Il y a des personnes qui veulent faire accroire que la Kabylie est devenue une terre chrétienne, ce qui est loin d'être la réalité. La Kabylie, cette vaste et belle région qui s'étale sur plusieurs wilayas, depuis les monts de Thénia, ex-Ménerville, dans la wilaya de Boumerdès, à l'ouest, jusqu'aux monts de Jijel à l'est et des abords de la mer au nord à la lisière des hautes plaines au sud, est un écrin qui renferme bien des joyaux, dont le Djurdjura et les monts Gouraya, entre autres. Ciblée depuis quelques jours par certains, la région n'a fort heureusement pas de leçon de nationalisme à recevoir, avec un passé riche en héroïsme et en hommes de valeur. La seule daïra de Draâ El Mizan a donné au pays cinq colonels: Krim Belkacem, Ali Mellah, Zamoum de la Wilaya IV, Slimane Dehylès et Ouamrane. Alors que Larbaâ Nath Irathen en a donné encore plus avec le géant de la Révolution qu'est Abane, le Saint-Just de l'épopée libératrice, les valeureux Aïssat Idir et Bennaï Ouali de Tizi Rached, et tant d'autres. Aucune ravine, aucun oued, aucun hameau ou village n'est resté sans avoir au moins son acte d'héroïsme et ses martyrs durant l'épopée libératrice. Le nationalisme, l'amour de la patrie et la défense de la religion ne sont pas chose nouvelle en cette région. La Kabylie possède pratiquement une mosquée dans le moindre hameau, une mosquée construite par les dons de fidèles. Certes, les gens ici savent rester chacun à sa place et respecter l'autre, tout l'autre, y compris ces chrétiens qui, pour la population, ne sont rien d'autre que des enfants de la région pensant différemment, mais des enfants de la région tout de même. Dieu conduit vers la lumière qui Il veut On a rencontré Ammi Slimane sur la route menant vers les hauteurs du côté d'Aït Erguane dans la daïra des Ouadhias. Le vieux se chauffait les os au soleil. Ammi Slimane, qui adore évoquer le passé, n'aime pas parler de l'époque présente. «Vous, les jeunes, vous avez tout détruit. Il faut savoir qu'on vous a légué un pays qui pouvait rivaliser avec les plus grands, et voilà...ce que vous en avez fait!» Se taisant un moment, il reprend: «Et que faites-vous en ces lieux?» On lui explique l'objet de notre visite. Il regarde au loin et comme si il parlait lui, il lâcha: «Des chrétiens? Oui j'ai entendu parler, mais que voulez-vous? Dieu conduit vers la lumière qui Il veut.» Ammi Slimane commence par expliquer que dans cette région, beaucoup de jeunes gens ont fait parler d'eux. Ils ont ouvert des temples ou des églises et prient le Christ. C'est leur problème. On essaie de lui expliquer que partout ailleurs, les gens disent que la Kabylie se christianise, alors, le vieux Slimane regarde et, d'un air pincé, finit par dire: «Que ceux qui ont des preuves s'avancent. Il ne suffit pas de parler. Mais qui veut noyer son chien, l'accuse de la rage. La Kabylie compte plus de mosquées qu'ailleurs et les fidèles d'ici n'ont pas besoin d'accrocher cela en bandoulière. L'adoration d'Allah se fait toujours comme nous avaient appris à le faire nos pères, sans trop de tambour.» Ammi Slimane revient doucement sur cette accusation qui semble lui faire mal, non pas qu'il soit contre les chrétiens. «Ce sont des gens du Livre», affirme le vieux, mais surtout sur cette image négative que veulent donner certains de la Kabylie. «On le sait, commence le vieux Slimane, il y a des chrétiens et cela ne me dérange nullement, les gens sont libres de prier le Ciel comme ils l'entendent.» On quitte Ammi Slimane pour aller vers ce marabout réputé, en pensant trouver en ces lieux des talebs et autres hommes de religion. Cheikh Ben Abderrahmane est le saint tutélaire de la région de Boghni, de son vrai nom Sidi M'hamed Ben Abderrahmane El Djerdjari El Guechtouli El Azhari veille sur la région comme il veille sur Alger. En ces deux régions, le saint, doté de l'ubiquité, a son cénotaphe. Là, on rencontre un taleb qui veut bien nous donner son point de vue, mais dans le plus parfait des anonymats. Appelons-le Mohamed et laissons-le parler: «Ici et à ma connaissance, il n'y a pas de chrétien, mais quand bien même il s'en trouverait, en quoi cela me dérangerait et dérangerait ces lieux vénérables? Nous avons une foi inébranlable, et ce ne sont pas quelques individus, fussent-ils des milliers, qui peuvent nous amener à fuir l'Islam. Ceux qui ont peur de cela ont une foi bien fragile.» Les gens ont foi en Dieu