C'est un constat sévère que fait la commission dirigée par M. Farouk Ksentini: l'état des droits de l'homme en Algérie "est peu reluisant". Dans son rapport annuel 2011 rendu public vendredi, la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme (CNCPPDH) relève en fait le grand fossé qui sépare l'Algérie d'un réel état de respect des droits de l'homme. Certes, la démarche est courageuse, mais les responsabilités dans cette situation ne sont pas clairement définies, hormis le fait que la Commission pointe du doigt une obscure administration qui bouche, selon elle, les horizons devant le respect des droits de l'homme dans le pays. "Le discours politique et les bonnes intentions, à eux seuls ne suffisent pas, sans une réelle et effective traduction des droits de l'homme dans les faits et dans la vie de tous les jours des Algériens et Algériennes", estime la Commission, qui relève que si "la volonté politique pour ancrer les droits de l'homme dans la vie quotidienne des citoyens existe", elle précise toutefois que cette volonté "hélas, elle ne suffit pas face à une administration dirigée, aux différents échelons et dans une large mesure, par des personnes pistonnées, imposées ou cooptées qui sont au service de leurs propres intérêts et de ceux de leurs +bienfaiteurs+ et non au service exclusif du peuple". Pour la CNCPPDH, "cette volonté politique doit se traduire en une action politique salvatrice libérée de toute emprise, pour prendre de véritables décisions qui prendront en charge et concrétiseront effectivement les aspirations des Algériens et Algériennes à jouir de leur citoyenneté et de leurs droits, notamment en matière de justice, d'éducation et d'enseignement, d'égalité, de santé, d'emploi, de logement, d'information et de sécurité de leurs personnes et de leurs biens". Un voeu pieux, puisqu'elle estime dans ses conclusions l'état des droits de l'homme en Algérie est "peu reluisant". La cible ? L'administration qui n'aurait pas tenu ses "promesses" dans la prise en charge des revendications du peuple. Fatalement, la colère des citoyens devant la non-satisfaction de leurs droits sociaux dont l'accès aux services de base (logements, eau, électricité, routes, transports) ont provoqué des manifestations souvent violentes, reconnaît la CNCPPDH. "L'effervescence constatée à travers l'ensemble du pays et cet engouement sans précédent pour les revendications traduit une réelle prise de conscience des citoyens que leurs droits sont ignorés par l'administration", relève le rapport de la Commission. Mieux, elle estime que "les promesses non tenues et sans lendemain de représentants de l'Etat relatives à la prise en charge des problèmes soulevés (...) laissent perplexes tout un chacun sur la gouvernance en Algérie et les rapports entre l'administration et les administrés". LA SOCIETE CIVILE DOIT BOUGER Selon la Commission de Ksentini, les acteurs sociaux, c'est-à-dire les associations et ONG doivent se mobiliser et redoubler d'efforts et agir pour donner une "pleine effectivité" aux droits de l'homme en Algérie. La société civile, ainsi que les pouvoirs publics doivent donner un sens concret au respect des droits de l'homme en Algérie. Pour la Commission, les émeutes populaires enregistrées à travers le pays en 2011 "renseignent sur le climat de tension qui règne au sein de la société et alimente le sentiment de méfiance des Algériens à l'égard de certains pouvoirs publics locaux et nationaux". Mieux, ''le comportement de certains responsables de l'administration alimente un sentiment de méfiance, voire de frustration chez les administrés qui se sentent méprisés", ce que le citoyen lambda désigne comme étant la "hogra", estime-t-elle. Outre la nécessaire prise en charge des droits de la femme, la CNCPPDH relève, concernant le cas des personnes disparues durant la décennie de la tragédie nationale, que la position de la "minorité de familles", composées de mères, d'épouses et d'enfants, qui refusent actuellement de s'inscrire dans la démarche tracée par la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, "mérite le respect et la compréhension". Elle a recommandé, à cet égard, "l'instauration par les pouvoirs publics d'un dialogue, dans un climat serein et apaisé, avec ces familles afin de produire à chaque famille l'ensemble du dossier relatif aux recherches entreprises par les différents services de sécurité relevant des départements ministériels en charge de l'intérieur et de la défense, sur la disparition de leur proches". HARRAGA, GARDE A VUE, CORRUPTION Le rapport de la CNCPPDH ne pouvait être complet sans évoquer le cas des émigrants clandestins, les harraga, dont beaucoup meurent dans des conditions dramatiques durant la traversée, quand ils ne sont pas pris et jetés en prison. Sur ce dossier, la Commission que dirige maître Ksentini a affirmé "n'avoir cessé d'attirer l'attention aussi bien du pouvoir exécutif que législatif sur cette question, éminemment humaine et de détresse sociale, à qui les pouvoirs publics ont réservé une réponse coercitive, une réponse pénale". "Un non-sens qui reflète le fossé existant entre la population et ceux censés être à son service et à l'écoute de ces milliers d'Algériens et d'Algériennes qui préfèrent tenter de franchir la Méditerranée avec une chance insignifiante d'y arriver que de vivre dans un pays considéré, à tort ou à raison, comme étant un Etat de non-droit", explique-t-elle sur ce cas qui concerne des centaines de familles de harraga. Revenant sur le dossier de la garde à vue (ou plutôt les conditions de déroulement de celle-ci), un des thèmes les plus abordés par les défenseurs des droits de l'homme dans le cas de l'Algérie, la commission a rappelé l'avoir "régulièrement décriée dans ses rapports annuels sur l'état des droits de l'homme au titre des années 2008, 2009 et 2010". "Cette situation, si elle perdure, est contraire aux dispositions de l'article 34 de la Constitution qui dispose que l'Etat garantit l'inviolabilité de la personne humaine", a-t-elle prévenu. Pour le volet corruption, un mal qui ronge comme un cancer l'Algérie, la CNCPPDH préconise une lutte "effective et sans relâche", appelant à des sanctions "exemplaires et dissuasives" pour lutter contre ce fléau. "La corruption gangrène notre pays et l'impunité aidant, elle risque d'altérer toute démarche tendant à assurer un essor économique et social", a prévenu la Commission. Selon le classement 2011 de Transparency International, l'Algérie arrive à la 112e position sur 182 pays, selon l'indice de perception de la corruption, et recule ainsi de sept places par rapport au rapport de 2010 dans lequel elle occupait la 105e place sur 180 pays. D'où le cri d'alarme de la CNCPPDH, mais également de la société civile et de Transparency Algérie.