«Ce n'est pas la première fois que l'Algérie recourt à la planche à billets, à la différence que pour cette fois-ci, le gouvernement l'a rendue publique.» Ce sont donc 1.800 milliards de dinars qui doivent être imprimés par la Banque d'Algérie pour couvrir les déficits budgétaires creusés par la chute des cours du pétrole, depuis plus de 3 ans. C'est ce qui est consacré dans la loi de finances de 2018 qui vient d'être adoptée par l'Assemblée nationale (APN). Dès son installation à la tête du gouvernement, Ahmed Ouyahia s'est empressé d'affirmer devant le Parlement qu'il a décidé de recouvrir au financement non conventionnel (FNC) ou plus clairement à la planche à billets pour, certainement, montrer que dès son arrivée au Palais du gouvernement, il a trouvé la solution miracle à la crise qui pèse sur le pays. Un ancien ministre des Finances s'étonne de voir un Premier ministre claironner une décision «d'une telle importance de par sa sensibilité tant elle doit relever de la Raison d'Etat, elle relève de la souveraineté nationale,» estime-il. L'ex-ministre précise surtout que «ce n'est pas la première fois que la Banque d'Algérie recourt à la planche à billets, notamment dans des conjonctures sensibles comme les années 80 ou 90, mais aucune institution ne devait en parler pour des raisons de prudence impérative.» Soumis au devoir de réserve, notre interlocuteur refusera de nous préciser les années exactes durant lesquelles «le pays s'est réfugié à l'ombre de la planche à billets.» Dans une interview parue dans ces mêmes colonnes (voir Le Quotidien d'Oran' du dimanche 29 et lundi 30 octobre 2017), l'économiste et directeur de l'Institut des Ressources humaines (IDRH-Oran), Mohamed Bahloul Echakir a fait, entre autres observations, au sujet du recours du gouvernement au FNC, celle relative, a-t-il dit « à la communication institutionnelle.» «Un modèle assis sur ses propres contradictions» Bahloul s'est, en effet, interrogé «pourquoi une telle stratégie de médiatisation au nom de « la vérité sur les comptes publics » ? Ne s'agit-il pas de la monnaie, ce mélange détonnant que la parole publique se doit de manipuler avec prudence et précaution ? » Sur toutes les questions qui se posent, depuis longtemps à ce jour, à propos du blocage de l'Economie nationale, l'économiste affirme que «c'est un modèle qui est assis sur ses propres contradictions : distribution de ressources limitées pour, d'une part, rendre solvable une demande sociale exponentielle, de plus en plus exigeante et diversifiée de la population, et, d'autre part, rétribution de certains segments de la bureaucratie et de certains groupes sociaux de proximité avec les réseaux de l'administration, une gestion politique de la dépense publique qui a rendu, de plus en plus, difficile la réduction des budgets sociaux, le tout adossé à une gouvernance de l'urgence qui elle-même fabrique et a fait exploser les besoins sociaux.» Une des dernières aberrations du système qu'analyse Bahloul, le remboursement, à coups de sommes faramineuses, les agriculteurs qui ont été victimes des incendies de l'été. «Je suis satisfait de ce qu'on m'a remboursé, ça me suffit par rapport aux pertes que j'ai subies, je n'ai pas d'assurance mais on m'a remboursé, c'est celui qui a assuré ses biens qui n'aura rien, » a déclaré avec une joie débordante un des bénéficiaires. Des propos qui décourageraient plus d'un qui penseraient assurer ses terres, ses cultures ou ses élevages alors que la tutelle pense en faire un point d'honneur. L'avis de Bahloul sur le FNC ? « Il est craint qu'une fois la crise des ressources dépassée, on installe le pays et son économie dans le jeu de la manœuvre tactique et dans la gouvernance de l'urgence et on oublie tout. » L'économiste recommande «d'organiser le passage d'une économie extractive à une économie basée sur le travail et la connaissance.» La perception d'une économie basée sur la connaissance, Mohamed Seghir Babes en avait fait son cheval de bataille. Mais il s'en est allé sans voir son projet aboutir. D'ailleurs, depuis son décès le 7 mars 2017, le Conseil national économique et social (CNES) qu'il dirigeait n'a plus de président. Pourtant, l'institution vaut par ses recommandations et ses propositions pertinentes qu'elle a toujours consacrées dans ses rapports, notamment au temps de Mohamed Salah Mentouri. Ceci, même si elles ont été exprimées comme l'a affirmé Bahloul, à l'adresse de gouvernements qui «se sont, à plusieurs reprises, trompés de cible et donc de sujet de débat devant réunir les Algériens.» «Ce sont des analyses de salon» Il est, quand même, attendu que l'institution reprenne de sa verve à partir du moment qu'elle a été constitutionnalisée en 2016. « De par ses missions, le CNES pourra être d'un grand renfort pour le gouvernement, dans une telle conjoncture où le pays se trouve dans une zone de turbulences dangereuse pour ses équilibres de toutes natures,» estiment des responsables du secteur économique. Dans le chapitre III au titre Des institutions consultatives', la Constitution de 2016 stipule dans son article 204 que «Le Conseil national économique et social, ci-dessous dénommé le Conseil', est un cadre de dialogue, de concertation et de proposition dans le domaine économique et social ». Le CNES est « le conseiller du gouvernement,» est-il inscrit. Art. 205 : Le Conseil a, notamment, pour mission : d'offrir un cadre de participation de la société civile à la concertation nationale sur les politiques de développement économique et social; d'assurer la permanence du dialogue et de la concertation entre les partenaires économiques et sociaux nationaux; d'évaluer et d'étudier les questions d'intérêt national dans les domaines économique, social, de l'éducation, de la formation et de l'enseignement supérieur ; de faire des propositions et des recommandations au gouvernement. Ce qui s'inscrit dans l'esprit des réformes menées par le ministère de l'Intérieur, des Collectivités locales et de l'Aménagement du territoire, qui place le citoyen « organisé » dans le vif du développement local et de la gestion de la commune. En attendant, le gouvernement choisit de se suffire à lui-même. Le recours du gouvernement à la planche à billets n'est pourtant pas une simple affaire. « Ce genre d'opération est forcément porteur de tensions inflationnistes majeures s'il n'est pas bien et rigoureusement encadré ( ), il y a le risque de l'inflation importée ( ), ce qui est sûr, c'est que ce type d'inflation affectera lourdement l'épargne des ménages et donnera un coup d'arrêt brutal au processus de modernisation de leur structure de consommation, bien entamée ces dernières années, » estime le directeur de l'IDRH-Oran. Des appréciations partagées par un grand nombre d'économistes mais que le Premier ministre réfute parce qu'a-t-il soutenu «ce sont des analyses de salon.» Les spécialistes des questions économiques et financières s'interrogent d'ailleurs, pourquoi les décideurs ont-ils choisi pour cette fois, de faire médiatiser la décision de recours au FNC qui plus est, par l'intermédiaire de Ahmed Ouyahia et non par le patron de la Banque d'Algérie. « Probablement pour l'ajouter dans les erreurs qui seront retenues contre lui, » pensent des responsables du secteur des Finances.