Les Algériens, du moins les «footeux», supportent, depuis quelque temps, deux équipes. Une locale, par exemple MC Oran ou Mouloudia d'Alger, Entente de Sétif, et...le Barça ou le Real Madrid. C'est comme cela que les jeunes et moins jeunes de nos temps héroïques, même celui qui est en train d'écrire cette chronique, ont pris cette délicieuse décision de supporter une des deux équipes qui planent depuis plus de vingt ans sur le championnat espagnol, la Liga. Aujourd'hui à Oran ou Alger, Annaba ou Constantine, Chlef ou Tiaret, être avec le FC Barcelone ou le Real Madrid est une sorte de distinction sociale à très haute valeur ajoutée dans le sens de la plus simple urbanité. Et, ce qui est par contre plus ou moins étonnant, c'est que les stéréotypes nés des clivages sportifs entre membres d'une même famille ou d'un quartier, et plus généralement à l'échelle de toute une ville, sont automatiquement reproduits dans le cas des deux clubs espagnols, par ailleurs classés parmi les meilleurs au monde. Comme une sorte d'appartenance forcée à une valeur sociale lointaine et irréalisable. Et c'est ainsi que des bagarres, des disputes éclatent à chaque Classico entre membres d'une même famille, sinon au sein d'un même quartier. Un Barça-Real, c'est en Algérie un immense champ de production de millions de tonnes d'adrénaline que les fans des deux clubs secrètent au même titre que lorsqu'il s'agit d'un MCO-ASMO, d'un MCA-CRB ou d'un MCA-USMA. C'est comme ça, la planète football a envahi les foyers algériens, au point qu'un lointain match de football en Espagne, entre deux clubs représentant deux régions espagnoles antagoniques sur le plan politique, culturel, historique, linguistique et sportif, arrive à créer la même ambiance de folie, les mêmes comportements que ceux d'un match de football du championnat national. Et, en lançant un clin d'œil à ces Algériens d'Espagne qui ne manquent jamais un match du Real ou du Barça, avec l'emblème national bien en vue au Camp Nou ou à Bernabeo, tout près des arbitres de touche, on ne peut que rester ébahis devant ce voyage cathodique que prennent chaque semaine des millions d'Algériens pour, l'espace de 90 minutes d'un simple match de football, aller traînailler dans les terrains de foot en Espagne, comme dans un rêve impossible. Mais à portée de... télécommande. Celui de se croire, l'espace de deux mi-temps, au stade, au Camp Nou ou au Santiago Bernabeo, en Espagne, et de se compter parmi les supporters catalans ou castillans. Le voyage onirique, pour autant, est brisé juste après le match, et l'animosité entre fans des deux clubs en Algérie est la même, sinon plus, que celle qui irrigue les Madrilènes et les Catalans. La différence s'arrête là, car l'animosité entre les deux clubs espagnols, et dont de nombreux de nos concitoyens n'en ont cure, c'est que la Catalogne, berceau du Barça, a toujours voulu s'émanciper, comme région autonome du pouvoir central à Madrid, capitale de la Castille historique e t lointain symbole de la dictature de Franco, au point que dans le pays des Blaugrana on parle plutôt le catalan, un mélange de castillan, de basque et de français, alors que dans la «Maison Blanche», c'est le castillan qui prime. Tout comme le «Wah» de chez nous à l'Ouest et le «Ya Kho» dans l'Algérois, au détour d'un énième round entre les Mouloudia d'Alger et d'Oran. Et puis, à la fin, n'est-ce pas sublime de s'éclater pour une équipe, fût-elle étrangère, plutôt que pour autre chose qui serait «mal vu, mal interprété?», en ces temps de grandes perditions et d'incertitudes?