Suivant l'adage connu: «Rome ne s'est pas construite en un jour.» Un Etat puissant ne se construit pas en un jour, et un Etat failli ne se ruine pas en un jour aussi. Il a fallu beaucoup de temps et d'efforts pour que, d'un humble village misérable sur les bords du Tibre, une rivière qui n'a rien d'un grand fleuve du type du Tigre ou du Nil, Rome devienne la maitresse du bassin méditerranéen. A l'inverse, Haiti ne s'est pas détruite en un jour. Il a fallu une série de dirigeants, tout aussi dictatoriaux les uns que les autres, tout aussi corrompus les uns que les autres, pour que cette moitié d'ile se transforme en l'un des états les plus pauvres du monde, et devienne l'exemple même de l'état failli, non du fait des interventions étrangères inopinées, mais de l'incompétence et de la cupidité de ses dirigeants et de son élite. Les conséquences de la gouvernance de Bouteflika n'ont pas encore été effacées Par son mode de gouvernance, l'ex-président algérien, démissionné, mais non encore déchu, a mis l'Algérie sur la voie de Haiti, pays dont, malgré tout, une partie des problèmes insolubles qu'il connait, vient de la faiblesse de ses ressources naturelles. Et la page «Bouteflika» est loin d'avoir été tournée. Il a laissé un pays qui vacille au bord de la cessation de payement, un peuple désabusé, pour ne pas dire, découragé, un système de gouvernement dont est absent tout mécanisme d'autocorrection, une classe politique méprisée, pour ne pas dire honnie, une classe d'entrepreneurs prédateurs dont l'absurde enrichissement détonne avec la misère de plus en plus étendue d'une bonne partie de la population, la précarisation de la jeunesse diplômée, un effondrement de la moralité publique et l'enracinement de la corruption dans la pratique quotidienne. On peut continuer ad libitum la liste des problèmes dont a hérité l'Algérie du fait du mode de gouvernance imposé par Bouteflika de manière unilatérale au peuple algérien. Aucun secteur n'a échappé à son œuvre de destruction de l'Etat et de la Nation algérienne. Trois décennies noires, c'est plus qu'il n'en faut pour ruiner définitivement un pays! Ce diagnostic n'a rien ni d'original, ni même d'excessivement pessimiste. La situation de crise que traverse le pays du fait d'une triple décennie noire, celle des terroristes islamistes, et les deux décennies de gouvernance «bouteflikienne» n'a plus rien d'un secret d'état. Et le rappeler n'est ni la manifestation d'un pessimisme «caractériel,» ni un abus de la liberté d'expression, ni même un acte de défiance envers les autorités assises. On n'a nullement besoin de se parer du déguisement de «l'opposition au régime» pour constater que l'Algérie se porte mal, et que, de ce fait, son statut dans le monde, s'est érodé au point que sa voix devient inaudible, et son influence à peine visible, même dans le règlement des conflits qui se déroulent à toutes ses frontières terrestres. Il est utile, si ce n'est indispensable, de rappeler cette règle d'or de la politique étrangère qu'elle est le prolongement direct de la politique intérieure, et qu'un Etat ne peut pas avoir plus de poids dans les affaires internationales que celui que lui permet sa capacité à régler ses propres problèmes internes. Une bonne politique étrangère commence à l'intérieur du pays Le meilleur diplomate du monde, si puissante soit sa rhétorique, et si épais soit son carnet d'adresses parmi le gotha international, ne peut rien changer au couplement entre situation intérieure et audience internationale. Une bonne politique étrangère commence par la mise en ordre de sa propre maison. Aucune analyse, si sophistiquée soit-elle, destinée à prouver le contraire de cette règle d'or, n'est que de la pure dissertation d'un élève de sciences politiques n'ayant de connaissance des affaires du monde que par la lecture des journaux et des manuels universitaires. Ne peut monter et être un challenger crédible sur le ring du monde que celui qui a des muscles à montrer. Tout le reste est pur logomachie qui n'a jamais fait bouger ne serait-ce qu'une pierre