Maître Mustapha Farouk Ksentini qui prépare un pourvoi en cassation auprès de la Cour suprême, s'est dit étonné de voir le tribunal militaire de Blida diviser une affaire qui est indivisible, pour acquitter Louisa Hanoune et confirmer la peine de 15 ans de réclusion criminelle contre les trois autres accusés particulièrement son client le général Toufik. Me Ksentini, avocat du général à la retraite Mohamed Médiène dit Toufik, nous a fait part, hier, en premier, de sa satisfaction à l'issue du procès en appel, «d'une seule chose, il y a eu libération d'une personne, Mme Louisa Hanoune, je suis très content pour elle». Mais, a-t-il interrogé, «c'est une affaire qui est indivisible, c'est une même affaire avec les mêmes faits et les mêmes accusations, comment ont-ils fait pour la diviser et trouver cet artifice de la relâche ?» Me Ksentini affirme que «nous avions tous les éléments susceptibles de conduire au verdict de l'acquittement, mais il en était autrement, bien que je ne me permets pas de remettre en cause la décision de la justice, j'estime que ce n'est pas le bon verdict». Comme il l'a toujours fait, il rappelle que «la fonction principale de la justice est de libérer les gens et non de les emprisonner, la liberté provisoire doit être la règle et la détention provisoire l'exception». L'avocat de l'ex-patron du DRS souligne que «ce qui me chagrine et me désole le plus c'est l'état de santé du général Toufik, il ne lui permet pas du tout le prolongement de cette détention, il est sur une chaise roulante, il est pratiquement privé de l'usage d'un bras, il est dans un état de délabrement qui ne permet pas de faire perdurer longtemps sa détention, c'est terrible à voir». Pour lui, «c'est une ironie de l'histoire que de voir quelqu'un de légaliste comme le général Toufik terminer comme un comploteur contre l'Etat, c'est vraiment désolant !» Lorsqu'il a été mis à la retraite en 2015, rappelle Me Ksentini, «beaucoup lui ont reproché de n'avoir pas résisté, contesté ou carrément refusé et rejeté cette décision mais il leur a répondu que ce n'était pas possible pour lui de le faire, c'est une décision de l'Etat algérien, je ne peux la remettre en cause». Subterfuges judiciaires et requalification de faits Me Ksentini² nous apprend que la défense a 8 jours pour formuler et introduire un pourvoi en cassation auprès de la Cour suprême. «C'est ce que nous allons faire, c'est ce qu'on appelle un recours extraordinaire». Il nous affirme à cet effet que «nous avons toutes les chances de voir aboutir ce recours, nous espérons ainsi que les choses vont être rétablies». L'on apprend que les collectifs de défense des deux autres condamnés, Saïd Bouteflika et Athmane Tartag, vont formuler le même pourvoi auprès de la Cour suprême pour demander leur acquittement. Me Ksentini nous fera part à plusieurs reprises de sa satisfaction après la libération de la présidente du Parti des travailleurs. «Louisa Hanoune a été condamnée à 3 ans de prison dont 9 mois ferme et le reste de la peine avec sursis pour non dénonciation d'un crime. Elle sort donc de prison ce soir», avait annoncé mardi soir Me Nouredine Benissad, l'un de ses avocats. Le verdict est tombé en début de soirée du même jour après un procès en appel ouvert le dimanche d'avant. Sa libération s'est donc faite le même jour parce qu'elle a purgé sa peine de prison ferme qui est de 9 mois Louisa Hanoune a été vraisemblablement libérée par le tribunal militaire de Blida par le fait d'un subterfuge juridique qui a requalifié les faits dont elle était accusée depuis le 9 mai 2019 et condamnée le 25 septembre de la même année à 15 ans de réclusion criminelle. Une peine qui cependant a été confirmée pour les trois autres accusés dans la même affaire. Incarcérée depuis un mois et un jour à la prison civile de Blida parce que celle militaire n'a pas une aile réservée aux femmes, la présidente du Parti des travailleurs était inculpée par le tribunal militaire d' «atteinte à l'autorité militaire et de complot contre l'Etat» pour avoir en mars 2019 dernier assisté à une réunion avec l'ex-patron du DRS, Mohamed Médiène dit Toufik et Saïd Bouteflika, frère et conseiller de Abdelaziz Bouteflika alors président de la République. Les deux derniers ainsi que Athmane Tartag ont été placés sous mandat de dépôt et incarcérés le 5 mai 2019 et Hanoune le 9 du même mois. Leur premier procès a eu lieu le 23 septembre et s'est tenu pendant à peine quelques heures. Le 25 du même mois, les quatre inculpés ont été condamnés à 15 ans de réclusion criminelle. «Il