C'était, hier, le deuxième vendredi depuis le début des tumultes dans le monde musulman, à la suite de la diffusion d'extraits d'un film américain «L'innocence des musulmans». On comptabilisait une trentaine de morts en dix jours. Hier, le bilan s'est aggravé avec de nombreuses victimes enregistrées notamment au Pakistan. Comment calmer le feu de la colère qui embrase le monde musulman alors que des éléments nouveaux, comme les caricatures opportunistes de Charlie Hebdo, viennent attiser les flammes ? C'est la question qui se posait, hier, avec la répétition des manifestations antiaméricaines, et accessoirement antifrançaises, dans de nombreux pays musulmans. Alors qu'on comptabilisait au moins une trentaine de morts en dix jours, le bilan des morts dans les pays musulmans s'est aggravé hier. C'est au Pakistan où l'on enregistre le bilan le plus lourd avec au moins 13 morts et de nombreux blessés. Les autorités américaines, qui ont diffusé des spots publicitaires dans les télévisions pakistanaises pour expliquer que le gouvernement n'a aucun lien avec le film litigieux, ont de la peine à convaincre dans un pays où le sentiment antiaméricain était déjà très développé. Comme partout ailleurs dans le monde musulman, l'émotion suscitée par l'insulte au Prophète de l'Islam est devenue une opportunité pour les plus radicaux de prendre les devants de la scène. Les autorités pakistanaises avaient beau avoir décrété le vendredi férié pour le «jour de l'amour du Prophète», cela n'a pas empêché une tournure violente des protestations notamment à Peshawar, près de la frontière afghane. MORTS LE JOUR DE L'AMOUR DU PROPHETE Mais c'est à Karachi, dans le sud du pays, où l'on a enregistré le plus grand nombre de morts : 9 selon un bilan provisoire. Au Bangladesh, quelques milliers de personnes ont manifesté et brûlé l'effigie de Barack Obama. Des drapeaux français ont été également brûlés par les manifestants en réaction aux caricatures de Charlie Hebdo. Des marches pacifiques ont été organisées à Kaboul aux cris de «Mort aux Etats-Unis» et «Mort à la France». Des petites manifestations ont été organisées en Indonésie devant les sièges des entreprises américaines et des représentations consulaires de la France et des Etats-Unis. Des échauffourées ont mis aux prises plusieurs centaines de policiers à des manifestants qui s'étaient attaqués à un McDonalds. Dans de nombreux pays arabes, des dispositifs de sécurité renforcés ont empêché l'arrivée des manifestants devant les représentations diplomatiques. A Sanaa, au Yémen, les manifestants qui réclamaient le «départ de l'ambassadeur américain et des forces étrangères» du pays, en référence à une cinquantaine de Marines dépêchés en renfort à l'ambassade, ont été maintenus à distance. En Irak, des milliers de personnes ont manifesté dans le calme à Bassorah. «Non à l'Amérique ! Non à Israël ! Oui au messager, nous nous sacrifions pour toi, messager de Dieu» scandaient les manifestants qui ont brûlé des drapeaux américains et israéliens. Des petites manifestations ont été organisées au Caire et au Maroc. RESPECT DES RELIGIONS ET LIBERTE D'EXPRESSION En Tunisie, où les autorités ont interdit toute manifestation pour la journée du vendredi, le leader du mouvement islamiste Ennahda au pouvoir, Rached Ghannouchi, a annoncé que les «salafistes djihadistes» seront traités avec fermeté. Il a également appelé à un dialogue au sein de l'ONU afin de «concilier la liberté d'expression et le droit à ce qu'il ne soit pas porté atteinte aux croyances des autres». C'est une tendance chez la plupart des gouvernements arabes et musulmans sous pression de la rue de demander une législation internationale sur les atteintes aux religions. «Il est temps pour la communauté internationale de prendre au sérieux les implications dangereuses du discours de haine (...) et de barrer la route à ceux qui se cachent derrière la liberté d'expression», a déclaré le secrétaire général de l'Organisation de la coopération islamique (OCI), Ekmeleddin Ihsanoglu. Une demande qui se heurte aux réserves des Occidentaux au nom du principe de la liberté d'expression. La justice américaine a rejeté jeudi la demande d'une actrice ayant participé au film qui réclamait son retrait du site internet de vidéos YouTube aux Etats-Unis. YouTube, détenu par Google, a cependant restreint l'accès au film dans plusieurs pays musulmans. Le Pakistan et le Soudan ont bloqué eux-mêmes l'accès à la vidéo, qui dénigre la figure du Prophète. Le SG de l'Onu, Ban Ki-moon, a estimé que la «liberté d'expression, qui est un droit fondamental et un privilège, ne doit pas être utilisée abusivement par un acte aussi scandaleux et honteux» que ce film, a-t-il déclaré. Les feux continuent de couver d'Asie au Maghreb.