A peine un an après son adoption de la loi consacrant l'indemnisation des victimes de ses essais nucléaires, l'Etat français a reçu à ce jour, à cet effet, 47 demandes d'Algériens, dont 30 émanant de militaires. L'ambassadeur de France en Algérie a tenu hier à évoquer, lors d'une conférence de presse, le sujet, parce que, a-t-il dit, « on lit des tas de choses fausses dans la presse ». Xavier Driencourt a rappelé que la loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français a été adoptée le 5 janvier 2010 et détaillée par un décret signé le 11 juin de la même année. Elle est applicable à deux nationalités, algérienne et polynésienne. « C'est un texte important parce que c'est la première fois que le gouvernement français reconnaît les victimes des essais nucléaires et, en se refondant sur cette reconnaissance, il a prévu de les indemniser», a expliqué l'ambassadeur. Il note ainsi que «le dispositif est aujourd'hui opérationnel» et précise que «la loi n'est pas discriminatoire puisque les Algériens sont traités exactement comme les Français ou les Polynésiens», (la Polynésie étant toujours sous juridiction française.) Selon lui, «la loi leur reconnaît les mêmes droits». Pour les rappels de l'histoire, la France a procédé à des essais nucléaires en Algérie (Reggane) entre le 2 février 1960 et le 31 décembre 1967, et en Polynésie de 1968 à 1996. Le diplomate français a précisé les modalités pratiques d'indemnisation de ces victimes par l'Etat français. «Pour savoir si une personne en a été victime, il faut qu'elle prouve qu'elle a été exposée aux effets de ces essais dans certaines zones et pendant une certaine période»: c'est, dit-il, la première condition. « Qu'elle a été victime de radiations, atteinte alors d'un des 18 cancers répertoriés dans la liste établie par la loi française», en est la seconde. Driencourt fera savoir que les victimes n'ont pas à se déplacer en France pour faire valoir leur droit. «Elles envoient leurs dossiers au service français chargé des Anciens combattants algériens (au Télemly, à Alger, où s'est tenue hier la conférence de presse): c'est lui qui se chargera de les envoyer en France, à la commission nationale qui les examinera», explique-t-il. La commission en question est composée de deux magistrats et de 5 médecins spécialistes, tel que défini par l'arrêté du 3 avril 2010. Le directeur général de ce bureau, qui était à ses côtés, indiquera que «la commission nationale française a reçu 47 demandes d'Algériens, 30 émanant de militaires de l'armée française ou de l'armée algérienne et 17 autres de civils». Philipe Pagès dira aussi qu'«aucune décision n'a été encore arrêtée à propos de ces demandes». L'indemnisation est prévue sous forme de capital forfaitaire et global incluant l'ensemble des préjudices, précise Pagès, «compris le coût des soins». En cas de décès des victimes, les ascendants - veuve ou enfants -, ajoutera-t-il, peuvent prétendre aux indemnisations prévues par la loi. A une question insistante pour savoir si les enfants nés avec des malformations dues aux radiations pouvaient bénéficier de ce même droit, le responsable du bureau des anciens combattants algériens répondra «ce n'est pas dans le dispositif prévu par la loi ». L'ambassadeur le conforte dans ses propos et ajoute que «la loi prévoit l'indemnisation des victimes». «Il est trop tôt pour réviser la loi» Il ajoutera sur un ton à la limite de la dérision: «Ce ne sont pas les médias qui font la loi, ce sont l'Assemblée nationale et le Sénat». Il nuancera cependant sa réponse en précisant que «le dispositif législatif n'est pas complètement figé. L'article 7 de la loi prévoit que la commission nationale peut en proposer des améliorations ou des révisions qu'elle remettra sous forme de recommandations au gouvernement français». Il estime que « jusqu'en 2010, le sujet était tabou! Pour l'instant, il faut appliquer la loi, on verra si la commission doit proposer sa révision dans 2 ou 5 ans peut-être, parce qu'il est trop tôt pour la réviser ». La France