour démanteler les réseaux criminels.» Ce message cinglant pointait du doigt le laxisme et la duplicité des pouvoirs en place.
Lors de cette même rencontre appelée «l'Initiative de Dakar» (14) tout le monde en prit pour son grade, ce fut l'occasion pour l'Afrique de faire son mea-culpa. On ne manquera pas de dénoncer l'inefficacité de la lutte menée jusqu'à présent en Afrique de l'Ouest, face aux puissants cartels de la drogue ainsi que, le déficit de coopération judiciaire entre Etats, la léthargie des comités interministériels de lutte contre la drogue ou encore l'inertie des magistrats dans les affaires de blanchiment d'argent.
Et puisque le chef de la Lutte antidrogue (ONDUC) a quand même eu dans son rapport de 2009 la bienveillance de recommander à l'Europe de réduire son appétit pour la cocaïne afin d'infléchir la demande en Afrique ; de notre côté, et tout le monde serait d'accord, nous serions énormément satisfaits si l'Europe et l'Occident réduisaient également leur insatiable appétit pour beaucoup d'autres choses : -Le pétrole – les armes –l'exploitation immodérée des ressources de la terre- leur pathologique volonté de puissance orientée exclusivement vers le profit et l'hégémonisme. Cela permettra aux Africains et à tous les misérables de la planète de souffler un peu.
En dehors d'une inflexible détermination, d'une réelle volonté politique résolue à s'attribuer tous les moyens adéquats pour mettre fin à ces calamités qui se nourrissent essentiellement des toutes nos autres défaillances et de nos extraordinaires ambivalences, tout n'est que vanité et tartufferies. Lorsqu'un pouvoir politique est corrompu ou affaibli par des contradictions et rivalités internes tenaces qui sapent son homogénéité et sa vigueur. Lorsqu'il y a trop de misère et aucune ressource permettant à un peuple de survivre, et lorsque le coup de grâce est donné par ces groupes d'intérêts tellement influents et qui ne souhaitent pas que ce business séculaire prenne fin, il y a peu d'espoir à faire aboutir sérieusement et efficacement une lutte quelconque.
Les sempiternelles lapalissades d'une UNODC dépitée
Le chef de la Lutte antidrogue de l'ONU demande aux Etats de mettre «fin à la tragédie des zones de non-droit dans les villes», estimant que si les cultures illicites se trouvent principalement dans des régions qui échappent au contrôle des gouvernements, pareillement les drogues sont essentiellement vendues dans des quartiers où l'ordre public n'est plus assuré. En terme de politiques sociales, ce responsable est convaincu comme tout le monde d'ailleurs que «des possibilités en matière de logement, d'emploi, d'éducation, de services publics et de loisirs peuvent rendre les communautés moins vulnérables aux drogues et à la criminalité», Il déplore énormément que les instruments internationaux de lutte contre la criminalité tels que les conventions des Nations Unies contre la criminalité organisée et la corruption ne soient pas fermement appliquées. Finalement et à juste titre, M Antonio Da Costa assène une vérité qui écorche «Ainsi, trop d'Etats se heurtent à des problèmes de criminalité qu'ils ont eux-mêmes favorisés.»
Il est quand même bizarre de remarquer que la moitié des solutions préconisées par l'ONU figure déjà dans notre Loi d'Orientation de la Ville (Loi N°06-06du 20/02/2006) où on peut y déceler comme promesses assez ambitieuses (Art : 6) : «La réduction des disparités inter-quartiers et la promotion de la cohésion sociale. La résorption de l'habitat précaire et insalubre. La garantie et la généralisation des services publics, particulièrement ceux chargés de la santé, de l'éducation, de la formation, du tourisme, de la culture, du sport et des loisirs. La lutte contre les fléaux sociaux, la marginalisation, la délinquance, la pauvreté et le chômage…» De la coupe aux lèvres, il y a du chemin à faire.
Le grand bizutage de l'Algérie : Une virginité nationale mise à rude épreuve
Personne n'y prêtera attention le 26 juin prochain à la Journée Mondiale de la Lutte contre la Toxicomanie. Un autre événement, une autre drogue sera là pour booster les adrénalines, réinstaller la magie et l'espoir et créer d'immenses espaces d'exutoires et de séances cathartiques. La Coupe du monde suppléera le cannabis et titillera gratuitement nos endorphines.
Nous avons tant de peine à voir ces journées mondiales telles le réchauffement climatique, les énergies non-renouvelables, l'Eau… revenir chaque année dans l'indifférence la plus totale, entêtées et avec la même élégance funeste que celle de Cassandre pour nous annoncer invariablement que le pire est toujours pour demain, dans l'espoir de susciter en nous l'amendement salutaire.
Certes l'Algérie n'est pas un pays producteur de quoi que ce soit hormis les hydrocarbures et la corruption, les quelques insignifiantes tentatives étouffées dans l'œuf (Bejaia, Tizi-ouzou, Adrar) n'atténuent pas pour autant le danger réel qui menace le pays.
En 1975, on enregistrait en Algérie une saisie de 3tonnes de cannabis, une aberration en ces temps là mais une quantité si insignifiante pour nous aujourd'hui car on pourrait sans le moindre risque s'approvisionner dans les mêmes proportions rien qu'en déambulant sur les plages de l'ouest algérien, d'importantes cargaisons sont souvent rejetées par la mer. Reconnaissons au moins que cette Algérie d'antan qui propageait la pensée unique mettait proportionnellement en œuvre pour le bien de ses enfants la tolérance zéro. Ce qui n'est plus le cas aujourd'hui pour toutes les formes de criminalité.
En dépit de la panoplie de moyens répressifs, préventifs et pédagogiques aménagés dans le cadre de cette lutte, le pays a enregistré ces dernières années une hausse spectaculaire au niveau des quantités de drogue saisies. En 2007, le directeur de l'ONLDT, M. Abdelmalek Sayah invité de l'émission «Fil Wadjiha» de la Chaîne I de la Radio algérienne n'avait pas manqué de souligner avec franchise la difficulté que représentait cette lutte de longue haleine. «Nous ne savons pas quelle est la quantité de drogue qui entre en Algérie. Ces chiffres représentent uniquement les saisies des services de sécurité. Nous avons 6000 km de frontières et 1200 km de côtes qui nécessitent bien plus de moyens humains et matériels pour mieux les surveiller.» A suivre
* Enseignant -Mostaganem
Notes :
(12) L'institut Thomas-More est un centre de réflexion et d'influence européenne indépendant, créé en 2003.
*Le 25 février 2010, les ministres de l'Intérieur de l'Union européenne ont adopté la première Stratégie de Sécurité Intérieure pour l'UE. Le document insiste sur « 'interdépendance entre sécurité intérieure et sécurité extérieure « et sur la nécessité d'élaborer « une approche de sécurité globale à l'égard des pays tiers «, dont ceux du Maghreb.
(13) 17 Mars 2010, Le jour d'Algérie- Sofiane Abi
(14)»L'Initiative de Dakar» est un sommet ayant pour objectif de stopper la menace grandissante que fait peser le trafic de la drogue et du terrorisme sur l'ensemble de la région du Sahel, du Maghreb et certainement dans un avenir proche sur l'Europe. Cette Conférence s'est tenue le 15 février 2010 et visait à renforcer la coopération policière entre sept Etats de la région (Gambie, Guinée-Bissau, Guinée, Cap-Vert, Mali, Mauritanie et Sénégal), et à laquelle ont participé les Ministres de l'intérieur français et espagnol


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