Quant on aborde en France la question algérienne à travers cette profusion de documentaires ou de colloques sur la Mémoire , on le fait de manière scandaleusement lapidaire et on attribue à l'indifférence dont elle fait l'objet l'absence de «Curiosité collective» et de «Demande sociale » selon les termes des Historiens(16). Quant il s'agit de nous autres ce ne sont plus « l'Impératif de Justice et le Devoir de Mémoire » qui sont les seuls catalyseurs de tous ces branle bas de combats mais c'est plutôt et tout bêtement « la Curiosité collective». Hélas on ne peut que créditer ces diagnostics sociologiques car où peut on trouver en Algérie ou ailleurs dans ces pauvres territoires décolonisés une curiosité collective assez sensible , érudite , revancharde et machiavélique comme la leur et susceptible d'induire des phénomènes inédits comme les leurs et qui consistent à malaxer en permanence l'histoire à dessein de refaçonner ,gérer et maîtriser le présent. Il serait utopique de chercher à entrevoir chez nos jeunes une curiosité collective autre que celle de la contemporanéité, une jeunesse qui, pour paraphraser une fois de plus l'Historien Daho Djerbal , entame son présent et échafaude son avenir complètement déracinée de son antériorité. Daho Djerbal ne semble pas si bien dire en parlant de « jeunes sans antériorité ni postérité et contemporains avec eux-mêmes. »(17), car la contemporanéité du jeune algérien se réduit hélas le plus souvent, lorsque ce n'est pas à travers des actes désespérés (émeutes, Hargua et suicides), c'est aussi par le truchement assez bizarre d'exutoires et autres catharsis momentanément fédérateurs et induits par des événements éphémères du type Oum Dorman (Algérie-Egypte). Que ces intellectuels et historiens français s'amusent à nous faire croire qu'une curiosité collective ou une demande sociale réussissent à faire bouger un système (l'Etat), on ne peut que s'en réjouir car c'est le signe que cette démocratie se porte bien. Mais que ces agissements soient induits par des groupes d'influence au sein du système lui-même (Politiciens, Historiens, Intellectuels, Financiers, particuliers…), reconnaissons que dans ce cas de figure cela suscite beaucoup d'appréhensions et d'interrogations. L'Historien Pierre Nora disait que la démarche historique est incompatible avec la tyrannie de la mémoire. Je dirai plutôt qu'elles se nourrissent complaisamment l'une de l'autre, consubstantielles, conflictuelles et belliqueuses l'une à l'égard de l'autre. Et s'il y a tyrannie, elle n'est surement pas le propre de la mémoire, elle émane aussi de l'Histoire elle-même vis-à-vis de ses exigences existentielles. «Les intellectuels ont un problème : ils doivent justifier leur existence.»(18) Cette tyrannie ,de quelque côté qu'elle émane , risque toujours d'injecter des travestissements préjudiciables à la recherche de la vérité historique et de générer des ressentiments et de la méfiance vis-à-vis de ces harcèlements , de ces persécutions mémorielles alimentés par un seul groupe social et qui finissent par vicier la sphère politique , compartimenter la société et créer forcément la discrimination et l'exclusion. Tout le monde leur envie ces exploits, parce qu'ils ont réussi à les enrober d'une forme de légitimité jusqu'a présent incontestée. Il y'a tellement d'Injustices, de barbarie, de génocides et d'aberrations humaines qui sont restées impunis, et puisque les Historiens s'amusent à interroger l'histoire avec ce qu'elle a charrié comme exigences morales et intellectuelles telles que le Devoir de Mémoire, l'Impératif de Justice et toutes ces foutaises, alors demandons-nous , nous aussi , ce qui se serait passé si tout le Monde avait les moyens de se rendre Justice soi-même. Que se serait-il passé si les algériens avaient exécuté les nombreux criminels de guerre Français qui avaient sévi en Algérie. A la lumière des événements tels qu'ils se sont déployés en France où ailleurs, là où ces énergies cérébrales façonnent le monde et finissent par faire de l'histoire, de la construction du présent et de l'anticipation de l'avenir des normes qui apparaissent et apparaitront sauf imprévus comme quelque chose de tout à fait banal, nous devrons peut-être nous hâter à nous poser la question toujours terrifiante et qui est la suivante : Finalement qu'est ce qui fait La Justice, la Morale, la Vérité… ? Sont-elles l'émanation de quelques individus farouchement déterminés qui auraient la faculté de faire pression sur des gouvernements et la Justice au point de donner à l'histoire des tournures qu'elle n'aurait jamais pu prendre sans la pugnacité de ces Juges-prophètes ? « Peut-on sérieusement , sans accréditer la détestable notion de justice sélective , faite pour les autres , se féliciter des poursuites contre Pinochet , appuyer la demande de transfert de Milosevic au Tribunal pénal international , ratifier le Statut de la Cour pénale internationale , et se satisfaire d'une prétendue impuissance à juger Aussaresses ? » (19) Et puisque certains intellectuels et historiens français polémiquent sur les critères qui fondent la notion de « crime contre l'Humanité, crimes de guerre », on leur demanderait donc de jeter un coup d'œil panoramique sur ce qui se passe au niveau de notre instantanéité, notre immédiateté, ils pourront juger l'ampleur de leur crétinisme. On ne peut aussi que s'étonner devant le peu d'intérêt qu'on accorde à l'appréciation juridique (et non pas historique ou philosophique) du Juge Richard Goldstone lorsque celui-ci qualifie les massacres perpétrés par Israël à Gaza en 2009 de « représailles et de punitions collectives qui constituent des crimes de guerre. » (20) Je doute qu'il se trouve encore en France ou ailleurs des esprits niais qui n'ont pas réalisé que nous avons affaire à une justice à géométrie variable.Si les Algériens avaient mobilisé autant de ressources (financières, intellectuelles, politiques…) auraient-ils changé quoi que ce soit ? Je suis dans le regret d'affirmer que nous n'aurions jamais pu et que nous ne pourrons jamais réaliser ce qu'ils ont fait pour une raison très simple , Ils ont toujours agi à l'intérieur des systèmes qu'ils ont voulu assujettir ou apprivoiser en se donnant préalablement tous les moyens nécessaires et imaginables afin de parasiter et neutraliser la moindre réaction hostile à leur projets. Tout ce que nos politiques et notre intelligentzia auraient pu déclencher (si toutefois ils avaient été conditionnés par des déterminants historiques, génétiques, politiques appropriées) aurait été insuffisant dans la mesure où ils n'auraient pu agir que de l'extérieur en gesticulant tel des gamins jouant avec des billes. (A suivre) Références (16) « Demande sociale » et « Curiosité collective », c'étaient les prétextes invoqués par les Historiens Jean-Noel Jeannneney et sa consœur Bénédicte Vergez-Chaignon, invités lors d'un débat sur la chaine parlementaire française suite à la diffusion du dernier documentaire « Une épuration française » en décembre 2010 (17) Journal El-Watan du Vendredi 10 Décembre 2010 « 11 Décembre 1960 Un seul héros, le Peuple » (18) Chomsky, « La fabrique du consentement. » (19)Patrick Baudouin, Président d'honneur de la FIDH, Le Monde du 19 Mai 2001 (20)Le Juge Richard Goldstone a été nommé par le Conseil des Droits de l'Homme à la tête d'une Mission pour enquêter sur les violations du droit international humanitaire commis dans le contexte des opérations militaires menées à Gaza entre le 27 Décembre 2008 et le 18 Janvier 2009.