n'a à ce jour aucune estimation du nombre des victimes. «C'est pour cela qu'il faut informer pour que les victimes sachent qu'il y a une loi», dit l'ambassadeur. En fait, les deux responsables français ont fait de « la décristallisation des pensions militaires versées aux anciens soldats de l'armée française» leur premier dossier de discussion dans leur conférence de presse. « La revalorisation des pensions militaires est un sujet important parce qu'il y a beaucoup d'Algériens qui ont fait leur service militaire au sein de l'armée française ou combattu durant la Seconde Guerre mondiale ou la guerre d'Indochine », a dit l'ambassadeur. Rouvert en mai 2009 par le secrétaire d'Etat français aux Anciens combattants, le bureau d'Alger a recensé une population de 47.500 pensionnés, qui vont l'être ou alors des ayants droit, essentiellement les veuves qui sont au nombre de 11.000. L'ambassadeur rappelle que ce système de pension a connu trois grandes réformes, « celle introduite en 2002 qui a permis aux retraites des combattants versées à tous ceux qui ont combattu dans l'armée française de tripler, celle en 2007 où les pensions militaires d'invalidité du combattant ont été multipliées par 4,25 et une dernière en 2011 revalorisant les pensions pour ceux d'entre eux qui ont cumulé 15 ans dans l'armée française». Le montant global des pensions versées aux anciens combattants algériens est de 71,8 millions d'euros. Driencourt estime ainsi que «c'est un effort financier important. La France n'oublie pas les anciens combattants algériens ». Il ne cachera pas que «le film «Indigènes» a certainement joué pour avoir ces revalorisations». Et, ajoute-t-il, «la révision des accords de 68 n'a rien à voir avec ça». «Un statut précis pour ceux morts pour la France» Philipe Pagès fait avoir que le bureau d'Alger leur offre, 3 jours par mois (aussi au consulat d'Annaba et d'Oran), des services administratifs, sociaux et médicaux. «C'est une aide financière exceptionnelle et les consultations médicales sont gratuites», note-t-il. Il dénombre 350 combattants grands blessés de guerre (besoins d'appareillages orthopédiques). L'ambassadeur précise que le surcoût engendré par les revalorisations des pensions militaires décidées cette année est de l'ordre de 20 millions d'euros sur un total global de 40 millions d'euros que l'Etat français verse à ses «combattants» à travers le monde. «Ce qui explique l'importance de l'histoire militaire entre les deux pays», dit-il. Ces nouvelles augmentations entreront en vigueur en juin prochain. Il est demandé par ailleurs aux pensionnés de se rapprocher du bureau d'Alger pour bénéficier du point indiciaire. Il n'est pas trop tard pour les combattants qui n'ont jamais eu de dossier de le demander. «Ne vous en faites pas, tous les combattants l'ont déposé», affirme l'ambassadeur avec un sourire. Philipe Pagès indique que ses services reçoivent 10.000 demandes de régularisation par an. Il est souligné que «les seuls ayants droit à ces pensions sont les orphelins de guerre ou encore les pupilles de la Nation, enfants de combattants morts au combat». L'ambassadeur explique qu' «il existe une mention juridique très précise dans ce cas, «mort pour la France», avec un statut officiel très précis». Il rappelle que «jusqu'en 2004, beaucoup n'ont pas été adoptés par l'Etat algérien ; cette qualité doit leur être reconnue par les tribunaux de Paris. La France peut à ce jour le faire. On a eu plus de 300 cas ». Interrogé sur le cas des Algériens faits prisonniers par la France pendant la guerre de libération et attachés au point zéro, l'ambassadeur répond simplement: «On n'en a jamais parlé, ce n'est pas avéré ». Acculé quelque peu sur les changements que risque de connaître le visa Schengen après la tenue, mardi dernier, du sommet franco-italien sur les «nouveaux» flux migratoires, Driencourt refusera d'en parler et lâchera au passage que «Moi aussi, je pourrais parler des visas que le Consulat algérien en France ne donne pas aux Français, j'ai beaucoup de cas ».