Primes de nuisance, conditions de travail, révision des grilles de salaires , la liste des revendications est longue pour les travailleurs de quart, secteur production de GNL 1, Sonatrach, à Oran. Si la grogne n'est pas encore du domaine public, la menace de grève est déjà dans les airs et les pétitions circulent. Premier couac de l'après-Khelil et de ses promesses non tenues expliquent les cadres et employés. Une pétition signée par la majorité des travailleurs du segment «production» de GNL 1, près de 1.200 au total, a été adressée depuis quelques jours au nouveau président-directeur général du groupe Sonatrach et «jusqu'à ce jour, nous n'avons reçu aucune réponse», explique l'un des cadres pétitionnaires, «sauf celle des intimidations et menaces». Le geste a fait l'effet d'une bombe au sein du complexe Bethioua et semble commencer à faire tache d'huile dans les autres zones qui commencent à s'organiser sur la même base de revendication et celle des systèmes de rémunérations. De quoi s'agit-il ? «Pour comprendre cette crise, il faut remonter à loin, à l'époque de l'ex-ministre de l'Energie et à la crise née de la fuite des cadres du groupe vers les pays du Golfe entre autres». La saignée, à cette époque, (on est en 2006) pour causes salariales évidentes et de conditions de travail «et de motivation et de respect des compétences», a été si importante qu'elle avait provoqué une sorte de réaction par une palette de promesses faite pour remédier au déficit salarial. «Un cabinet d'audit a été engagé à l'époque (BM Towers Perrin) pour confectionner une grille selon les schémas standards internationaux et au regard du poids de Sonatrach dans le marché international et son classement parmi les majors. Les résultats de cette étude ont été jugés politiquement incorrects», précise notre source. C'est ce que les «patrons syndicaux» appellent «l'environnement national» à respecter. Explications: un salaire de 2.000 euros est presque «une banalité ailleurs mais pour la direction de Sonatrach cela équivaut à une fortune quand il s'agit des employés», avec l'effet latéral «national» pour une entreprise vue «comme un Etat dans l'Etat». Résultat des courses, l'audit sera rejeté et une nouvelle commande sera faite pour un autre schéma de rémunérations. «Dès 2007, le cabinet du nom de BM Towers Perrin fabriquera une grille, sur mesure, et selon les humeurs du staff dirigeant de cette époque», expliquera notre source. C'est-à-dire, selon ces signataires, un schéma de salaires qui «rémunère encore le poste et pas la performance ou le statut réel et la responsabilité ou la plus-value». Pire encore, le schéma organique pour les nouvelles rémunérations sera laissé aux «soins de la base», c'est-à-dire sous l'autorité directe de certains cadres, ce qui provoquera de vives tensions. Dans l'impossibilité de résoudre «ce faux problème», les travailleurs du secteur production seront donc «calmés par une série de promesses pour des augmentations qui devaient survenir toujours au début de l'année qui suit». Après avoir soutenu que la nouvelle grille sera appliquée janvier 2007, «on se retrouvera à janvier 2008 sans rien de nouveau». Début 2009, décision sera prise d'intégrer, selon nos sources, «toutes les primes dans le salaire de base» et de renverser la formule des salaires de base moins importants que les primes. Un salaire qui se fera donc lourdement greffer par les impôts à la source et signifiera une basse de salaire «en vérité». «Il est convenu qu'en intégrant les primes dans le salaire de base, ce même salaire sera enrichi par un autre système de primes. On nous enverra donc des fiches de positionnement pour spécifier les charges et fonctions de chacun et cela aboutira à une autre crise de confiance encore plus dure», précise l'une de nos sources. La situation devant être réglée fin 2009 «mais le cafouillage était total et personne ne comprenait plus le nouveau système de salaire ni les pourcentages réels d'augmentations ni ce que l'on voulait faire vraiment». «Quand les étrangers viennent en visite, on nous habille » «Ce qu'on demande aujourd'hui, c'est que cette situation soit réglée une fois pour toutes», expliquent les travailleurs de la zone de Bethioua, service production. «C'est beau de nous répéter que nous sommes le nerf de la guerre de Sonatrach et que le secteur de production est le plus stratégique mais dans le réel, ce sont les administrateurs qui sont mieux payés que nous et selon des heures de bureau. Les permanences nocturnes, les chaises cassées, les mauvaises conditions de travail et l'hygiène défectueuse sont pour nous». La pétition, d'abord adressée à la direction locale avant la direction du groupe, porte une large palette de revendications socioprofessionnelles selon les signataires qui dénoncent une marginalisation et une démotivation totale. La pétition fait cas de quelques cas de «litiges» avec une liste de «problèmes» : l'indemnité ITP (calculée selon l'ancien salaire de base et du SNMG), la prime de nuisance (inchangée depuis des décennies selon les pétitionnaires), le panier (encore à 200 DA), les conditions de travail (équipements, mobiliers, pénibilité du travail «Quand des Américains ou des étrangers viennent, on nous habille et on nous maquille presque ), le suivi médical (de pure routine et sans aucune prise en charge réelle, explique notre source), l'âge d'accès à la retraite anticipée qui doit prendre en cas la pénibilité du travail et la rémunération des heures supplémentaires en fonction du nouveau salaire de base.» La grogne, qui semble cette fois-ci très sérieuse, «n'a pas eu besoin de mobilisation syndicale», explique l'un de nos interlocuteurs. « Vous savez, le syndicat ne signifie rien pour nous: on est tous membres de l'UGTA d'office et sans qu'on le sache. A la fin de l'année, 200 DA sont amputés de votre salaire, à la source, comme frais de cotisations et on vous envoie votre carte d'adhérent alors que vous ne l'avez même pas demandée». Cette protesta semble donc s'organiser au-delà du verrou de sécurité du syndicat «unique» et met le doigt sur l'un des aspects de la crise que vit Sonatrach depuis le départ de Khelil et l'éclatement du scandale lié à la gestion de son staff dirigeant. «Depuis quelques mois, tout est bloqué. Pour les promotions, là aussi le blocage est maintenu depuis près de trois ans, sous prétexte que l'on devait attendre le nouveau système de rémunération qui ne vient pas». En clair, la réponse « à la fuite des cadres est une plaisanterie: les cadres de Sonatrach continuent à partir et pour les mêmes raisons: salaires, respect, carrières, perspectives de carrière et recherche de nouveaux challenges». Le «gros problème de Sonatrach est son système de salaires: il est encore sous la coupe de l'esprit égalitaire et socialiste, ses positionnements de postes font peu de cas des métiers de production par rapport aux métiers d'administration, le poids de politique sociale y est encore important». L'autre grief est que le nouveau système de salaires, «outre ses promesses non tenues, et l'immense coût de cafouillage qu'il a introduit, celui-ci a été pensé en excluant les travailleurs et en associant un faux syndicat presque plus représentatif depuis des décennies».