Le Tribunal criminel d'Oran a prononcé trois peines de mort et une condamnation à la réclusion à perpétuité, contre les quatre mis en cause, jugés pour l'assassinat de Badreddine Lachachi et la tentative de meurtre du gardien de l'usine, lors du braquage sanglant de 2013. A l'issue du procès, une question a surgi: et si le véritable mobile était le meurtre de Lachachi et non pas le vol de l'argent ? Retour sur une affaire qui a défrayé la chronique. De faux employés de Sonelgaz Le 29 décembre 2013, aux environs de 12h, trois hommes portant des combinaisons de Sonelgaz frappent à la porte de l'usine de chewing-gum de Lachachi, avenue Soufi Zoubida, à Maraval. Lorsqu'il ouvre la porte, Khaled Mohamed, agent de sécurité âgé, est brusquement poussé à l'intérieur : «Tout de suite, le premier me met la main sur la bouche pour m'empêcher de crier et les autres me donnent des coups de couteau», rapporte-t-il plus tard. Le sexagénaire sera touché neuf fois sur différentes parties de son corps et échappera de très peu, à la mort, selon les conclusions de l'expertise médico-légale. Les braqueurs le ligoteront et monteront au bureau du directeur de l'usine où se trouvent les coffres-forts : ils espèrent rafler entre 70 et 80 millions de centimes. Personne ne sait ce qui s'est, réellement, passé dans le la pièce où se trouvait Badreddine Lachachi mais, après le passage des malfrats, l'homme sera retrouvé mort, le corps portant plusieurs blessures dont une, mortelle, située en haut de la cuisse gauche où l'artère fémorale a été sectionnée ; ce qui a provoqué l'hémorragie massive ayant entraîné la mort. Découverte macabre Aux environs de 12h45, B. Nadir, ami du défunt, gare sa voiture près de l'usine. Il a rendez-vous avec Badreddine pour déjeuner et, pendant qu'il l'attend (il lui a envoyé un sms l'avertissant de sa venue, Nldr), il remarque trois hommes, en combinaison de travail, qui sortent de l'usine pour se diriger vers une voiture garée à proximité, dont les feux étaient allumés : «Deux étaient de forte corpulence et un troisième plus mince. Je n'ai pas vu leurs visages mais ils marchaient calmement. J'ai pensé que c'était eux qui avaient retardé mon ami», dira-t-il, lors de l'enquête et, plus tard, durant le procès. Ne voyant pas venir Badreddine, Nadir décide d'aller le chercher. En entrant dans l'usine, il tombe d'abord sur le gardien ensanglanté et gémissant, étendu près de l'escalier menant à l'étage : «J'ai d'abord pensé à une chute mais quand je me suis penché sur lui, j'ai vu le ruban adhésif sur la bouche. J'ai compris que quelque chose n'allait pas», témoigne-t-il encore. Il appelle son ami, ne reçoit aucune réponse et monte à l'étage pour découvrir Badreddine, mort, étendu dans un bureau plein de sang Identification judiciaire Seul témoin à pouvoir reconnaître les braqueurs, l'agent de sécurité, Khaled Mohamed, qui n'a pas échappé à 21 jours d'incapacité, est sollicité par les enquêteurs. Et, au milieu d'une centaine de photographies présentées par police, il reconnaît l'homme qui lui a plaqué la main sur la bouche pour l'empêcher de crier. Il s'agit de K. Khaled, 36 ans, un homme connu des services de sécurité pour avoir été condamné à deux reprises, en 1995 et 2006, pour homicide volontaire et tentative de meurtre. Interpellé le 21 janvier 2014, dans l'ancienne agence de transport d'El Hamri, K. Khaled, connu sous le sobriquet de Japonais' en raison de ses traits asiatiques, fait des aveux complets et donne les noms de ses trois complices, selon l'acte d'accusation : H. Mohamed, dit Saïdou, 23 ans, M.B Mohamed, dit Bayada, 28 ans, et B. Abderrazak, 35 ans, trois voisins du quartier d'El Hamri où il avait vécu jusqu'au déménagement de ses parents à Es-Senia. D'après les faits consignés dans l'arrêt de renvoi, Khaled a expliqué, dans les détails, le braquage du 29 décembre en avouant être entré dans l'usine avec H. Mohamed et M.B Mohamed alors que Abderrazak attendait dans la voiture. D'après l'arrêt de renvoi, Khaled a, également, affirmé que l'idée du hold-up venait de B. Abderrazak et qu'ils avaient peaufiné, tous ensemble, le projet dans un café d'El Hamri où ils avaient l'habitude de se rencontrer. Bayada devait fournir les combinaisons de travail de Sonelgaz, Abderrazak attendre dans la voiture, prêt à démarrer, tandis que Khaled et Saïdou devaient neutraliser le gardien. Revirement et allégations de torture Après instructions, les quatre suspects sont inculpés d'assassinat, suivant les articles 254, 255, 256 et 257 du code pénal, de tentative de meurtre, selon l'article 30, vol avec violence et en réunion, conformément à l'article 353, alinéas 1,3 et 5, et association de malfaiteurs, suivant les articles 176 et 177. S'ils sont déclarés coupables, ils risquent la peine de mort. A l'audience, lundi dernier, les autres accusés rejettent l'ensemble des accusations et dénoncent les pratiques de torture qu'ils disent