Une secousse tellurique a traversé l'Algérie, les mers et les océans, porteuse de la triste nouvelle : «le maître n'est plus». C'est un véritable tremblement de terre qui a plongé tous vos élèves et vos amis dans l'émoi et la tristesse. Nous savions pourtant que vous aviez engagé l'ultime combat contre l'aigle de la mort. Mais c'est la destinée de tout humain d'être voué à la finitude et de revenir vers le seigneur des mondes. Cette présence, cette sagesse réconfortante dans des moments difficiles et d'égarement n'est plus là. Le souvenir permanent de la mémoire, des sacrifices et le serment d'Aït Idir et de tous vos compagnons d'armes, vous ont toujours portés et fait vibrer dans tous vos choix et actions aussi bien dans la vie de responsable et de carrière de chirurgien et d'université. Vous n'aviez jamais failli. Vous nous aviez transmis ces valeurs, elles nous ont nourris au quotidien. Nous avons interrogé le mystère du cosmos et nous avons imploré Allah Tout-Puissant pour que l'écho de la douleur de votre fils Samir soit entendu et qu'Allah vous épargne les souffrances, qu'il prolonge votre vie et peut-être un dernier sursaut pour être debout et continuer à nous éclairer dans ces moments difficiles et incertains. Nous vous pleurons dans le silence de la nuit, mais c'est la volonté divine, car il n'y a rien d'éternel, tout périt, il n'y a que le bien qui immortalise dans les lieux et les mémoires. Les hommes qui vous ont connus, vos élèves, vos confrères témoigneront du bien que vous avez prodigué dans cette vie. Je ne peux aussi que m'incliner avec respect devant votre admirable épouse. Elle a choisi l'Algérie pour patrie. Elle a été de tous les combats en vous accompagnant jusqu'au bout et dans les pires moments. Evoquer le parcours d'un grand maître de la chirurgie et d'une grande figure de l'Algérie indépendante est pour moi un honneur et un privilège. C'est cette Algérie tumultueuse et déchirée, terre natale de l'Emir Abdelkader et de Nedjma de Kateb Yacine. C'est l'Algérie de tous les combats, des convoitises et des passions qui l'a hantée depuis toujours et jusqu'au dernier moment de sa vie. Certes, il est difficile d'exposer une carrière aussi riche, jalonnée par un militantisme sans faille, au service des idéaux de Novembre. Il a été imprégné par la culture arabo-islamique, grâce à l'école d'El Islah d'Oran et à l'enseignement d'un de ses maîtres à penser le Cheikh Mohamed Brahim Mehadji. Très tôt, il a été nourri et bercé (1943) à la culture nationaliste et algérienne et donc aux idéaux du mouvement national. Il en fournira, d'ailleurs, la pyramide des cellules de recrutement et d'étanchéité pour les militants, suite à une réunion secrète initiée par Zeddour Brahim Belkacem. Il prendra conscience de l'injustice et de la ségrégation qui régnaient à l'époque coloniale. Il commence ses études de médecine, en 1947 à Alger, une année perdue «on ne loue pas aux Arabes», une année de disette et de logement dans un wagon de la gare d'Alger. Puis, en 1947, à l'école de médecine de Poitiers, dans une période où l'Algérien subissait l'apartheid et l'exclusion. Des études de médecine effectuées à force de bras sans aucune aide, sinon d'une association caritative de Tlemcen ou de parents proches. Il devait survivre grâce à de petits emplois et la pratique du football. Il devient interne en chirurgie au centre hospitalier à Chatellerault à Vienne en 1953-1954, ensuite interne au centre hospitalier de Vannes (Morbihan), en 1955-1956. C'est à Paris, en 1956, qu'il réussit à l'examen du clinicat de fin des études de médecine. Il termine une thèse sur une épidémie de variole survenue à Vannes. Il quittera les bancs de l'université pour rejoindre l'armée des frontières en Tunisie, prodiguant des soins de chirurgie aux combattants de l'armée de Libération nationale, aux refugiés algériens, à la population tunisienne et aux prisonniers français particulièrement avant les bombardements de Sakiet Sidi Youssef. Il est alors successivement interne au centre hospitalier du Kef en Tunisie, interne à l'hôpital Sadiki de Tunis chez un autre grand maître de la chirurgie algérienne, le professeur Haddam. Il est, ensuite, interne à l'hôpital