En Algérie, les publications racistes se multiplient au jour le jour sur les réseaux sociaux notamment Facebook. Le 08-01-2018, vers 23 heures, dans un groupe Facebook mostaganémois regroupant plus de 19000 membres, un internaute a publié un post raciste. Il s'agit de trois photos de réfugiés africains, accompagnées de ces phrases en dialecte algérien : « Ô mon ami, ils (les réfugiés africains) nous ont colonisés. Leurs femmes accouchent chaque jour. Combien ils sont nombreux ! Surtout, ils sont arrivés à Mostaganem ». La première photo montre les abris des réfugiés à la sortie d'Alger ; la deuxième et la troisième montrant des Africains en colère porteurs d'armes blanches (épées, haches, couteaux). Ces deux dernières ne proviennent pas d'Algérie ; chassées sur Google, elles témoignent d'une querelle dans une région inconnue d'Afrique, et leur insertion dans le post sert à dire que les réfugiés africains sont dangereux et menacent la stabilité du pays. Fortement indigné, j'ai rapidement réagi par commentaire pour condamner la publication et demander à l'auteur de la supprimer. Parmi des milliers d'abonnés à ce groupe, nul n'est allé signaler le post. Le silence est une complicité. Pire encore : certains internautes ont soufflé sur les braises pour mieux dilater ce post raciste. On peut lire leurs commentaires, sous le mien, pris en capture d'écran. Les noms des membres sont occultés, par respect des libertés individuelles de ces racistes qui offensent et traquent les autres, nos frères Africains, en toute indifférence. Voici la transcription des commentaires : Un : « est-ce qu'on a un service de sécurité en Algérie, oui ou non ? » Deux (écrit en arabe classique): « Qu'attend l'Etat pour les renvoyer à leurs pays, jusqu'à qu'ils forment ici des communautés et exigent un Etat à eux ? » Trois : « Ces gens-là, dans cinq ans, coloniseront l'Algérie. » Le temps passe, mais le post est encore à sa place. Son auteur est un raciste-récidiviste. C'est lui qui a, dans le même groupe, il y a quelques semaines, a publié un post raciste montrant des réfugiés africains où l'on peut voir cette phrase : « Bientôt ils vont demander la nationalité algérienne». Bref, cet Algérien agit comme s'il était le propriétaire légal de Mostaganem ou de l'Algérie. Et ce n'est qu'après minuit que la publication a disparu, mais le membre n'a pas été bloqué ou expulsé du groupe. Comme si de rien n'était. C'est une mince affaire, voire banale, pour la plupart. Ces racistes algériens qui souillent l'image de notre Algérie, ignorent qu'il y a des Algériens de peau noire. Il suffit de quitter ses chaussures pour découvrir notre vaste pays, marqué par de nombreuses différences et influences. Ils ignorent aussi que des harragas algériens s'installent illégalement ailleurs, mais des ONG, des associations et de simples individus se bâtent corps et âme pour soutenir leur cause, celle du droit à l'hospitalité, à la dignité, et à la vie. Alors, pourquoi plaider pour la solidarité quand c'est l'affaire de nos concitoyens algériens, et construire des murs quand il s'agit de réfugiés africains dans notre pays ? Tout homme a droit à l'hospitalité, qu'il soit Algérien, Africain, ou sans carte d'identité, pour la simple raison qu'il est humain. Par ailleurs, ils ignorent que, pendant la décennie noire des années 1990, beaucoup d'Algériens ont quitté le pays déchiqueté par le terrorisme pour s'installer ailleurs, en quête de survie et de paix. Ils ignorent en outre que toute terre, pour reprendre une phrase d'un personnage de Maalouf1, a été peuplée par migrations. Ainsi, à Mostaganem, dans toute l'Algérie, et dans tout le monde, il y a des humains de différentes nationalités et ils ont tout le droit d'y rester, dignes, libres, et protégés comme le stipule la Déclaration des Droits de l'Homme. La diversité est une richesse ; le repli est un appauvrissement. Pour affirmer les richesses de la diversité, Alain Mabanckou nous dit : « le Congo est le lieu du cordon ombilical, la France, la patrie d'adoption de mes rêves, et l'Amérique, un coin depuis lequel je regarde les empreintes de mon errance. Ces trois espaces géographiques sont désormais soudés, et il m'arrive d'oublier dans quel continent je me couche ou dans lequel j'écris. »2 De plus, ils ignorent que Fanon et d'autres militants de différentes nationalités, ont beaucoup donné pour l'Algérie et le monde. Enfin, ils ignorent que les frontières géographiques sont fictives, et qu'aucun humain n'a la légitimité d'un territoire, comme l'explique le philosophe Edouard Glissant dans sa théorie de l'Archipélisme. Lui qui, de peau noire, a toujours défendu par sa plume et ses actes, l'humanité en dépit de la couleur de peau, de la race ou de l'ethnie. En somme, le racisme existe en Algérie. Il est là, parmi nous, latent. Il se manifeste ça et là, tantôt discret tantôt explicite, dans la rue comme sur la toile. C'est du devoir de tout Algérien de dénoncer et de condamner le racisme, de bâtir des ponts vers l'Autre, d'accueillir ces êtres en quête de survie et de dignité. L'Africain porte deux rochers sur le dos : celui de sa couleur, et celui de l'oppression du monde. À lui ou à tout réfugié, en Algérie ou ailleurs, il faut porter secours pour accomplir notre devoir d'hospitalité. Enfin, j'aimerais conclure ce cri de colère sur ces phrases d'Edwy Plenel, de couleur blanche, qui vient de publier un livre où il plaide pour l'hospitalité envers les immigrés et les réfugiés en France_ en dépit de leurs origines, ethnies ou couleurs de peau _, et où il accuse les gouvernements d'avoir criminalisé la solidarité. Il crie : « L'égalité des droits inclut la liberté de migrer, c'est-à-dire de pouvoir échapper à la fatalité du lieu de naissance et à la part d'injustice de ce hasard. L'être humain n'est pas assigné à résidence. Il a le droit fondamental de se déplacer en quête de justice, de bouger à la recherche du bonheur, de cheminer par souci de dignité, bref, de faire mouvement pour mieux vivre. »3 Je suis Algérien. Je suis Africain. Je suis l'Humanité. Parce que JE est un AUTRE4. *Ecrivain-chroniqueur - Auteur de « Sisyphe en Algérie », éd. Samar, Alger, 2017. Notes 1 -Amin Maalouf, « Le périple de Baldassare », Le Livre de Poche, 2002. 2 -Alain Mabanckou, « Le sanglot de l'homme noir », Points, réédition de 2017, p96. 3 -Edwy Plenel, « Le devoir d'hospitalité ; l'humanité n'est pas assignée à résidence », Ed. Bayard, 2017, p17. 4 Pour rappeler l'essai collectif « Je est un Autre ; pour une identité-monde », Gallimard, 2010.