Le drame des réfugiés de toutes nationalités qui tentent de rejoindre, à travers les flots périlleux de la Méditerranée, et en nombre, de plus en plus, important, un havre de paix, trouve son parallèle quelque dix mille kilomètres plus loin, dans les mers dangereuses de l'Andaman et du Détroit de Malacca. Une pente mentale facile, comme la proximité des images de ces deux scènes d'une même tragédie, quand elles sont présentées par les chaînes de télévision internationales, pourraient induire l'observateur à mettre, dans la même catégorie, ces déplacements forcés de populations, fuyant les guerres, la pauvreté et les persécutions, et à jeter le blâme de ces tragédies humaines sur la mafia des passeurs, véritables marchands d'esclaves des temps contemporains. LES ROHINGYA, NOUVEAUX DAMNES DE LA TERRE: Même situation, des causes différentes Une analyse plus proche de la réalité révèle que les causes de ces migrations massives de centaines de milliers de femmes, enfants, hommes, qui acceptent d'affronter la mort plutôt que de continuer à souffrir dans leurs pays d'origine, sont diverses et ne peuvent ressortir de la même origine. Parmi ces nouveaux damnés de la terre et de la mer, les Rohingya, minorité originaire de la Birmanie, sont, contrairement aux autres émigrés clandestins, sujets d'une politique déclarée, délibérée, systématique et légalisée, de génocide de la part de la junte militaire au pouvoir en Birmanie, depuis 1982. Les gouvernements birmans qui se sont succédé, depuis 1982, et qui se ressemblent dans leur « mode de gouvernance, » mais sous une forme légèrement amendée, tout récemment, pour faire croire au reste du monde, - et plus précisément aux grandes puissances,- qu'ils acceptent de se soumettre aux nouveaux credo démocratiques, en vogue actuellement, se sont acharnés à éliminer physiquement cette minorité qu'ils considèrent comme étant étrangère à la Birmanie. Les émeutes anti-Rohingya, qui, de temps à autres, éclatent et sont, de manière générale, organisées et provoquées par la hiérarchie religieuse bouddhiste, sont, en fait, non des incidents de caractère localisé et circonstanciel, mais entrent dans le cadre d'une politique officielle continue du gouvernement birman, dont l'objectif final est l'élimination totale des Rohingya, qui, en plus de leur langue -sans rapport avec le bengali du pays voisin- leurs caractéristiques physiques, les distinguant des populations mongoloïdes de la Birmanie, se trouvent « être des Musulmans. » LA BIRMANIE CHERCHE DES COMPLICES REGIONAUX AU GENOCIDE DU PEUPLE ROHINGYA Il est étrange que sont mis en cause, non le gouvernement birman, mais les pays d'accueil qui refusent de servir d'être instrumentés par ce gouvernement et de l'aider, - en facilitant l'accès de leurs territoire à ces migrants,- à réussir le génocide des Rohingya, auquel leur pays d'origine a retiré la citoyenneté de manière arbitraire pour mieux asseoir la légitimité et la légalité de ce crime atroce de liquidation physique de tout un peuple. La Birmanie a, pourtant, ratifié, le 12 juin 1956, la Convention internationale sur la Prévention et la Répression du crime de génocide. UNE CONVENTION AUX DEFINITIONS CLAIRES ET DONT LES CLAUSES S'APPLIQUENT AU TRAITEMENT DU PEUPLE ROHINGYA Cette convention, aux clauses de laquelle la Birmanie a adhéré, officiellement, il y a, déjà, près de soixante années de cela, et dont elle s'est, donc, engagée à respecter, aussi bien le texte que l'esprit, définit le génocide ainsi qu'il suit: « Dans la présente convention, le génocide, s'entend de l'un quelconque ci-après, commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel : a) Meurtre de membre du groupe ; b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle d) Mesures à entraver les naissances au sein du groupe e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe » Dans le même temps, cette convention établit, dans son article que : « Seront punis les actes suivants : a) Le génocide b) L'entente en vue de commettre le génocide c) L'incitation directe et