Après avoir admis que l'avion turc abattu vendredi par la défense aérienne syrienne a pu violer l'espace aérien syrien, les autorités d'Ankara prétendent désormais que cela se serait passé en zone internationale et ont durci le ton à l'égard de Damas qu'elles menacent d'une réponse turque adaptée à la gravité de la « provocation » que constituerait l'incident. Ankara a non seulement haussé le ton mais a également demandé une réunion d'urgence de l'Otan sur le sujet qui se tiendra probablement demain mardi selon le porte-parole de l'organisation. L'on pressent par conséquent que la Turquie envisage d'entreprendre « quelque chose » contre la Syrie qui ne peut être que militaire et cherche à obtenir le soutien et l'appui de l'alliance atlantique à cette option. Mais peut-on sérieusement croire que le régime syrien a délibérément opté pour la provocation à l'égard de la Turquie et pris ainsi le risque d'un conflit militaire ouvert avec elle dont l'opposition qui le combat souhaite ardemment qu'il éclate ? La localisation dimanche de l'épave de l'avion turc abattu dans les eaux territoriales syriennes confirme la version de Damas sur l'incident, à savoir que l'appareil militaire turc a bel et bien violé l'espace aérien syrien, et que par conséquent s'il faut parler d'agression ou de provocation ce n'est pas Damas qui en est à l'origine. Les médias turcs ont une part de responsabilité dans l'escalade de la tension à laquelle l'on assiste entre les deux pays voisins. Ils se sont en effet inscrits en faux contre la possibilité d'une violation de l'espace aérien syrien et plaident avec véhémence pour une réplique turque appropriée. Selon ces médias, Damas a sciemment provoqué l'incident pour montrer que l'armée syrienne est en capacité de répondre à l'intervention étrangère. La culpabilité du régime de Damas, il ne leur est pas difficile de la faire accepter à l'opinion turque légitimement choquée et indignée par la violence de la répression en Syrie et les massacres qui s'y produisent systématiquement imputés aux forces et partisans de ce régime. Il peut en découler que le gouvernement Erdogan surfe sur la surenchère patriotique lancée et entretenue par les médias pour envisager sérieusement le lancement d'une opération militaire contre le régime syrien dont il exige ni plus ni moins que le démantèlement Sauf que si la Turquie déclenche un processus de ce genre, les conséquences en seront inévitablement énormes. La Russie, la Chine et même l'Iran ne resteront pas neutres face à une intervention turque dont le prétexte en sera l'incident de l'avion abattu, mais qui pour eux signifiera que l'on veut ainsi contourner leur opposition à l'intervention militaire étrangère dans le conflit syrien. Il s'ensuivra un dangereux enchaînement dont il ne faut pas craindre d'envisager le pire pour la paix dans la région et mondiale. L'Otan a plusieurs fois exclu une intervention en Syrie. Va-t-elle s'y résoudre sous prétexte qu'elle serait tenue par la solidarité à l'égard de la Turquie que lui impose l'article 5 de son traité alors même que les faits ayant conduit à l'incident turco-syrien de vendredi incriminent en premier la responsabilité d'Ankara dans sa survenance ? Cela est possible et serait même probable sachant que certaines puissances membres de l'Otan ne s'embarrassent guère de mensonges et tordent le cou à la réalité des faits quand elles décident d'agir ici ou là. Le scénario de l'intervention turque en Syrie s'est trop longtemps discuté pour ne pas être tentant pour ces puissances dont le « plan onusien » visant au même but est tenu en échec.