et respectent tout le monde, car pour eux, personne ne détient les clés du ciel. Leur foi en Allah est inébranlable, et personne n'est en mesure de les détourner de ce chemin qui fut celui de leurs ancêtres. Des faits manipulés Des titres de presse ont rapporté, souvent en les grossissant, des faits en relation, non pas avec la réalité, mais avec l'interprétation désirée. La Kabylie serait, selon certains, la cible des évangélistes. Ce qui, apparemment, est une vue de l'esprit. Dans tout le pays ces «chrétiens new-look» ne sont que près de 30.000, selon des sources, alors qu'est-ce que 30.000 face à trente-deux millions? On a dit que Tizi Ouzou, car appartenant à la Kabylie???, devient petit à petit chrétienne. La vérité est loin de cela. Certes, des chrétiens existent et ils seraient environ, selon les mêmes sources, quelque 2500 en tout et pour tout sur une population de plus de 1.200.000 habitants de cette wilaya. Des temples et des églises seraient ouverts et dans des maisons, d'abord, c'est là une propriété privée et ce qui se passe dans une propriété privée est garanti par la Constitution. De plus, comparé aux milliers et plus de mosquées qui s'égrènent sur les villages et hameaux de la wilaya, on ne comprend pas ces attaques. L'Islam se porte bien en Kabylie et mieux que jamais! Personne ne s'en prend aux sentiments des fellahs et des gens de la région. Il y a des personnes qui veulent faire accroire que la Kabylie est devenue une terre chrétienne, ce qui est loin d'être la réalité et cela malgré tout le respect que nous devons aux autres religions. Un reporter de la télévision iranienne, récemment venu en Algérie, dans le cadre d'un reportage sur les chrétiens, disait à un Kabyle qui l'avait reçu: «La religion musulmane peut connaître des difficultés en Arabie Saoudite mais pas en Kabylie!» C'est un hommage rendu aux populations de cette région par un étranger peu enclin à vouloir défendre la Kabylie! Il semble que la seule différence, elle est cependant de taille, entre les fidèles de Kabylie et ceux des autres régions est cette tendance naturelle des gens de Kabylie à prier pour eux et sans montrer un quelconque zèle. Nous avons ensuite eu la chance de rencontrer Saïd, un chrétien de la région. Un homme plein de sagesse et de raison et qui sait faire la part des choses. Il commence par expliquer qu'il est chrétien et non ennemi de sa patrie: «Ces choses appartiennent au Seigneur pas à la loi des hommes, j'ai été appelé à ce sacerdoce par Jésus lui-même et non pas par un quelconque étranger.» On se demande pourquoi pareilles attaques de la part de ceux qui doivent en principe protéger les minorités. On s'attaque surtout à la Kabylie mais les faits qui, eux, sont têtus, démontrent que des chrétiens existent tout aussi bien à Oran, Constantine, Annaba, Alger qu'ailleurs. Saïd se plonge dans son monde pour certainement réfléchir à ces attaques si basses mais qui font également mal aussi bien à celui qui les lance qu'à la victime, avant de préciser: «Pourquoi donc a-t-on peur des chrétiens en Algérie? Ne sont-ils pas des nationalistes! Les chrétiens dont il est question sont les enfants de ce pays. On dit que certains sont payés pour abandonner la religion de leurs pères, c'est tout simplement absurde, car comment les Algériens chrétiens qui subsistent de par leur travail comme les médecins, les ingénieurs, ou tout simplement tous les autres travailleurs, peuvent-ils accepter de l'argent pour la religion?» Saïd poursuit. comme pour pourfendre ceux-là qui s'attaquent à sa région, en somme, sa petite patrie et de dire: «Ils auraient pu enfourcher un autre cheval mais pas celui de la religion qui est une affaire privée.» Et de faire appel à la liturgie chrétienne: «Si la religion chrétienne vient de Dieu, personne n'est en mesure de lui barrer la route, mais si c'est le fait des hommes alors, elle mourra d'elle-même.», dira-t-il. Saïd se tait et nous préférons le laisser seul avec ses pensées. Un fait est sûr c'est que «des gens qui croient faire oeuvre pie sont en train de répandre le semis de la haine et c'est grave pour le pays.» Tolérants, nationalistes, modernistes et respectueux des autres, les paysans qui rencontrent les autres, tous les autres, y compris ceux adorant Dieu autrement, les habitants de cette belle région disent que «ces choses appartiennent à Dieu et Lui seul conduit vers la lumière qui Il veut!»