publique à commettre le génocide d) La tentative de génocide e) La complicité dans le génocide » Dans son article 5, elle précise que : « Les parties contractantes s'engagent à prendre, conformément à leurs constitutions respectives, les mesures législatives nécessaires pour assurer l'application des dispositions de la présence Convention, et notamment à prévoir des sanctions pénales efficaces, frappant les personnes coupables de génocide ou de l'un quelconque des autres actes énumérés à l'article III ». Ces articles sont, suffisamment, clairs pour ne pas demander de commentaires supplémentaires. LE GENOCIDE DU PEUPLE ROHINGYA N'EST PAS UNE AFFAIRE INTERNE BIRMANE Ce qu'il faut souligner, c'est que l'adhésion à cette convention constitue la reconnaissance par les Etats qui en font partie, dont la Birmanie, que le génocide est un crime dont la définition a été établie à l'échelle internationale, que c'est un crime qui ne peut, donc, laisser la Communauté internationale indifférente, même s'il est perpétré sur le territoire d'un Etat indépendant, et que tout Etat, partie prenante dans cette Convention, reconnaît, à cette Communauté internationale, le droit d'intervenir pour, non seulement, que sa commission soit dénoncée, internationalement, mais, également, que les auteurs de la perpétration de ce crime soient poursuivis, tant à l'intérieur de leur pays, par les autorités compétentes, que par les institutions internationales de répression des crimes contre l'Humanité, telle la Cour internationale de La Haye. En termes plus simples et plus directs, dès qu'un pays a adhéré à cette Convention, il ne peut pas arguer du caractère interne des actes de génocide perpétrés sur son territoire, sur la base de lois internes ou du fait de conflits inter-ethniques ou entre communautés religieuses, qu'il organise délibérément ou qu'il ne peut réprimer, du fait de sa faiblesse. UN DRAME QUI INTERPELLE TOUTE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE Le génocide des Rohingya n'est pas une affaire interne birmane, mais un drame qui interpelle toute la Communauté internationale, dont la Birmanie s'est engagée à respecter la Convention sur le génocide, d'autant plus que ce génocide n'a rien de spontané, et qu'il constitue la politique officielle de ce pays, depuis 1982, c'est- à-dire depuis la ratification par la junte militaire de la loi sur la nationalité qui déchoit de leur citoyenneté les Rohingya, sous le prétexte que ce seraient des descendants d'émigrés clandestins d'origine bangladeshi, qui se seraient infiltrés sur le territoire birman, à l'occasion de l'occupation de territoire par le Royaume-Uni, à partir de 1823. LES ROHINGYA, PARTIE HISTORIQUE INDENIABLE DES MINORITES BIRMANES Il n'y pas de génocide qui n'inclut pas une forte dose de falsification de l'histoire. On l'a constaté, lors des différentes tentatives de nettoyage ethnique et religieux qui se sont déroulées dans l'ex Yougoslavie, dans les années quatre vingt-dix, du siècle dernier. La justification officielle du génocide des Rohingya comporte, cela va sans dire, une forte composante de falsification de l'histoire. Citons, pour ne pas encombrer ce bref exposé de détails historiques, un article publié, le 13 février 2014, sur le site Internet du Centre pour les Etudes stratégiques et internationales, (siège: Washington, DC, USA) article intitulé : « Séparer les faits de la fiction à propos des Rohingya de Birmanie. » ( http://csis.org/publication/separating-fact-fiction-about-myanmars-rohingya). Dans cet article, son auteur Grégory B. Poling, affirme ce qui suit : « Même si le nom «Rohingya» est trop tabou pour être accepté au Myanmar (nom officiel actuel de la Birmanie), la documentation historique établit, clairement que ce groupe ethnique a existé, dans l'état de l'Arakan, ou état du Rakhine, depuis de longs siècles. Une population musulmane importante vivait dans le Royaume indépendant de Mrauk-U qui gouvernait l'état actuel de Rakhine, depuis le milieu du 15ème siècle jusqu'à la fin du 18ème siècle. Nombre de