En vingt ans, Internet s'est imposé comme un enjeu primordial du XXIe siècle. Pourtant, les règles mondiales régissant les télécommunications et l'Internet (RTI) restent inchangées depuis 1988 et l'échec de la récente Conférence mondiale des télécommunications n'augure pas d'une évolution prochaine. C'est que la gouvernance d'Internet est étroitement liée à la stratégie politique des Etats, comme l'explique Khaled Koubaa, responsable du développement de Google en Afrique du Nord. Quels étaient les enjeux de la Conférence mondiale des télécommunications ? La Conférence mondiale des télécommunications internationales (CMTI) convoquée à Dubaï du 3 au 14 décembre 2012, par l'Union internationale des télécommunications, a réuni 193 gouvernements pour tenter de réviser le Règlement des télécommunications internationales (RTI), datant de 1988. Cet ancien traité international ayant force obligatoire avait été conçu pour faciliter l'interconnexion et l'interopérabilité des services de téléphonie entre les pays. Plusieurs propositions de changement du RTI auraient eu des retombées catastrophiques sur le développement de l'Internet et sur la liberté d'expression. Et malheureusement, il n'était pas possible que n'importe quel acteur, autre que les gouvernements, participe au processus d'adoption ou rejet de ces propositions. [NDLR : Les Etats-Unis ainsi que 54 autres pays ont finalement refusé la signature du traité révisant le RTI]. Pouvez-vous résumer l'organisation et le rôle des différentes instances chargées de la gouvernance d'Internet ? Il n'y a pas d'instance chargée de gouverner Internet qui est un ensemble de réseaux interconnectés grâce au protocole de transmission se basant sur une architecture décentralisée. C'est grâce à ce modèle ouvert que plusieurs organisations techniques ont pu assurer une évolution impressionnante de l'Internet. Chacune de ces organisations fonctionne par consensus et selon un mode de bottom up (du bas vers le haut). Nous distinguons principalement : l'ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) dont la mission est de gérer les serveurs DNS (Domain Name System), l'IETF (Internet Engineering Task Force) qui est l'organisation principale des normes de l'Internet, les RIRs (Regional Internet Registries) qui sont au nombre de cinq organisations, chacune chargée de la gestion des adresses IP (Internet Protocol) dans les régions et le W3C (World Wide Web Consortium) qui s'occupe de définir les recommandations pour les technologies du web. Plusieurs autres organisations jouent un rôle prépondérant pour le fonctionnement du réseau comme le ITU (International Telecommunication Union) et le IEEE (Institute of Electronic and Electronics Engineers). Y a-t-il eu des avancées positives en matière de libertés dans les pays du Maghreb concernant la gouvernance et le contrôle d'Internet ? Depuis la réussite du Forum de gouvernance d'Internet Arabe au Koweït, en octobre dernier, plusieurs pays du Maghreb projettent d'organiser leurs propres Forum de gouvernance internet national. Google supporte la tenue de ces forums qui permettront une participation multipartite où le gouvernement, la société civile et le secteur privé échangeront sur les enjeux important d'internet. Quelle est la situation des trois pays du Maghreb en matière d'utilisation d'Internet ? Quel est le taux de pénétration d'internet dans chacun des pays ? L'utilisation de l'internet dans les pays du Maghreb, principalement le Maroc, l'Algérie et la Tunisie, peut être considérée comme satisfaisante par rapport aux autres pays africains. Mais en même temps, les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes, sachant que ces trois pays sont parmi les premiers en Afrique à avoir été connectés à Internet. Le taux de pénétration d'Internet, en 2012, est respectivement de 51% pour le Maroc, de 14 % pour Algérie et de 39,1 % pour la Tunisie, selon la population de ces différents pays (d'après le site Internet World Stats). Mais ces chiffres ne reflètent pas réellement la situation de l'internet au Maghreb. Il est à noter que le taux d'abonnés au haut débit est respectivement de 1,56% au Maroc, 2,54% en Algérie et 4,60% en Tunisie (selon les chiffres de 2010). Où en sont ces pays en matière d'Open data (données publiques) ? La Tunisie, en particulier, a-t-elle évolué dans ce domaine depuis la fin de la Révolution ? L'Open Data est un concept qui a commencé à prendre forme dans les stratégies annoncées par les trois pays depuis quelques années mais dont les applications tardent malheureusement à se concrétiser aux niveaux des projets. La Tunisie par contre a initié, après la Révolution, le processus d'adhésion au programme mondiale Open Government Partnership (OGP Partenariat pour un gouvernement transparent) qui a pour objectif d'engager les gouvernements à prendre des actions concrètes afin de promouvoir la transparence, soutenir les citoyens et lutter contre la corruption grâce aux nouvelles technologies et l'open data. Selon vous, les entreprises maghrébines exploitent-elles suffisamment les potentialités offertes par les TIC ? Si non, comment pourraient-elles progresser ? Les entreprises maghrébines se sont développées depuis des années dans le secteur de l'offshoring et de la sous-traitance pour le compte des entreprises et de grands groupes européens. Il est temps, désormais, de développer de la valeur dans nos pays en créant notre contenu et nos services en ligne. Pour cela, il est vraiment indispensable de démocratiser l'accès au haut débit à la majorité des Maghrébins et de réduire les barrières à l'initiative et à l'innovation afin de créer des entreprises innovantes qui peuvent devenir leader dans la région ou sur la scène internationale. Bio-express : Khaled Koubaa est responsable de la stratégie de développement en Afrique du Nord au sein de Google. Il travaille aussi comme consultant indépendant pour les ONG et les gouvernements de la région MENA pour conseiller ces organismes sur l'utilisation de l'Internet et des nouvelles technologies au service du changement social. Il a fondé en 2006, en Tunisie, l'Internet Society Chapter dont il a été le président.