Plus de treize mille boulangeries vont fermer boutique d'ici à quelques semaines, s'offusquait à grosse manchette hier un journal s'exprimant dans la langue d'El-Djahidh. L'«info» a en effet de quoi donner du mouron dans un pays où faire manger le peuple à sa faim est la première mission de service public à ne jamais prendre par-dessus la jambe depuis que le soleil de la liberté brille de son feu blafard sur le pays. Mais un pays qui a tant versé de sang pour se vacciner contre toutes les formes de dépendance, fussent-elles alimentaires, est-il devenu le théâtre parfait des paradoxes au point où l'on peut à la fois, dans le même pays et sur le même sol, la même ville, le même village et le même douar, mourir pour avoir mangé jusqu'à l'étouffement et manquer en même temps d'une triviale baguette de pain ordinaire au risque de mourir d'une grosse dalle ? Et si le peuple est menacé de mourir faute d'hostie à cause de la fermeture «programmée» de centaines de boulangeries du pays qui ne peuvent plus gagner leur pain honnêtement, que va-t-on alors «boustifailler» pour vivre, en attendant que le pays exporte ses premières cargaisons de blé vers des pays où l'on ne mange pas toujours à sa faim ? Tout alarmisme de mauvais aloi mis à part comme dirait l'autre, qui peut imaginer ce qui va réellement se passer si le peuple devient alimentairement dépendant ? Ici scénario-catastrophe du village de Sidi Djiâane, victime du plus terrible des complots jamais ourdi par aucune main étrangère : une pénurie de pain, voulue par le peuple des ventripotents contre le peuple des ventres creux. Un jour ordinaire, correspondant au pénultième jour de l'année du calendrier lunaire, le village de Sidi Djiâane se réveilla sans aucun quignon de pain à deux kilomètres à la ronde. Et pour éviter que leurs marmailles ne meurent sous leurs yeux exorbités du plus trivial des trépas, les villageois décidèrent de brûler toutes les terres fertiles pour éviter que le blé arrosé de leur sueur trop froide ne soit transformé en pain doré, mangé cru par des gens, vivant sur les hauteurs inexpugnables du pays, et qui n'attendent jamais d'avoir faim pour ouvrir leurs estomacs aux quatre vents. Démarrant du principe suicidaire que le meilleur moyen d'«éduquer» un peuple, c'est de le priver de son pain béni, on décida de fermer toutes les boutiques à pain du pays et les remplacer par des bons de rationnement à ne distribuer qu'à ceux qui ne veulent plus manger de gâteaux avec un morceau de pain blanc en guise de dessert facultatif. L'histoire dira, ensuite, qu'à raison de mille et une bouches nourries par chaque boulangerie, cela fait treize millions d'Algériens qui seront privés de torgnole. Une horreur absolue. Pire qu'une guerre civile où qu'une arme dite «sale», le pays sera mis en situation de danger tel que tous les vendeurs «légaux» de pain, encore en activité, seront tous placés en liberté surveillée et n'auront droit à retirer leurs mains empâtées du pétrin de leur vie que le temps trop court de manger de petites miettes rassises, tombées de la table géante des mangeurs de destins castrés et des dévoreurs de vocations détournées. Ainsi, faute de miche ordinaire, des gâteaux faussement améliorés furent fabriqués et distribués à volonté au peuple affamé, qui mourut lui-même d'une occlusion intestinale, un sourire jaune figé sur ses lèvres cousues de fil de fer doré