rois bouddhistes de Mrauk-U avaient même pris des titres honorifiques musulmans. Les preuves (historiques, nda) suggèrent que cette communauté est à l'origine des Rohingya du temps présent. » UN PEUPLE DECHU, ARBITRAIREMENT, DE LA NATIONALITE BIRMANE L'auteur rapporte, également, que les Rohingya avaient été reconnus, lors de l'accès de la Birmanie à l'Indépendance, en 1948, comme des citoyens birmans, à part entière. Il écrit à ce propos, confirmant que les Rohingya ne sont pas des apatrides ou des émigrés clandestins, mais un peuple, dont la patrie est la Birmanie, arbitrairement exclu de la pleine citoyenneté birmane qui lui avait été reconnue à l'indépendance: « A la suite de l'indépendance octroyée par le Royaume-Uni, le gouvernement parlementaire de Myanmar (1948-1962) reconnut les Rohingya comme citoyens. Le Premier ministre U NU fit référence à ce groupe par le nom de Rohingya, ce qui détruit la véracité de la narration actuelle des autorités birmanes, selon lesquelles ce terme est d'invention récente. Les Rohingya bénéficiaient, alors, de cartes d'identité et de documents officiels, et de tous les droits attachés à la citoyenneté birmane ; la radio publique nationale diffusait, même, plusieurs émissions en langue Rohingya. » Cet article, écrit par un « non-musulman, » par ailleurs expert reconnu des Affaires de la région de l'Extrême-Orient, membre d'un think tank' sérieux et dont l'objectivité n'a jamais été disputée, trace, également, l'historique du génocide de la minorité Rohingya, d'abord reconnue -cela a déjà été souligné plus haut- comme partie intégrante des peuples de Birmanie, puis, peu à peu, marginalisée par des lois d'exception, et enfin, déchue de la nationalité birmane, et soumise à des réglementations et à des attaques, incontestablement, de type génocidaire, depuis la destruction, par les autorités, des agglomérations où cette minorité est localisée, en passant par la confiscation de ses biens, l'interdiction de la scolarisation de ses enfants, dans les écoles enseignant en langue rohingya comme en langue birmane, en passant par les massacres , les destructions des lieux de culte, l'interdiction d'avoir une carte d'identité, sous quelque forme que ce soit, et en finissant par l'interdiction de mariage et le refus d'enregistrement sur les registres d'état civil, des enfants nés de parents rohingya, et par le refus de reconnaissance de l'existence de cette minorité, dans le recensement général birman de juillet 2014, recensement pourtant financé par l'ONU et certains Etats de l'OCDE, dont la Suisse et les Pays-Bas. UN SILENCE EFFROYABLE ET CRUEL DE LA PART DE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE Le génocide des Rohingya n'est pas une affaire intérieure birmane, du fait même de l'adhésion de la Birmanie à la Convention internationale sur la répression du génocide. Pourquoi donc la junte actuelle, au pouvoir, qui a fait quelques gestes symboliques d'ouverture envers la « Communauté internationale, » en libérant quelques opposants politiques connus, dont une titulaire du Prix Nobel de la Paix, en organisant des élections législatives hyper contrôlées, laissant tous les pouvoirs à la junte actuelle, en acceptant une petite ouverture de la presse? L'explication à cette absence d'indignation, si ce n'est à cette complicité tacite de la part des grands donneurs de leçons d'humanisme -et des plus puissants de ce monde,- peut être cherchée, à la fois dans la conjonction: - des intérêts économiques internationaux puissants, qui permettent à la junte d'acheter l'appui de grands groupes miniers et pétroliers internationaux en les laissant, à leur gré, et dans des conditions permettant la porte, grande ouverte à l'exploitation de la main-d'oeuvre birmane, à la destruction de l'environnement, et à toutes sortes d'autres abus au nom de l'accroissement des profits et de la valeur boursière des actifs de ces groupes (voir l'affaire de la compagnie Total' française poursuivie devant des tribunaux américains pour violation des droits des travailleurs