C'est un véritable dialogue de sourds qui s'installe entre la rue, soutenue par l'armée, et le pouvoir. Sinon comment interpréter la composition du gouvernement Bedoui, qui a nargué les manifestants et les revendications du peuple portant sur le changement de système, en reconduisant des ministres contre toute attente ? Des ministres éclaboussés par plusieurs scandales financiers dans leur secteur, à l'instar de la ministre des PTIC ou celui du Commerce, qui a provoqué par des décisions inopportunes un étranglement de l'économie nationale dans des secteurs industriels névralgiques. Ceci sans oublier que le gouvernement Bedoui est en lui-même illégitime au regard de l'article 102 de la Constitution, puisqu'il doit être envisagé après la «démission» du président et désigné par le successeur du président démissionnaire, c'est-à-dire le président du Sénat. Or, non seulement ce nouveau gouvernement a reproduit les mêmes mécanismes de nomination de ministres selon l'ancien schéma de gouvernance que les Algériens dénoncent maintenant chaque vendredi depuis le 22 février, c'est-à-dire le clanisme et le népotisme, mais il n'a pas répondu à sa «feuille de route», c'est-à-dire un gouvernement de «larges compétences nationales». Les Algériens sont sortis dans la nuit de dimanche manifester pour dénoncer ce gouvernement. Plusieurs ministres du gouvernement «remercié» sont toujours là, des ministres qui n'ont pas vraiment brillé et ne peuvent se prévaloir de quelques avancées décisives dans leur secteur. Si l'on s'en tient à celui des PTIC, le diagnostic est autrement révélateur de l'entêtement du pouvoir d'imposer aux Algériens son mode de gouvernance, alors que mathématiquement les jeux sont faits. Le président Bouteflika, dont beaucoup attendent une démission dans les prochains jours, probablement avant l'expiration de son mandat, est au centre d'une âpre bataille. La formation du gouvernement Bedoui obéit en réalité à la feuille de route du clan au pouvoir, incarné par le président Bouteflika. Or, le peuple, et son environnement politique constitué de l'opposition et la société civile, à l'ombre protectrice de l'armée, demande tout simplement le départ du régime actuel, même à la fin du mandat présidentiel, et l'instauration d'une période de transition avec un gouvernement transitoire. C'est en quelque sorte la proposition du général Gaïd Salah, qui coince cependant sur la personne du président du Conseil de la nation, mais également qu'elle est pour la majorité des Algériens dépassée. Et, au milieu du gué, il y a cette attitude énigmatique du président du Conseil constitutionnel, le seul qui peut résoudre rapidement et pacifiquement cette crise en faisant valoir l'esprit et la lettre des articles 7, 8 et 102. Son attitude illustre mieux que toutes les analyses qu'il y a en ces moments deux parties qui s'affrontent, dont l'une refuse de céder, de partir. Quitte à provoquer une situation politique dangereuse pour le pays.