Que faire des chrétiens en Algérie ? Ou, plus précisément, que faire des Algériens qui sont chrétiens ? La réponse à la question a été, officieusement, celle de la lutte contre le criquet : on les empêche d'être chrétiens, de le devenir, de le rester, de le proclamer, de le dire ou de le tenter. L'idée de base est celle du «sécuritaire», pas celle de la convivialité : refuser la pluralité cultuelle, c'est refuser «qu'on importe des conflits en Algérie» a répondu l'un des plus hauts cadres du ministère des Affaires religieuse à l'un des hommes de l'Eglise algérienne. Pas de communautés, donc pas de conflits. Solution simple par l'épuration, la neutralisation, le déni, l'exclusion. Mais que faire lorsque des chrétiens existent quand même ? On ne sait pas. La solution est laissée aux soins des juges de la Justice ou des commissariats et des gendarmeries. La fameuse ordonnance 06 bis du 28 février 2006, celle de l'état de siège contre les religions autres que l'Islam, permet toutes les interprétations : on peut vous arrêter pour possession d'un Evangile, pour port d'une croix ou pour votre confession confessée à haute voix. Si, en haut du régime, on proclame la tolérance et le respect de l'Autre, en bas, dans la vie quotidienne, les Algériens qui ont le pouvoir de juger ou «d'arrêter» ne sont pas formés pour comprendre la nuance essentielle entre nationalité et confession. Un chrétien est un étranger qu'on doit surveiller, un Algérien devenu chrétien est un renégat. A Oran, la semaine dernière, le juge qui avait sous sa main le jeune S.K, chrétien converti, lui a clairement répété qu'il va le regretter, qu'il est sous la coupe de l'apostasie avant de le condamner à 5 ans de prison. Le procès est en appel pour le 17 novembre de la semaine prochaine. A Oran. L'histoire de ce jeune Oranais et presque exemplaire : il est arrêté sous dénonciation d'un voisin qui l'accuse d'avoir insulté le Prophète Mohammed. Lequel témoin ne viendra jamais à aucun des procès vécus par sa «victime». Le tort de la victime ? Sa chrétienté. Si le juge et la police ont focalisé sur ce cas, c'est qu'il est une énigme dans leurs univers : comment peut-on être chrétien après avoir été musulman de facto ? Réponse simple : par trahison et pas par conviction. L'Islam est chez nous unanimiste, totalitaire, «socialiste». Cette tendance est incarnée au plus haut sommet de l'Etat par la vision qu'a le ministère des Affaires religieuses sur la diversité du culte ou des rites en Algérie. «On veut nous imposer de déclarer l'Eglise algérienne comme annexe du Vatican et donc avoir le même statut «étranger» qu'au Maroc ou en Tunisie» expliquera au chroniqueur un prêtre. «Sauf que l'Eglise algérienne ne dépend pas du Vatican : c'est une église algérienne, depuis des millénaires». Une église qui «a fait la guerre d'indépendance et qui a payé son lot de martyrs à l'époque des années 90, autant que des imams algériens» ajoute le prêtre. On refuse à l'Eglise son algérianité qui est plus ancienne que celle du FLN ou de sa mentalité. Elle a mille ans d'âge là où l'intolérance en a elle de la bêtise ! Et c'est encore pire quand il s'agit de synagogue pour une communauté juive plus que millénaire au Maghreb Le gros problème est que l'Algérie actuelle, celle des générations Benbouzid, croisées avec celle des Fatwa cathodiques, ont enfanté une génération qui ne sait plus ce qu'est être différent ou vouloir l'être. Une génération qu'une élite d'inquisiteurs, à tous les niveaux, donne raison par la menotte, l'agrément sécuritaire ou le verdict et l'arrestation. D'ailleurs, pour bien situer le mal de l'esprit, regardons : les Algériens ne sont pas arrêtés parce que bouddhistes ou animistes ou mazdéens, mais parce que chrétiens. Le chef d'inculpation cristallise à la fois la peur de l'Autre immédiat, l'Occidental, le traumatisme colonial, la xénophobie, la réaction de rejet et la violence qui répond à la violence du rejet d'en face. Un Européen converti à l'Islam a sa minute de célébrité dans la mosquée locale et dans certains journaux. Un chrétien emprisonné sur une dénonciation floue, laisse froid et n'intéresse personne. Face au reste du monde et face à sa propre histoire millénaire, l'Algérie d'aujourd'hui, celle de la plus grande mosquée d'Afrique, se présente sous le visage hideux d'un pays non tolérant, hypocrite sur sa propre tolérance, bigot, malheureux et incapable de tirer grandeur et profits de sa diversité. Un homme confiant en lui-même ne craint pas les croyances différentes et les respectent. Un homme peureux et lâche voit en chaque différence, une menace. Valable pour plus de 2 millions de km².