Charles Nicoles de Tunis chez le professeur Essafi en 1960-1961. Il retourne à la frontière comme chef de service de chirurgie générale Souk El Arba. Il ne cessera, bien entendu, de participer à la libération de l'Algérie, soignant les combattants de l'ALN et donc d'être à juste titre chirurgien de l'armée de Libération nationale. C'est ainsi qu'au moment où l'OAS commet à Oran des crimes odieux et que les compatriotes ne pouvaient accéder aux soins de l'hôpital civil d'Oran, il est autorisé par le colonel Boumediene à rejoindre Oran avec un étudiant de 2ème année de médecine et deux infirmiers de l'ALN. Il devient chirurgien de l'antenne de Tombouctou du quartier de Médina El Djedida. Avec l'indépendance de l'Algérie, il soutient sa thèse de doctorat en médecine à Alger en 1963 et entamera sa carrière de chef de service du pavillon Aït Idir Ali du CHU d'Oran. Il devient alors un des pionniers de la faculté de médecine d'Oran et de l'école de chirurgie algérienne. Parallèlement, il devient maire d'Oran du 18 juin 1963 au 18 juin 1965. Il démissionne de ce poste pour un problème de principe, (ne pas supporter une hiérarchie lourde qui ne sait, parfois, raison gardée !) De 1969 et 1970, il est nommé doyen de la faculté de médecine d'Oran, il fait construire en un temps record l'ISM, et démissionne à la suite de la démagogie utilisée pour l'appréciation coûte que coûte de la réforme des études médicales sans donner les moyens pour sa réalisation efficace. De 1969 à 1974, il est élu président du conseil médical, et depuis il évitera toute responsabilité politique, l'idéal du 1er Novembre ayant été dévié, le fleuve ayant été détourné. Il refusera ainsi d'être candidat à une députation en 1977 car pour lui : «La responsabilité c'est avant tout servir en non se servir, gérer et non digérer, unir et non désunir. Il faut éduquer, éduquer par les devoirs de l'homme». Toute son énergie et sa santé seront consacrées aux soins des malades et à la formation de plusieurs générations de chirurgiens et de professeurs en chirurgie, en un mot à la passion chirurgicale et universitaire. Il est le père spirituel de beaucoup de chirurgiens algériens, il a fait naître en eux l'amour de la chirurgie et de la patrie et surtout de rester fidèles aux principes moraux d'éthique et de déontologie. L'honnêteté et la probité au-dessus de tout, avec comme devise «science sans conscience n'est que ruine de l'âme». Il est devenu un exemple et un guide pour les générations futures, sa vie professionnelle est pleine d'abnégation et de sacrifices, oubliant ses intérêts personnels et sa propre famille, s'éloignant du monde bassement matériel. Il est, pour reprendre le philosophe Jean Guitton, «un égoïste qui ne s'occupe que des autres». Toujours sur les traces et la voie du grand maître de la chirurgie arabe Abou El Kacem Ezzahraoui. Monsieur le professeur Boudrâa, nous qui avons été près de vous, nous n'oublierons jamais vos enseignements, vous avez été notre maître et notre doyen. La clinique Aït Idir Ali a façonné et moulé des générations de médecins et de chirurgiens. C'était un véritable centre de rayonnement et de sagesse. L'enseignement de la chirurgie avec rigueur nous a permis d'engager les plus grands combats contre la maladie au service de l'homme. La technique chirurgicale était pour vous une affaire de pensée. Nous avons été les témoins à un moment d'un combat des plus effréné pour concrétiser le projet noble de la prise en charge du cancer. Malheureusement, les forces du mal ont fait que le projet n'aboutisse pas. Quel malheur pour les patients ! Et quel gâchis pour l'ouest algérien ! Dans la ville d'Oran, des citations sont reprises par les nouvelles générations. Ainsi «vous étiez né sous le signe du taureau et un taureau ne s'abat pas par derrière, mais dans une arène», vous étiez dans le combat permanent pour une meilleure Algérie, fidèle à nos martyrs et à l'Islam des lumières. Vous étiez un homme de décision et de courage, vous n'aviez peur que du Tout-Puissant. Ainsi va la vie, tout finit, tout dépérit. A Dieu nous appartenons et à Lui nous retournons. Adieu Si Abbas, qu'Allah vous accueille dans son Vaste Paradis. *Elève du professeur Boudrâa