avoir subies, dans les locaux de la Sûreté de wilaya : «J'ai subi des sévices, on m'a arraché les ongles et j'ai été tellement torturé que j'ai fini par tout reconnaître», s'insurge K. Khaled pour justifier les aveux qu'il a faits devant la police : «Mais je vous jure que je suis innocent. On m'a incriminé par commodité, parce que je suis un repris de justice», soutient-il, en déclarant ignorer la raison pour laquelle le gardien de l'usine l'incrimine de la sorte. Interpellé par le représentant du ministère public à propos des «déclarations très détaillées qui ne peuvent être faites que par quelqu'un qui s'est trouvé sur les lieux du crime», l'accusé s'entêtera à répondre avoir obéi à ses violents interrogateurs : «On m'a tout montré sur ordinateur et j'ai dit ce qu'ils voulaient entendre». Le Parquet veut la peine de mort Les trois autres accusés dénonceront également la torture et nieront avoir pris part à l'assassinat de décembre 2013 : «Je croupis, en prison depuis plus de quatre ans, pour un crime que je n'ai pas commis. Je suis innocent. Je n'ai jamais proposé de réaliser ce braquage», soutient, en substance, B. Abderrazak. «Pourquoi, alors, K. Khaled vous a-t-il tous cités ?», interroge le président d'audience. «Parce qu'il a été torturé, rétorque l'accusé à un magistrat sceptique. On lui a arraché les ongles et infligé des sévices qui ont porté atteinte à son honneur. Si on lui a demandé d'avouer le meurtre de Boudiaf, il l'aurait fait». Alors que le représentant du ministère public, manifestement révulsé par la barbarie du crime, requiert la peine capitale contre tous les accusés en basant, notamment, son réquisitoire sur l'identification de K. Khaled par le gardien de l'usine, les échanges téléphoniques plaçant les mis en cause près des lieux du crime, au moment des faits, les aveux détaillés faits par Khaled, lors de son interrogatoire et les relations qui lient l'ensemble des accusés, les avocats de la partie civile et ceux de la défense s'écharperont sur le rapport d'expertise ADN et l'opportunité de la prendre en considération ou non. Il faut rappeler que, par deux fois, les juges ont demandé une expertise ADN sur un certain nombre d'objets (notamment un bout d'une chaînette en argent, des gants) et de prélèvements récoltés sur la scène du crime (sang, mégots de cigarettes...). Passe d'armes autour de l'expertise ADN Les conclusions du rapport n'ont pas été du goût de tout le monde. Pour les avocats de la partie civile, les résultats négatifs (profils génétiques inexploitables, selon les termes utilisés par le rapport) ne prouvent rien parce que la «scène du crime, qui n'avait pas été sécurisée, a été polluée par une cinquantaine de policiers», selon l'argument de l'un des défendeurs. Autrement dit, «les conclusions du rapport n'innocentent pas les accusés que d'autres preuves confondent», dira un autre avocat, en évoquant l'identification formelle du gardien et en soulignant «les contradictions et mensonges des accusés qui n'ont pas pu fournir d'alibi pour l'heure du crime». Pour les avocats de la défense, le rapport d'expertise ADN prouve, au contraire, que leurs clients sont innocents : «Aujourd'hui, on nous demande de laisser de côté la technologie pour nous contenter des appels téléphoniques alors que, dans d'autres pays, cette même technologie permet de dénouer de très anciennes affaires», s'insurge un avocat pour lequel les accusés ont été innocentés par les progrès scientifiques : «Une quarantaine d'échantillons ont été relevés et aucun ne situe les accusés sur les lieux du crime. En revanche, des traces ADN appartenant au gardien Khaled Mohamed et un certain S. Salim ont été relevées sur l'attache en plastique avec laquelle le défunt Lachachi avait été entravé. Comment des traces se sont-elles retrouvées là ?», s'est interrogé le même avocat en signalant que le profil génétique, de sexe masculin, relevé sur le bout de chaînette retrouvé dans le bureau de la victime, ne correspond pas à l'ADN des accusés. «Innocentés par la technologie», selon la défense D'autres avocats de la défense interviendront pour dénoncer la torture infligée à leurs mandants, la propension de l'accusation à se baser sur les PV de police qui ne doivent, pourtant, être appréhendés qu'à titre de renseignements et les tentatives de la partie civile à éloigner le rapport d'expertise. Tous demanderont l'acquittement pour leurs clients. Après délibérations, le Tribunal criminel se rangera à l'avis de l'accusation et déclarera les accusés coupables des faits qui leur sont reprochés. La condamnation extrême sera prononcée contre K. Khaled, H. Mohamed et M.B Mohamed alors que B. Abderrazak écopera de la réclusion à perpétuité. Les condamnés devront également verser 500.000 DA à chacun des plaignants, soit les deux sœurs, le frère et le fils de Badreddine Lachachi, et à l'agent de sécurité, Khaled Mohamed, à titre de dommages et intérêts.