n'existe aucune preuve de complot» Un verdict qui a tout de suite fait réagir un ses avocats, Mokrane Aït Larbi, pour réfuter le caractère «équitable et public» évoqué par le tribunal militaire de Blida à propos du procès. «Il n'existe aucune preuve de complot pour condamner Louisa Hanoune à 15 ans de prison. Même le prétendu enregistrement de la réunion (du 27 mars 2019), qui n'a pas duré plus d'une heure, n'existe pas», a souligné l'avocat. «La Cour, malgré l'urgence de la défense de convoquer le président Liamine Zeroual, a rejeté cela bien que son nom figure sur la liste des témoins», a-t-il ajouté. «L'article 132 du code de la justice militaire prévoit explicitement le droit des avocats d'obtenir une copie du dossier, mais la défense a été privée de ce droit fondamental en violation de la loi militaire elle-même», a-t-il affirmé. Depuis fin décembre dernier, les choses devaient prendre une nouvelle tournure pour être plus ou moins réexaminées loin de cette mascarade militaro-politico-judiciaire. «Celui qui a lancé ces poursuites a rendu l'âme», a déclaré Me Farouk Ksentini la veille du procès en appel pour recentrer le dossier et le placer dans la nouvelle conjoncture politique et militaire inaugurée par l'élection le 12 décembre dernier de Abdelmadjid Tebboune à la magistrature suprême. En étant condamnée à 3 ans de prison ferme dont 9 mois ferme, Louisa Hanoune vient d'être libérée de prison voire pratiquement acquittée dans une affaire que le chef d'état-major, vice ministre de la Défense, le général de corps d'armée Gaïd Salah a frappée du sceau de la «haute trahison». Mise entre les mains du tribunal militaire de Blida, l'affaire a été ouverte, selon les avocats, avec «un nombre important de vices de forme et pire, sur un dossier vide». Pour le procès en appel, le tribunal en question a été obligé de jouer sur des subterfuges juridiques assez grossiers qui cachent mal le recul des responsables militaires et politiques sur une affaire qui a défrayé la chronique pour avoir été confectionnée à la juste mesure d'un pouvoir militaire de fait qui a confondu la personne et l'Etat. L'un des subterfuges, la requalification des faits et chefs d'inculpation qui passent de «complot contre l'autorité militaire et complot contre l'Etat» à «une non dénonciation de crime». Recours extraordinaire auprès de la Cour suprême Comme par enchantement, le tribunal s'est rendu compte que la seule faute de Hanoune est de n'avoir pas dit qu'elle s'était réunie avec Toufik, Tartag et Saïd Bouteflika. L'énoncé de l'accusation donné par Me Benissad ne dit pas auprès de quelle institution Hanoune devait-elle «balancer» Toufik et S.Bouteflika, celle judiciaire ou alors le Haut Commandement de l'Armée. Encore faut-il que pour le faire, elle devait en premier savoir que sa réunion était un crime et contre qui il allait être perpétré. Mieux, si elle savait qu'il en est ainsi, elle n'aurait jamais vu les trois autres accusés. Dans ce cas, pourquoi aurait-elle refusé de les rencontrer alors que les Algériens se concertaient dans les douars les plus reculés du pays pour savoir qu'est-ce qu'il allait advenir du président de la République, qui pouvait le remplacer et dans quelles conditions ? Etant cheffe d'un parti politique, Hanoune a toute latitude de rencontrer qui elle veut des responsables civils et militaires qu'ils soient en poste, limogés ou mis à la retraite pour discuter de toutes les questions qui se posent au pays. En tant que telle, son objectif partisan premier est de changer le pouvoir comme le veulent tous les autres partis politiques. L'on se demande si ses avocats vont exiger «dommages et intérêts» à la justice militaire pour avoir emprisonné leur cliente pour des motifs qu'ils ont jugés irraisonnables. Il est clair que le préjudice moral est lourd. Louisa Hanoune aura du mal à l'oublier tant que la justice algérienne n'aura pas transcendé les raisons qui font d'elle un appareil aux ordres. Le tribunal militaire de Blida a, par ailleurs, confirmé mardi soir la peine de 15 ans de prison ferme qu'il avait prononcée le 25 septembre dernier contre Saïd Bouteflika, Mohamed Médiène et Athmane Tartag pour «complot contre l'armée et complot contre l'Etat». La justice n'a pas ainsi pris en considération le réquisitoire par lequel le procureur général a demandé lundi dernier d'élever cette peine à 20 ans ferme. Les avocats ont demandé carrément l'acquittement qu'ils estiment décrocher en introduisant dans la huitaine de jours qui suit ce jugement un recours extraordinaire auprès de la Cour suprême.