Dès la descente de l'avion sur Le Caire, un simple coup d'œil à travers le hublot permet de constater un changement majeur après une semaine de manifestations historiques contre le président Hosni Moubarak: les grands axes perpétuellement encombrés sont vides. A l'aéroport, le terminal des arrivées, quasi-désert, contraste avec celui des départs, où des centaines de touristes attendent dans la confusion un vol pour échapper au chaos. «Honnêtement, vous arrivez à un très mauvais moment», explique un agent d'immigration. Un couvre-feu est en vigueur au Caire, à Suez et à Alexandrie de 15h00 à 08h00, et des chars militaires stationnent sur les grandes routes et devant les bâtiments officiels. Mais face aux pillages, les citoyens ont pris leur sécurité en main et mis en place leurs propres postes de contrôle pour protéger leurs habitations. Sur le parking de l'aéroport, les taxis ne se bousculent pas, et personne ne veut prendre le risque de braver le couvre-feu. Un chauffeur de minibus accepte cependant, contre l'avis de son patron, de prendre en charge un petit groupe. Il est 21h00, à peine le début de la soirée pour les Egyptiens, mais l'autoroute est étrangement vide, et le minibus fonce... Jusqu'au premier barrage. Un char est au milieu de la route. Un soldat se penche à l'intérieur du véhicule, puis lui fait signe de passer après un rapide coup d'œil à la carte d'identité du chauffeur. Après un deuxième poste de contrôle militaire, puis un troisième, le groupe rencontre son premier barrage civil dans le quartier huppé d'Héliopolis. Cinq hommes armés de fusils, de couteaux, de pistolets et de barres de fer observent attentivement la carte d'identité du chauffeur, et le laissent passer. Les contrôles se multiplient, et le minibus est obligé de s'arrêter tous les 500 mètres. La plupart sont tenus par des hommes, assis sur des chaises en plastique à côté de braseros ou frappant les pieds par terre pour lutter contre le froid. Parfois, des femmes montent aussi la garde, et des jeunes garçons jettent un coup d'œil dans le minibus avec curiosité. A chaque fois, le soupçon initial disparaît à l'apparition des passeports étrangers des passagers. «Bienvenue!», s'écrie un homme en faisant signe au minibus de passer, un petit pistolet à la main. «Des touristes, des touristes», s'écrie un autre en direction du poste de contrôle suivant. Et souvent, les gardes improvisés s'excusent: «Nous sommes désolés. Nous essayons simplement de nous protéger», déclare l'un d'eux. Rapidement, les passagers se mettent à compter les arrêts. Au 5e, une agitation soudaine pousse deux soldats à lever leur arme en courant le long du minibus, qui s'éloigne en hâte. Au 37e, un homme fume la pipe à eau pendant que ses voisins font signe au minibus de passer. Au 44e, les habitants tentent quelques mots d'italien, même si personne à bord ne peut répondre dans cette langue. Après plus que 70 arrêts, le chauffeur dépose ses passagers les uns après les autres, et leur promet: «Ceci n'est pas normal. Cela n'arrive qu'une fois tous les 30 ans».