A l'issue du procès pour infanticide qui s'est tenu dimanche dernier au tribunal criminel d'Oran, plusieurs questions sont restées sans réponse, dont la plus importante est sans doute celle que les avocats de la défense ont posée: qu'est-ce qui prouve que le bébé a été effectivement tué ? Aucune dépouille n'ayant été retrouvée, aucune analyse scientifique n'ayant démontré sans l'ombre d'un doute qu'un bébé avait été tué et glissé dans un trou fait dans l'évier de la cuisine de ce logis de Saint-Antoine, il y a de fortes chances qu'il soit bien vivant, quelque part à Oran ou ailleurs. Retour sur une histoire pas comme les autres Nous sommes le 2 octobre 2016. Il est 4h du matin quand une femme très agitée se présente au commissariat de son quartier à St-Antoine pour avouer le crime de son nouveau-né, qu'elle dit avoir enveloppé dans une couverture rouge et «évacué» à travers une cavité réalisée dans le lavabo de sa cuisine. Les policiers, cependant, ne prendront pas en considération les allégations de la jeune femme, en raison de son agitation excessive proche de l'hystérie. Plus tard, M. Souad, 36 ans, fera des déclarations similaires mais en précisant, cette fois-ci, que le bébé est mort accidentellement en tombant du lit sur lequel elle l'avait posé. Lors des différents interrogatoires devant la police et, plus tard, le magistrat instructeur, elle livrera différentes versions: elle dira avoir loué les services d'un homme pour enterrer le nouveau-né contre 500 DA, affirmera qu'elle l'a conçu avec un étranger pour se raviser ensuite et assurer qu'il est le fruit d'une relation avec son ex-mari. Mais lors de l'ensemble de ces dépositions, son état psychologique interpelle les investigateurs. Les enquêteurs, le magistrat instructeur et l'expert psychiatrique seront frappés par ses troubles de l'humeur, qui varient entre l'hystérie et le mutisme, et qui rendent très difficiles les interrogatoires. Le rapport d'expertise psychiatrique évoque l'instabilité du sujet qui souffre de troubles dépressifs majeurs mais conclut, paradoxalement, à sa responsabilité pénale. Souad, mère de trois enfants, sera finalement inculpée d'infanticide et incarcérée avant de comparaître ce 3 décembre aux assises pour répondre de ses actes. L'accusée : «Je ne savais pas ce que je faisais» A la barre, elle présentera une autre version de l'histoire. Parlant lentement et à voix basse, elle dira qu'elle n'a pas tué son bébé et qu'elle n'avait jamais pensé le faire: «Lorsqu'il est né en juin 2016, je l'ai confié à une nourrice de Belgaïd. Quelques semaines plus tard, elle m'a dit qu'elle ne pouvait plus le garder parce qu'elle vivait une situation difficile avec son mari et dans les deux mois, elle m'a annoncé la mort de mon bébé». La juge d'audience l'interpellera sur le caractère nouveau de ces déclarations et lui fera remarquer qu'elle n'a jamais évoqué la nourrice lors de l'instruction: «Je ne savais pas ce que je faisais ni ce que je disais je n'avais pas toutes mes facultés», répliquera-t-elle en jurant qu'elle disait désormais la vérité. Elle déclarera également que ce bébé -un garçon qu'elle avait prénommé Mohamed Mustapha- est né de rapports avec son ex-mari et père de ses trois autres enfants, et assurera qu'elle ignore s'il est vivant ou mort. Elle ajoutera que sa famille et ses proches ignoraient qu'elle était enceinte et que, par peur du scandale, elle avait passé un accord avec la nourrice de Belgaïd à laquelle elle avait confié le nouveau-né. Appelés à témoigner, le frère et la belle-sœur de l'accusée confirmeront que la famille était dans l'ignorance de toute l'affaire jusqu'à ce qu'elle éclate au grand jour. Ministère public : un acte abominable Convaincu de la culpabilité de la prévenue, le représentant du ministère public évoquera un acte abominable que M. Souad a accompli, par crainte du scandale. «Par deux fois, elle a fait des aveux à la police. Elle a enveloppé le nourrisson de 2,4 kg dans une couverture, l'a jeté dans le conduit d'évacuation où il s'est dissous», a-t-il affirmé en soutenant que «le crime est réel». Aujourd'hui, ajoutera-t-il, l'accusée tente de fuir ses responsabilités en niant le crime et en inventant cette histoire de nourrice. Le magistrat clôturera son intervention en requérant 15 ans de prison contre la prévenue. Ce que la défense tentera de contrecarrer en basant sa plaidoirie sur trois axes majeurs: l'état mental de Souad au moment des faits, l'absence de preuves matérielles établissant la culpabilité de l'accusée et les insuffisances d'une instruction qui a «travaillé à charge» pour «se débarrasser d'un dossier encombrant». La défense plaide le doute : l'enfant est peut-être vivant Dans leurs interventions, les quatre avocats de la défense ont insisté sur la santé mentale fragile de l'accusée qui se trouve aujourd'hui sous traitement médical: «Les aveux qu'elles a faits lors de l'instruction ne sont pas crédibles. Elle a avancé tout et son contraire et toutes les parties liées au dossier ont constaté qu'elle n'était pas dans un état normal. Pourquoi, dans ce cas, adouber la thèse du crime et refuser celle de la mort accidentelle ? Et pourquoi ne pas croire la version qu'elle présente aujourd'hui ?», s'est interrogé un avocat en arguant de l'absence de la dépouille et de preuves matérielles (extraites de la couverture ou de la cavité de la cuisine de l'accusée) qui démontreraient que le bébé a bien été enveloppé dans l'édredon avant d'être jeté à travers l'évacuation de l'évier. Ce qui amènera la défense à souligner les insuffisances de l'instruction qui ne s'est pas intéressée, malgré la demande des avocats, à la nourrice citée par la prévenue: «Aujourd'hui, vous jugez une affaire d'infanticide alors que l'enfant est peut-être vivant quelque part», lancera un avocat en parlant de «crime hypothétique», la police «n'ayant pas fait une enquête minutieuse». S'en prenant au rapport d'expertise psychiatrique datant du 3 novembre 2016 -qui déclare l'accusée responsable de ses actes tout en constatant des troubles dépressifs majeurs- la défense relèvera que l'expert a affirmé que Souad ne présentait pas de troubles quatre mois plus tôt, période supposée de l'infanticide présumé: «Comment cet expert pouvait-il connaître l'état mental de l'accusée alors qu'il ne l'a examinée qu'en novembre ?», s'est-elle interrogée. Les avocats insisteront sur l'absence de preuves matérielles: «Le dossier est bâti sur des suppositions et non sur des pièces à conviction tangibles établissant la culpabilité de la prévenue». Ils demanderont l'acquittement pur et simple de l'accusée. M. Souad, qui, tout au long des plaidoiries n'a eu aucune réaction, sera finalement condamnée à trois ans de prison ferme.