«La méconnaissance des droits civiques et la peur de l'Administration», c'est par cet intitulé que peut se résumer le conflit citoyen-administration. David contre Goliath en présence d'une machine impitoyable et impersonnelle en l'Administration toute puissante qui s'apparente, dans la logique populaire, à l'Etat. Avoir à faire à l'Administration, sous toutes ses coutures, était presque sans issue pour le commun des citoyens et il ne fallait même pas penser à la traîner en justice. Cette donne, pour peu que les textes soient suivis d'effets sur le terrain, devra changer et avec elle la perception de la toute-puissance de l'Administration. En effet, dans un entretien accordé à l'APS, le directeur des affaires civiles et sceaux de l'Etat au ministère de la Justice, Ahmed Ali Salah, est revenu sur l'installation des tribunaux administratifs, pour plus d'efficacité dans le traitement des affaires, et qui vont remplacer, graduellement, les chambres administratives avec notamment une spécialisation plus poussée des magistrats et du greffe. Ce glissement répond à l'application de l'article 152 de la Constitution qui prévoit un ordre judiciaire ordinaire et un ordre administratif, indépendants l'un de l'autre. Pour M. Ali Salah, si les moyens législatifs sont à présent réunis, il reste la formation spécialisée qui demande plus de temps. Ainsi, les onze tribunaux administratifs ont déjà été installés à Alger, Sidi Bel-Abbès, Constantine, Oran, Batna, Guelma, Jijel, Oum El-Bouaghi, Medéa, Djelfa, Tiaret, le 12ème devant être installé, aujourd'hui, à Ouargla, avec l'objectif d'installer un tribunal administratif dans chaque wilaya, devront traiter du contentieux, qu'il soit social, commercial ou foncier, entre le citoyen et l'Administration. Dans ce bras de fer, le code de procédure civile et administrative a donné de «larges prérogatives» au juge en lui conférant, entre autres, la possibilité d'ordonner, au cours d'une instruction, l'administration de remettre des documents relatifs au contentieux sous peine d'astreinte. Ces tribunaux administratifs permettront au citoyen de poursuivre l'Administration devant la justice en cas de conflit. La législation administrative concerne tout conflit où sont impliqués individuellement ou collectivement l'Etat, la wilaya, les assemblées populaires des wilayas et des communes (APW, APC), les institutions administratives et les organisations professionnelles ou les ministères. Le directeur des affaires civiles et sceaux de l'Etat au ministère de la Justice, pour illustrer la nouvelle donne, donne l'exemple d'un citoyen à qui l'Administration par exemple a réquisitionné le passeport, a le droit d'actionner une affaire devant le tribunal administratif, qui doit statuer en référé dans les 24 heures. Un référé introduit par souci de protection des libertés individuelles et collectives des citoyens face à de probables dépassements de l'Administration. Ainsi, le mot est lâché et ce dont le citoyen algérien vivait en permanence vient d'être épinglé officiellement par un cadre au ministère de la Justice. Dépassements pour les uns, hogra pour les autres, ces tribunaux administratifs sont là pour y remédier. L'autre illustration est donnée à travers l'exemple d'un citoyen dont l'habitation risque d'être détruite par l'APC, pour peu que l'action soit motivée. Ces tribunaux peuvent également statuer, toujours par voix de référé, et s'ils sont saisis par des citoyens, les marchés publics quand les règles de la concurrence ne sont pas respectées et le juge administratif peut différer la passation du contrat du marché. Mais la grande question reste l'application effective de ces textes de loi et de l'exécution des décisions de justice. M. Salah s'est voulu rassurant en rappelant que la loi en vigueur, depuis 2009, permet l'exécution de la décision par saisie quand il s'agit d'un bien ou d'une dette, mais aussi par astreinte. La force publique peut intervenir dans certains cas comme libérer un local ou une habitation. Comme arsenal «répressif» contre l'Administration, le législateur a aussi admis le principe de l'astreinte financière journalière à l'administration qui refuse d'exécuter une décision judiciaire et si elle persiste, le pénal est saisi à la demande de l'intéressé, pour dilapidation de biens de l'Etat. L'article 138 bis du code pénal incrimine et punit par la prison tout responsable qui entrave ou refuse d'exécuter une décision de justice, ce qui a fait que l'exécution des décisions de justice administrative se situe à 95%, relève le magistrat. Parmi les affaires en instance, sujet de la contestation contre l'Administration, la légalité et les dédommagements dans la cadre de l'expropriation au profit des grands projets, tels que les autoroutes, les barrages d'eau. En résumé et comme le souligne M. Saleh, «il n'y a aucun acte qu'on peut considérer comme un fait du prince et tous les actes de l'administration peuvent être remis en cause, et sont soumises au contrôle et à l'appréciation de la justice».