et des minorités birmanes et complicité dans le déplacement et le travail forcé de populations autochtones avec l'appui de l'armée birmane stipendiée par cette même compagnie, voir article sur le quotidien anglais The Independent' du 10 septembre 2009 qui accuse Total' d'avoir versé 5 milliards de dollars à la junte birmane, sur un compte bancaire à Singapour http://www.independent.co.uk/news/world/asia/burmese-generals-pocket-5bn-from-total-oil-deal-1784497.html); - des intérêts géostratégiques vitaux dans cette sourde lutte entre grandes puissances dans la région de l'Extrême Orient, la Birmanie ayant une frontière commune avec le Yunnan chinois, (où une grande partie de la population a adopté l'Islam, comme religion, depuis le 14ème siècle) et des relations économiques étroites avec son voisin géant du Nord, très présent tant dans l'exploitation minière que forestière. EN CONCLUSION 1- Le génocide du peuple Rohingya correspond, exactement, à la définition de ce crime telle qu'elle apparaît, dans l'article 1er de la Convention de l'ONU destinée à internationaliser la poursuite et la répression de ce type de crime contre l'Humanité, particulièrement, horrible, car il ne vise, rien d'autre qu'à faire disparaître un peuple 2- Du fait de la ratification officielle de cette Convention, le gouvernement birman reconnaît que c'est un crime dont la commission doit être punie sous l'empire de cette convention, et que ce crime, même commis sur le territoire de l'Etat souverain de Myanmar, concerne la Communauté internationale, dans son ensemble, et ne peut être considéré comme une affaire interne birmane, d'autant plus que la loi birmane, les mesures répressives systématiques de tout type, prises contre les Rohingya, ressortissent d'une politique délibérée et claire de génocide de ce peuple, partie historique du tissu sociétal birman; 3- Le génocide, par l'Etat de Myanmar, du peuple Rohingya ne fait aucun doute, pourtant, à l'exception de quelques tirades opportunistes de fonctionnaires de l'ONU, sans poids politique, et quelques froncements de sourcils des grandes puissances de ce monde, aucun responsable birman, directement, impliqué dans cette opération de liquidation physique systématique, n'a fait l'objet d'une mise en accusation devant le Tribunal international de La Haye, aucune puissance signataire de la convention sur la répression de ce crime, n'a effectué des démarches, prévues par la convention, pour que ces dirigeants fassent l'objet de mandats d'arrêts internationaux, soient mis sur les listes d'interdits d'entrée sur les territoires de ces pays, à la larme, si facile, dans des cas de crimes politiques de moindre ampleur, lorsque, évidemment, leurs intérêts économiques ou géostratégiques ne sont pas en jeu, mais qui se contentent de quelques gentilles tapes sur le dos des criminels dans le cas contraire. On aurait souhaité que le ministre des Affaires étrangères d'un grand pays, qui a sponsorisé une résolution du Conseil de sécurité sur le sort des Chrétiens du Moyen Orient, dans la détérioration duquel son pays joue un rôle des plus importants, fasse preuve de la même sollicitude à l'égard d'une minorité musulmane, « non terroriste, » désarmée et qui, depuis maintenant plus de quarante années, fait l'objet d'une politique systématique de génocide, politique confirmée par des textes de lois, internes à ce pays, et corroborées par des observateurs internationaux reconnus et objectifs. Quand donc la Birmanie sera-t-elle mise au ban des Nations pour les crimes qu'elle commet contre le peuple Rohingya ? A quand, donc, une intervention militaire contre le régime sanglant de la junte birmane qui se permet de défier la Communauté internationale, si prompte, pourtant, à menacer de ses foudres et à utiliser sa force de frappe ou ses leviers économiques et juridiques pour frapper les récalcitrants à l'ordre international? Ou le génocide du peuple Rohingya est-il légitime et dans l'ordre des choses, dans cette guerre internationale, menée contre le terrorisme « islamique? »