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El Djahidh, épîtres politiques
Les piliers du pouvoir en Islam classique
Publié dans El Watan le 17 - 11 - 2005

Mort sous les livres de sa bibliothèque tombée sur lui en ayant vécu 93 ans, Abou Othmane Ibn Bahr (775-868), El Djahidh, aura connu de son vivant le règne de dix califes de la dynastie abbasside, dont plusieurs illustres tels El Mahdi (775-785) Haroun Rachid (786-809), El Amine (809-813), El Maâmoun (813-833), Al Moatassam (833-842), Al Waâthiq (842-847), Al Moutawakil (847-861), El Mountassar (861-862), Al Mousta'in (862-866), Al Mou'tazz (866-869) etc.
En son temps, la lutte politique pour le pouvoir a fait rage non seulement à l'intérieur de la dynastie, mais au sein même des familles entre des frères ennemis avant d'ouvrir la voie à l'affaiblissement du pouvoir central califal qui déboucha sur l'assassinat du quatrième calife, El Haâdi sur ordre de El Khayzourane la propre mère de son jeune frère Haroun Rachid puis l'assassinat d'El Amine le sixième calife pour les mêmes raisons de succession, mais aussi du dixième calife El Motawwakil assassiné par son propre fils Al Mountassar appuyé par la junte militaire turque seldjoukide dès 847, qui était devenue petit à petit la garde prétorienne califale avant de s'emparer du pouvoir pour son propre et exclusif compte, lequel calife sera lui aussi assassiné par sa garde prétorienne qui portera au pouvoir son successeur, El Mousta'in, pour l'assassiner ensuite et porter son successeur Al Mou'tazz au pouvoir pour encore une fois l'assassiner lui aussi. Le pouvoir dynastique va devenir une simple virtualité et une réelle formalité à côté du pouvoir effectif de la garde prétorienne turque. L'observation aiguë et prudente de cette vie politique tumultueuse avec ses violences et ses régicides (assassinats infanticides, fratricides, parricides, etc.), conduira El Djahidh à toujours se tenir à distance du palais, de ses institutions et de ses sollicitations et surtout à cultiver une certaine liberté et une relative autonomie, y compris à l'époque faste des puissants califes rationalistes qui protégèrent les intellectuels à l'instar de Haroun Rachid, El Amine et surtout El Mamoune. Les épîtres politiques d'El Djahidh sont peu connues, hélas, enterrées par la paresse des médiocres ou contournées par des escrocs qui manipulent la figure charismatique de ce rationaliste quelque peu libertaire. Malgré leur importance (Rassaïl Al Djahidh, Manchourat Dar wa maktabat Al Hilal, Beyrouth, 1987, 646 pages), elles n'ont été réunies que fort tardivement dans un des trois tomes consacrés aux épîtres dont nous allons présenter quelques-unes qui ont un lien direct avec nos préoccupations de ce jour et avec la suite de notre travail sur les Lumières en domaine arabo-musulman classique, mais en lien certain avec les actualités brûlantes. Dans l'introduction générale du tome trois, le présentateur commentateur de ces épîtres, Ali Abou Malkham, écrit au sujet de ces épîtres pour clarifier la notion de politique chez El Djahidh, et dit ce qui suit : (la traduction intégrale est de votre serviteur, je ne le répèterai plus) « Les épîtres traitent de six questions essentielles. La première concerne la notion ou le concept de politique, ses racines et la manière de désigner le souverain. El Djahidh a compris la politique comme étant l'art de l'administration et de la conduite des affaires publiques et de la vie des personnes. Souvent, il lui arrive d'employer le terme politique pour parler de la conduite ou de l'administration des affaires publiques. Pour lui, la politique a deux sources ou fondements : l'intérêt et la terreur. C'est pourquoi, la politique civique s'accorde avec la politique religieuse. A l'exemple de ce qu'Allah promet à ses créatures comme récompense, le Paradis, ou encore comme châtiment, l'Enfer, la conception de la politique chez El Djahidh semble se conformer aux principes mu'tazilites dont un des cinq arcanes s'avère être la promesse et la menace. » (op cit. p.5) Ali Abou Malkham énumère dans son introduction générale les chapitres qui réunissent les épîtres et qu'il précise comme suit, à savoir que le premier traite de la notion de politique (épître du maach - le vécu - et du maad - le projet) et du mode de désignation du souverain (épîtres Al Othmania, et l'épître Al hakimine). Le second chapitre porte sur la territorialité politique ou les relations de l'homme à sa patrie d'origine (épître des pays et des patries, ainsi que l'épître consacrée aux Turcs et aux armées califales). La troisième analyse, les compétitions et les luttes entre les partis politiques à savoir les chiites, les Abbassides et les Othmaniens auxquels il réserve trois sections. Le quatrième porte sur les luttes claniques et tribales. Le cinquième porte sur le communautarisme et enfin le sixième et dernier chapitre qui est un additif à l'étude sur la politique traite de l'administration et du corps administratif au service du calife. El Djahidh écrit dans une des sections du premier chapitre : « ...Allah a su qu'ils ne s'éduqueraient qu'avec la discipline, et que celle-ci suppose l'ordre et l'interdit. Ces derniers ne sont fonctionnels pour eux que par l'intérêt (le Paradis) et par la terreur (l'Enfer)... » (p.73) Toutefois, El Djahidh précise que l'intérêt et la terreur se modulent sur les limites de la raison, selon des prescriptions dans la Sourate où il est explicitement dit : « Quiconque prodigue une once de bienfait en récoltera du Bien et quiconque commet une once de méfaits en paiera le prix ». (Coran). Traitant de patriotisme ou de l'amour de la patrie, El Djahidh écrit dans ce chapitre second : « Tu as oublié qu'Allah t'accorde une longue vie, l'influence des espaces, l'action des temps et les traces qu'ils laissent dans l'imaginaire et les mœurs, ainsi que dans les imaginations et les créations littéraires, de même que sur les langues et les désirs, sur les propriétés et sur les techniques et tout ce qu'en la matière Allah aura prodigué avec sagesse attentionnée et avec conduite extraordinaire... (épîtres d'El Djahidh, op. cit. p. 99) Et sache, qu'Allah fasse durer ton souffle, que toutes les fois qu'on avance, la citation de ce qui est dernier et qu'on recule celle de ce qui est prioritaire, l'ordre en est perturbé et les hiérarchies sont disloquées. (op. cit. p.100) » Si dans les deux premiers chapitres, El Djahidh tente d'exposer les sources du pouvoir à partir des habitudes des peuples et tout particulièrement à partir de déterminations spatio-temporelles qui se matérialisent dans les mœurs et dans les coutumes et qui obéissent souvent aux réflexes conditionnés par la récompense ou par le châtiment dans une logique qui fait de la justice et de l'égalité les principes politiques cardinaux (sections 4 et 5 du chapitre I, page 72 à 76), tout le reste de ce premier chapitre traite des comportements des gens et se termine sur des considérations sur la politique du souverain (section 17 p. 91/92).
*(Jahédhiade de circonstance)


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