On n'entre pas dans le Palais présidentiel en disant aux huissiers de service : «j'ai vu la lumière allumée alors je suis passé dire bonsoir». Ni pour y déposer une requête, une lettre ou tout autre document, aux bons soins du président. Il faut prendre rendez-vous. Et surtout dire, au préalable, lors de contacts, les raisons de cette initiative. En somme, lorsque fut reçue cette missive des 19, les récipiendaires se doutaient bien, non seulement de son contenu, mais également du but ultime de la démarche. Une démarche qui se résume en quelques mots : «Monsieur le Président, exercez-vous encore le pouvoir au nom du peuple algérien ?» Heureux que le président ne les ait pas reçus. Heureux qu'il ne les reçoive pas aussi. S'il venait à admettre devant ces 19 signataires son incapacité à gérer les affaires de l'Etat, son ignorance des mesures prises en son nom, que feraient les 19 signataires, autoproclamés défenseurs de la Patrie, en le quittant au terme de l'audience ? Courir à l'Assemblée nationale et au Sénat pour exiger une réunion d'urgence de la représentation nationale pour lui faire voter l'article 88 de la Constitution déclarant la vacance du pouvoir ? Est-ce imaginable ? Et s'il venait à les recevoir, et confirmait les options choisies jusqu'alors, qu'envisageraient-ils ? La rue ? Cette initiative, irresponsable, désespérée, pourrait-on dire, porte les germes d'un coup de force d'un côté comme de l'autre des rives du pouvoir . Elle conduit au durcissement que l'appareil étatique a montré quand se sont exprimées d'autres personnalités. Si elle disqualifie davantage le régime aux yeux de l'opinion, n'épargnant aucun appareil de l'Etat, elle n'épargne pas le front, les partis dits d'opposition dont le long matraquage n'aura pas pu faire douter El Mouradia. En définitive, la méthode utilisée, une fetna à la fetna. Pour expliquer la démarche, Mme Louisa Hanoune dénoncera, au cours d'une conférence de presse suivant ce dépôt de document, «les derniers dérapages qui s'accélèrent à un rythme effrayant (qui risquent) de mener le pays à l'irréparable». Ces dérapages vers lesquels, justement, les doigts de certains observateurs et universitaires pointaient dès la fin du troisième mandat. Il y a longtemps. Ce qui ne l'a pas empêché de soutenir, mordicus, la candidature de M. Bouteflika pour un quatrième bail. Aujourd'hui, le résultat est sous ses yeux. Ce n'est plus d'un dérapage qu'il s'agit. Elle se trompe. Il s'agit bien d'une culbute. Ainsi, à Alger, le 6 novembre dernier, des cadres de l'UGTA - secrétaires généraux des fédérations et des unions de wilaya côtoyaient le ministre du Travail et de l'emploi, M. Mohamed el Ghazi, le président du Patronat (FCE), M. Ali Haddad, et le secrétaire général de l'UGTA, M. Abdelmadjid Sidi Saïd. Une triplette réunie lors d'une réunion organique du syndicat historique qui ferait pâlir de jalousie le puissant syndicat américain AFL-CIO! Cette initiative ajoute aux doutes de chacun quant à la chaine de communication entre le pouvoir législatif et e xécutif. En d'autres termes, il n'y a ni président, ni les deux chambres, députés et sénateurs, qui n'ont pas semblé s'alarmer de la conduite du pays pour poser les questions qui leur brûlent sans doute les lèvres à ce jour. On y lirait qu'il n'y a pas non plus de Premier ministre, encore moins de gouvernement si chaque ministre est soupçonné, entre les lignes, d'opérer selon son bon vouloir ou selon des «autorités» obscures. Les relais entre les structures du pouvoir seraient atomisés. On verrait mal la personne, qui devrait transmettre le document au président, le lui lire donc, puis prendre note de ses recommandations pour y répondre positivement, vérifier son agenda et lui proposer une date qui lui conviendrait pour recevoir les 19 signataires. Au nom de quoi ? Au nom de cette «amitié» qui n'existe pas en politique. Pour enfoncer le clou, les signataires ont entouré leur démarche de publicité. Comme pour forcer les portes. Et pousser en première ligne, pour se justifier, un homme qu'ils prétendent soutenir ou défendre. En tous cas, qu'ils ne soupçonnent pas de telles conduites. Ainsi prennent-ils à témoin le peuple. Ne leur aurait-il pas suffit de chercher à voir le destinataire en privé, au nom des valeurs dont ils se réclament, et lui dire son fait ? Sans tambour et trompettes ? Troublante démarche. «Expliquez-vous, Monsieur le Président», diraient ces personnalités. Survenant un 2 novembre, se revendiquant, certes, des principes de la Révolution algérienne, la demande d'audience intervient alors qu'on prêtait au premier responsable de l'Etat une déclaration publiée par la presse, reprise par les médias électroniques, dans laquelle il indiquait ses intentions d'élargissement des bases démocratiques dans la nouvelle mouture de la Constitution actuelle. Des propositions méritant une grande attention et une promesse ferme pour les mettre en pratique. Avec l'obligation de réintroduire, lors de leur discussion dans un cadre ouvert, démocratique, d'autres vues et principes, non négociables, qui ont été oubliés, sinon abandonnés en cours de route, à force de passer de mains en mains le projet de Constitution ou de sa révision. Cette demande, cette démarche, cette lettre est, véritablement, une bombe. Même si Mme Zohra Drif espère transformer «notre peur en une énergie positive et en une initiative constructive». En fait, la peur des signataires a brouillé les cartes. Et, ce faisant, elle remet tout en cause, aussi bien la prudence et la patience, que le travail de préparation et d'organisation des partis en vue d'une alternative viable et crédible. Et, ainsi, le projet même de révision de la Constitution. Nous voici donc orphelins d'un Etat.