Russes et Américains ont décidé d'engager et de parrainer un «processus de paix» en Syrie. Une première, dans la diplomatie internationale forçant, par ailleurs, l'Iran et l'Arabie-Saoudite à se parler. Comment négocier la paix sans discuter avec l'adversaire ? C'est cette question de simple «bon sens» que la diplomatie russe semble rappeler aux diplomates occidentaux et leurs alliés arabes, lors de l'ouverture, hier matin, à Vienne, de la conférence internationale consacrée à la guerre en Syrie. D'ores et déjà, Vladimir Poutine a un jeu d'avance, en ayant réussi à convaincre les «coalisés» occidentaux à sursoir à leur intransigeance d'exclure le régime syrien et l'Iran des pourparlers pour la paix et surtout de faire asseoir, à la même table, des négociations l'Iran et l'Arabie Saoudite, deux pays accusés d'alimenter, dans un jeu de surenchère et d'influence idéologique, la haine et le feu, au sein du peuple syrien. Dans ce bourbier de violences, la conférence de Vienne devrait, en principe, s'accorder dans un premier temps, sur une cible commune : l'éradication de Daech de la région. Et ce ne sera pas aussi facile qu'il n'y paraît, tant le groupe terroriste dit «Organisation de l'Etat islamique» (OEI), dispose de complicités et de réseaux de soutien, ailleurs qu'en Syrie même. Sinon comment expliquer la progression et les succès militaires de ses hordes de tueurs, malgré l'appui des avions bombardiers et chars d'assaut des Occidentaux, depuis plus de quatre ans? Malgré le contrôle total du système de communications par les satellites américains ? Après son implication militaire sur le terrain de guerre en Syrie, la Russie «s'impose» sur le front diplomatique et politique, en incluant le régime de Bachar El Assad, dans la négociation pour une éventuelle paix. Les Occidentaux ont saisi l'occasion, en laissant entendre qu'ils font la différence entre la personne du président Bachar El-Assad et le régime politique syrien. Mieux, les USA acceptent, même, de différer la condition du départ immédiat du président syrien, pour donner une chance à la paix. Une façon de faire un pas en avant vers la proposition russe et de sortir, par la même occasion, de l'impasse politique dans laquelle ils se sont enfermés, en faisant du départ d'El-Assad, un préalable aux pourparlers de paix. Reste l'Europe. Particulièrement la France et la Grande-Bretagne qui, rappelons-le, ont été les «meneurs» de la guerre en Syrie et qui sont «forcées» à suivre la logique et le rythme diplomatique qui sera engagé, entre Russes et Américains. Pareil pour les autres «adversaires et intervenants» dans l'enfer syrien que sont l'Iran, l'Arabie Saoudite et le Qatar. Ils épouseront, chacun pour ce qui le concerne, les thèses de leurs tuteurs que sont les Américains et les Russes. Reste, enfin, encore, la Turquie : elle dispose de meilleurs atouts géostratégiques et pourrait enclencher de réels dividendes politiques, aux plans interne et externe. Dans cette guerre où elle a engagé son aviation, la Turquie est à la fois l'alliée de Washington et de Moscou. Membre de l'Otan et route de l'énergie, entre la Russie et l'Europe, la Turquie est courtisée par les deux négociateurs en chef : la Russie et les USA. Vis-à-vis de l'Europe, Ankara a une autre force de frappe : les flux migratoires provenant de Syrie, d'Irak, d'Afghanistan et bien d'autres contrées. La guerre en Syrie a fini par aspirer ses voisins immédiats et l'Europe dans un «désordre» aux conséquences incalculables : multiplication des groupes terroristes en Syrie (et même en Irak), risque accru du terrorisme en Europe (filières djihadistes), crise migratoire en Europe et son influence sur les politiques des Européens, affaiblissement de la construction de l'Union européenne, etc. Seuls les Américains et les Russes sont, pour l'heure, épargnés du chaos syrien. Et c'est, tout naturellement, eux deux qui vont mener ce nouveau «processus de paix». Dans tous les cas et quel que sera le temps nécessaire pour aboutir à la fin de la guerre, il restera deux questions majeures à résoudre : l'avenir de la Syrie et celui des groupes terroristes de l'Etat islamique comme ceux d'Al-Nosra et bien d'autres groupuscules de moindre importance. Y aura-t-il une partition de la Syrie, au regard de la question kurde, comme cela a été fait en Irak ? Que faire des djihadistes de l'Etat islamique, plus nombreux et mieux organisés que ceux d'El Qaïda. Finiront-ils, pour ceux qui seront fait prisonniers, dans un deuxième «Guantanamo» ? Cette première rencontre à Vienne, si elle marque un tournant politique et diplomatique considérable, tant par les acteurs qui y participent que les conditions particulières, inscrites à l'ordre du jour de la négociation, ne pourra aboutir à une paix durable, dans la région, sans un compromis géostratégique des deux grands acteurs mondiaux que sont la Russie et les USA. Un dernier acte pour effacer ce qui reste encore de la «guerre froide» qui laissait entendre à la défaite de l'ex URSS, jusqu'au retour de la nouvelle Russie, en Crimée, et son entrée en guerre, voilà plus d'un mois en Syrie.