de gravier. Les discours, les déclarations mûrement réfléchies et exprimées en des mots ne changent rien à cette dure loi d'airain; essayer d'inverser cette équation est à la fois marque d'incapacité et infantilisme politique. Se renouveler en se répétant n'est pas la bonne voie Face à ce constat que partagent sans doute même ceux qui sont en charge des affaires du pays, on assiste, non à un début de correction de la dérive ubuesque bouteflikienne, mais à une claire détermination parmi les décideurs de reprendre une fois de plus le chemin qui a mené le pays à cet état des choses. Les récentes élections législatives ont pourtant bien prouvé la désaffection populaire face à un système institutionnel qui entretient la fiction d'un régime démocratique fondé sur le libre choix des dirigeants du pays par les citoyens et sur la séparation et l'équilibre des pouvoirs. On peut, certes, minimiser l'importance de l'abstention et l'étroitesse de la base de légitimité populaire, et même invoquer le principe sacro-saint du libre choix des citoyens qui ont décidé «d'aller à la pêche» au lieu d'accomplir leur devoir électoral. Mais, en minimisant l'importance politique de l'abstention et en balayant de la main la notion même de légitimité populaire dans la représentativité de la classe dirigeante, on met à nu la vacuité des institutions politiques, et on vide de tout poids le texte fondamental du pays. Si une minorité gouverne, le fondement même de la démocratie est éliminé. Ignorer l'importance de l'abstention, c'est reconnaitre l'inutilité des élections dans le système politique Au lieu d'analyser le pourquoi de l'abstention et de reconnaitre qu'elle exprime un déficit de confiance dans les gouvernants, on décide simplement de l'ignorer et de faire comme si on disposait d'un mandat populaire clair, conforté par un programme de redressement établi, clairement conçu et exprimé, et, plus important encore, acceptable pour la majorité de la population. Dés lors qu'ils refusent d'accorder toute importance à cette abstention, ou en minimisent la signification et l'importance, les dirigeants envoient un signal clair qui s'interprète sans ambigüité comme suit: ils sont décidés à continuer à agir à leur guise sur la base de considérations qui n'ont rien à voir ni avec les aspirations populaires, exprimées ou non, ni même avec les intérêts supérieurs du pays, mis à mal par vingt années de dérive monocratique. La «Majorité Présidentielle» : Un simple regroupement de courtisans, complices et comparses. La chronique judiciaire en est la preuve Comme l'ont prouvé ces deux dernières décennies, ce n'est pas parce qu'on exerce les pleins pouvoirs qu'on le fait exclusivement et seulement au service des intérêts nationaux, ou qu'on a, comme par miracle, du fait de ces pleins pouvoirs, la capacité de concevoir les politiques menant le pays vers des horizons qui «chantent.» Les «pleins pouvoirs» ne font pas un réformateur politique d'un dirigeant incompétent et rusé,. Et la mise en place de cette fameuse «majorité présidentielle» dont l'élite croupit d'ailleurs dans les prisons, n'est pas l'indice d'une volonté de construire une «Algérie nouvelle,» quels que soient, par ailleurs, les efforts de propagande, intellectuellement bien exprimées, et destinées à faire croire au début d'une nouvelle ère dans l'histoire politique du pays, ou même dans l'évolution du système politique qui domine depuis ces quelque soixante années passées. De plus, le terme «majorité présidentielle» n'exprime ni une vision politique quelconque, encore moins un programme, quel qu'en soit le contenu. Il révèle seulement l'appui sans condition au chef de l'Etat, quoiqu'il fasse, quoiqu'il dise, qu'il mène une politique de redressement valide, solide et cohérente, ou qu'il adopte des chemins n'ayant rien à voir avec les intérêts supérieurs du pays. L'existence d'une majorité présidentielle n'est basée sur aucun autre calcul que la survie politique personnelle et l'extraction du maximum d'avantages et de privilèges, du fait de la proximité déclarée et assumée