Les conséquences de la chute vertigineuse des cours du pétrole pour l'Algérie «sont déjà définitivement négatives sur l'ensemble des prévisions économiques et budgétaires, puisque notre propre loi de finances a été établie sur la base d'un baril à 60 dollars», a estimé l'expert des questions énergétiques et ancien PDG de Sonatrach, Abdelmadjid Attar, dans un entretien accordé hier à l'APS. Une chute des prix, certes, favorisée par l'épidémie de coronavirus dont les répercussions pèsent déjà très lourd sur le marché mondial, mais aussi et surtout par «la guerre des prix déclenchée par l'Arabie saoudite qui va faire chuter le baril à un niveau proche de 30 dollars sur plusieurs semaines», a-t-il estimé. Un contexte dans lequel «une loi de finances complémentaire est inévitable» avec un recours probablement «plus intense aux réserves financières du pays», a prédit M. Attar avant d'estimer qu'il est «plus que jamais le moment d'engager sérieusement et rapidement des réformes profondes à tous les niveaux». L'Algérie, dont l'économie dépend, rappelle-t-on, essentiellement des revenus des hydrocarbures, a, en effet, élaboré sa loi de finances 2020 sur un prix de référence du baril à 50 dollars et un prix de marché à 60 dollars. Avant-hier matin, les cours du pétrole chutaient lourdement en Asie (32 dollars le baril pour le WTI et 36 pour le Brent), après que l'Arabie saoudite a décidé de baisser ses prix à la livraison, en raison de l'échec de l'OPEP et de ses alliés à trouver un accord permettant de soutenir les cours. Interrogé sur les raisons qui peuvent expliquer cet échec et ses répercussions éventuelles sur l'avenir de l'accord de coopération au sein de OPEP, Abdelmadjid Attar dira tout d'abord que seules la Russie et l'Arabie saoudite sont à même de répondre à cette question, étant donné «qu'il s'agit des deux principaux producteurs de l'OPEP+, susceptibles de supporter l'essentiel de la réduction projetée de 1,5 million barils/jour, mais dont les intérêts et même les «calculs», aussi bien économiques que géopolitiques, sont très divergents.» «Avant l'avènement du coronavirus, les pays de l'OPEP et leurs alliés faisaient face à un marché pétrolier influencé par la baisse des consommations liée à la récession économique et une compétition entre producteurs, notamment avec les USA et leur production de pétrole et gaz de schiste». Mais actuellement, a-t-il souligné, «l'incertitude sur l'impact et la durée de l'épidémie qui est presque impossible à évaluer, et tellement grave, que «le chacun pour soi» a tout simplement primé, pour des raisons d'abord économiques, la Russie n'étant plus sûre de compenser ses pertes à travers une remontée hypothétique du prix par rapport à une nouvelle baisse de production même si ses besoins sont basés sur un baril à 40 dollars.» Aussi, a-t-il ajouté, «il ne faut pas non plus oublier que les intérêts géostratégiques et politiques des deux pays sont très opposés. Cependant, a-t-il précisé, «il est trop tôt pour prédire quoi que ce soit de l'avenir de l'accord de coopération au sein de l'OPEP, et encore moins de la durée de la guerre des prix qui vient d'être déclenchée par l'Arabie saoudite. » Une chose reste néanmoins sûre selon Abdelmadjid Attar: «La guerre des prix déclenchée par l'Arabie saoudite va faire chuter le baril à un niveau proche de 30 dollars sur plusieurs semaines». Une situation qui, selon l'avis de l'ancien PDG de Sonatrach, «ne durera pas longtemps car l'offre supplémentaire de pétrole de l'Arabie saoudite ou de tout autre pays exportateur finira par ne plus trouver preneur même à très bas prix au vu du niveau très bas de la demande avec des stocks mondiaux au plus haut niveau. Ce qui est très probable, par ailleurs, a ajouté M. Attar, «est que le monde s'oriente vers une crise économique mondiale pire que celle de 2008». Pour Abdelmadjid Attar, «un seul espoir subsiste, parce que à moins de 40 dollars, il est possible qu'une partie de la production américaine de pétrole de schiste chute à beaucoup moins de 8,5 millions b/j, leur production totale étant aujourd'hui de 13 millions b/j ». S'agissant de l'OPEP et de sa cohésion, Abdelmadjid Attar dira qu'« aucun des membres n'a intérêt en ce moment d'agir ou de causer l'éclatement de cette organisation, parce qu'à l'inverse de la Russie qui semble se satisfaire momentanément d'un prix entre 40 et 50 dollars, tous les autres producteurs sont déjà gravement affectés au point de vue économique ». Pour l'expert algérien, « ils vont non seulement maintenir les niveaux de réduction existant, mais continuer à se concerter peut être pour une autre réduction même modeste dans l'espoir de faire revenir la Russie à la table des négociations au cas où le baril poursuit sa chute en dessous de 40 dollars ». Une éventualité qui reste selon la même source «peu probable dans l'immédiat à cause de la guerre des prix que l'Arabie Saoudite vient de déclencher en décidant de baisser ses prix et même d'augmenter sa production ». Pour M. Attar, « il va y avoir pendant un moment tellement de pétrole sur le marché que même à bas prix il ne pourra pas être écoulé, les stocks étant à leur niveau maximal ».