Qui est le régime ? Cent à deux ou trois cents personnes, quatre casernes et cinq banques. Le reste, c'est vous, moi, lui, le peuple, l'hymen et la chaussure et des voleurs et des honnêtes gens. Un policier peut vous raconter par exemple l'Algérie, la même que la vôtre, vue à partir d'un autre angle mort. Cette Algérie sans Etat fort et debout, réduite à un système alimentaire sans dignité, sans institutions et complètement dégradée vers le non-sens depuis une décennie. Basculée dans la cupidité ou la rage. «C'est quand il y a distribution de logements que ça devient pire : le maire éteint son téléphone, le chef de Daïra ne répond plus et on se retrouve seuls face aux gens en colère. Généralement on envoie des policiers en civil pour sonder la colère. Il ne faut jamais offrir la cible de l'uniforme aux Algériens. Les logements ? Ce n'est pas la police qui les distribue et tout le monde fuit et on nous laisse seuls. Le pire est qu'il ne faut rien faire. Surtout ces dernière élections : un représentant d'un parti faisait le pire, tapage nocturne, ivresse sur voie publique et on nous disait il ne faut pas le toucher malgré les appels des voisins. C'est la politique. Essiyassa. Nous on est là et parfois quand un Algérien entre dans le commissariat on a peur s'il sent l'essence. S'il se brûle, c'est nous qui payons, pas là-haut à Alger. Même pour les motos en folie. On ne peut pas mener des opérations de saisie ou de contrôle. On fait ça discrètement, sur trois ou quatre personnes. S'ils sont soixante, ils peuvent venir et incendier le commissariat ou faire un attroupement. Quand il y a attroupement, ce sont nous qui payons : le wali appelle, le chef de Daïra crie. Tout le monde a peur d'Alger mais c'est Alger qui crée les problèmes. Pas les policiers dans les villages. Si on ne fait rien, les gens nous regardent avec mépris mais si on fait quelque chose, les gens se brûlent ou on nous tombe dessus. C'est les droits de l'homme. La Démocratie. C'est comme ça qu'ils veulent à Alger. Moi je dis cela ne fait rien mais c'est les droits des clochards et des agresseurs surtout. Pas les droits de l'homme. On ne peut rien faire. Tout le monde a peur. Même quand il y a des émeutes, les responsables des différents corps de sécurité éteignent leurs portables. Chacun veut que ça soit l'autre corps qui envoie ses hommes en premier. Le but du pays ce n'est pas le pays mais d'éviter le bruit. Dans les villages. C'est la loi : il ne faut que rien se passe. On ne peut plus rien faire. Oui je sais que des policiers font du mal mais personne ne pense à nous : si tu arrêtes un agresseur, c'est le certificat médical, les rapports et tu n'as pas le droit de le ligoter ou de le pourchasser ou de répondre quand il te frappe. Après, le juge le relâche. Si tu ne l'arrêtes pas ? C'est pire. Regarde un peu nos villages : ils sont sales, personne ne se sent en sécurité, la nouvelle génération nous regarde avec une insolence incroyable. Le pays est parti. Les statistiques. Aucun responsable chez nous ne veut qu'il y ait des chiffres de vols en hausse chez lui. On n'aime pas les déclarations de vol à cause de ça et on ne les fait pas parfois. Tu vois ? Nous on est Algériens et quand on nous appelle pour frapper des manifestants, on sait que parfois l'autre a raison. La politique mon frère. Les responsables sont obsédés par Essiayassa et pas par les voleurs. Tu fais de la politique ? On t'arrête. Tu voles ou tu agresses ? Tu as droit aux droits de l'homme. Le pays s'en va. La discussion est longue : c'est que la déliquescence de l'Etat n'est pas dans l'école ou l'entreprise. Mais aussi dans les commissariats : sous-formation, sentiment de démission, flou des objectifs et des devoirs. Le but est de surveiller les « politiques », pas les agresseurs. Le but de la gestion d'une wilaya est que rien ne s'y passe. Le but du pays est d'offrir à Alger une image vide et assise. Les pires maladies du monarchisme ambiant et de la centralisation excessive comme on le sait. Le régime reste obsédé par Alger. Le reste de l'Algérie, il la gère par le déni. Le but est de protéger Sidi Fredj d'un débarquement massif des Algériens, pas le reste de la colonie passive. Cela s'appelait autrefois la régence. Tout le pays profond, dans ses commissariats et ses institutions, ses wilayas, donne l'impression de gérer un temps perdu, une veillée funèbre, des condoléances, un temps mort. Un match entre émeutiers et policiers. Pas entre l'Etat et l'avenir. Dans les villages, les gens attendent le retour de Boumediene.