« La question n'est certainement pas de savoir ce qui est le plus utile au bon fonctionnement d'un Etat de droit démocratique : une presse libre et critique ou une justice indépendante et efficace. L'un et l'autre sont les gardiens d'un régime démocratique. C'est pourquoi il est essentiel qu'ils coexistent de manière harmonieuse ». La mission de la presse est d'informer de manière critique, y compris sur la justice. Et il appartient à la justice de veiller à garantir à tout un chacun le droit à la présomption d'innocence et à un procès équitable. Cette tension débouche sur un paradoxe pour les citoyens d'un Etat de droit démocratique : d'une part, une information libre et critique est une des conditions d'un régime démocratique, de l'autre elle peut précisément compromettre un certain nombre de droits fondamentaux de ces mêmes citoyens, comme la présomption d'innocence, le respect de la vie privée ou le droit à un procès équitable. Une escalade des conflits entre les médias et la justice risque de se faire aux dépens du citoyen. Pourtant, on ne pourra jamais éliminer entièrement cette tension parce que les médias et la justice s'inspirent d'une logique et d'une finalité très différente. Les médias privilégient la rapidité alors que la justice adopte un mode de fonctionnement lent et réfléchi: son objectif n'est pas la vitesse et l'intérêt du public, mais l'équité. Ces divergences résultent des fonctions différentes que remplissent la presse et la justice dans la société et ne sont donc pas négatives en tant que telles. Un mémorandum de la magistrature affirme : « la presse et la justice ne doivent pas (et ne peuvent même pas) devenir des amis : tout au plus sont-elles des sœurs ennemies entre lesquelles il faut maintenir un dialogue -sans concessions mais correct- afin de maintenir en équilibre des intérêts essentiels et fondamentaux dans un Etat de droit ». Les journalistes qui ont participé à la journée d'études au thème générique « la relation justice-presse » organisée jeudi 30 avril par la Cour d'Oran étaient unanimes à apprécier sincèrement cette initiative de l'institution judiciaire. Magistrats et journalistes ont parlé à bâtons rompus une demi-journée durant sur divers sujets en rapport avec les aspects juridiques et déontologiques liés au travail journalistique, mais également sur la relation ô combien passionnée et passionnante entre la justice et le « quatrième pouvoir ». Et le débat était d'autant plus riche et fructueux qu'un professeur universitaire très à cheval sur le domaine médiatico-judiciaire et qui en connaît un sacré rayon sur les subtilités de la relation « justice-médias » ici et ailleurs, y a été invité. En l'occurrence, M. Amrani Ahmed, enseignant à la faculté des sciences humaines d'Oran, département de l'information et de la communication. Au-delà des idées d'ordre juridique, politique parfois, et même philosophique, ainsi que des éclairages purement techniques qui ont été apportés lors de cette rencontre abritée par la grande salle d'audience du tribunal d'Oran de Cité Djamel, le message le plus pertinent et qui, à notre sens, recèle le plus l'idée principale du sujet actuel, c'est la « recommandation » émise par le président de la Cour d'Oran, M. Medjati dans ce propos de conclusion. « Le maître-mot de tout cela, c'est l'autoformation, l'autodidaxie du journaliste pour celui qui veut se spécialiser dans la chronique judiciaire. Le journaliste doit se prendre en charge individuellement en la matière car, en définitive, ce genre de rencontres bien qu'il soit très utile certes, n'est qu'un point de cadrage, d'éclairage, et non pas une formation en soi. La couverture des activités judiciaires, un domaine spécifique et assez atypique par rapport aux autres tâches journalistiques, ne peut s'exercer sans une base assez solide en droit, d'où la nécessité pour le journaliste exerçant de se former continuellement ». Le chroniqueur judiciaire est, en effet, soumis à des règles professionnelles plus rigoureuses que le journaliste polyvalent, outre les conditions de travail qui sont, elles aussi, très différentes. En effet, quand le chroniqueur judiciaire couvre un procès, il est propulsé dans une situation où il n'a accès à aucune source d'information à part les débats d'audiences qu'il essaie de décrypter, mais de les rapporter fidèlement. Son contexte de travail est différent d'un journaliste qui va à la conférence de presse d'une banque ou d'une administration publique présentant son bilan annuel. Ce journaliste doit garder plus facilement sa distance critique par rapport au message qui lui est adressé, poser des questions qui dérangent, recouper ce qui lui est dit avec des points de vue, par exemple, d'un organe syndical concerné, des citoyens Le chronique judiciaire, lui, est muet, ne peut poser aucune question qui dérange, ni qui plait d'ailleurs. Son commentaire du réquisitoire ou du verdict, par exemple, il le garde pour lui, sous peine de La liberté d'expression et les garde-fous du travail journalistique dans les chartes internationales et la loi sur l'information, le secret d'instruction et d'investigation et la garantie de la présomption d'innocence et l'inviolabilité de l'intégrité morale et la vie privée d'autrui, les délits de presse, l'accès aux sources d'information et le respect du secret professionnel, ont fait, entre autres thèmes, l'objet de conférences animées par des magistrats de siège, d'instruction et de parquet, qui ont été suivies de débats, et ce en présence et avec la participation du président de la cour d'Oran, M. Ahmed Medjati, et du procureur général, M. Mhamed Bekhlifi.