avec le chef d'Etat, sans aucune considération de haute politique visant à assurer la prééminence des intérêts nationaux. On a la triste expérience de cette majorité présidentielle qui a assuré à l'ex-président une «claque» l'ayant soutenu dans toutes ses tribulations jusqu'à ce que l'explosion de la colère populaire ait mis fin à ses élucubrations enveloppées dans la déclaration du Premier Novembre, transformée en voile pour cacher la réalité de l'abandon du pays aux intérêts étrangers et à des prédateurs, devenus milliardaires «sans peine» et sans un brin d'esprit d'entreprise ou d'innovation, et s'étant assurés la protection extérieure de puissances étrangères. L'indépendance nationale est devenue, au fil du temps, une simple fiction qui ne résiste pas à l'examen, quelles que soient par ailleurs les déclarations de patriotisme dur et pur des uns et des autres. Si dans le domaine économique la dépendance est visible et n'exige pas une grande expertise pour être remarquée, elle n'en est pas aussi frappante lorsqu'on voit comment l'écriture de notre histoire est exploitée à des fins diplomatiques n'ayant rien à voir avec les déclarations de principe entonnées à des dates cérémonielles. En conclusion La mal-gouvernance , qui a caractérisé le long règne de l'ex-président, démissionné , mais jusqu'à présent non déchu, a abouti à l'ébranlement des fondements même de l'Etat, du fait de la perte par l'élite politique au pouvoir, de tous principes moraux autres que ceux liés à la sauvegarde de ses intérêts personnels, et de l'enracinement de la corruption qui a touché les sphères les plus élevées du pays, comme le prouve la chronique judiciaire actuelle. Jusqu'à présent, et malgré de maintes déclarations des plus hautes autorités du pays affirmant la volonté de rompre avec les pratiques «bouteflikiennes,» il n'y a pas d'indices prouvant que cette rupture a un début d'inscription dans la réalité de la gouvernance. On constate même une tentative de remettre au gout du jour des alliances politiques déconsidérées car leurs anciens animateurs ont eu le sort que tout un chacun connait. Tant que l'on ne constatera pas un engagement clairement exprimé et des décisions destinées à effacer les traces de la dérive «papadoquienne» de Bouteflika, on ne peut qu'être pessimiste quant aux chances de redressement réel du pays. On constate, avec consternation, que les prédateurs milliardaires, dont l'enrichissement s'est fait par la confiscation d'une grande partie de la rente pétrolière, sans création de richesse visible, ou diversification de l'économie, et par l'appauvrissement générale de la majorité des Algériens, continuent à tenir le haut du pavé, et à quelques exceptions prés, jouissent sans limite de leurs biens en Algérie comme à l'étranger, et de leur prestige mal acquis; certains même vont jusqu'à se revêtir du fanion du «particularisme régional,» pour justifier leur prédation. La lutte contre la mal gouvernance est un aspect central de la sécurité tant interne qu'externe; adopter une ligne politique et un programme clair de retour à une gouvernance prenant en compte les intérêts supérieurs du pays n'est pas une option, mais un impératif, car c'est sans ce sursaut, le pays risque de prendre la pente des états faillis du type de Haïti, et ce malgré ses ressources en hydrocarbures. Finalement, sans un redressement interne, toute politique étrangère visant à éviter l'intervention étrangère dans les affaires intérieures de l'Algérie, et à défendre ses intérêts sur la scène internationale, ne peut qu'être vouée à l paralysie. Une bonne diplomatie, instrument d'exécution de la politique étrangère, part, qu'on l'accepte ou pas, d'une situation interne assainie et d'une ligne d'action claire et cohérente dans toutes ses composantes. Le temps des regroupements politiques fictifs donnant l'illusion de la cohésion et de la légitimité est dépassé. On a besoin de clarté et d'un engagement ferme sur une nouvelle voie, plutôt que de la répétition des ruses et manœuvres qui ont perdu toute valeur et toute utilité!