La France n'a jamais eu autant de soldats engagés sur des théâtres d'opération extérieurs depuis près de 50 ans... depuis la guerre d'Algérie. Jamais depuis la fin de la guerre d'Algérie en 1962, autant de soldats français n'ont été engagés sur des terrains d'opération extérieurs. De l'Afghanistan à la Côte d'Ivoire en passant par le Kosovo, on en compte plus d'une dizaine. Tous ne sont pas de même nature. Dans les Balkans, il s'agit de surveiller une paix installée depuis la fin des années 1990. En Afghanistan, en Libye ou en Côte d'Ivoire, au contraire, les forces françaises sont au feu. En arrivant au pouvoir, Nicolas Sarkozy a donné l'impression qu'il était réservé sur l'intervention internationale en Afghanistan. Il n'a manifesté aucun empressement pour augmenter le contingent français comme le demandait les Américains quand le président Obama a décidé un effort supplémentaire, prélude à un possible désengagement. En revanche le président de la République s'est montré beaucoup plus allant en Libye et en Côte d'Ivoire, jusqu'à prendre l'initiative des opérations contre le colonel Kadhafi. Le virage opéré dans le courant du mois de mars est d'autant plus spectaculaire que la politique française semblait marquée précédemment par l'attentisme. La France avait manifesté une grande patience vis-à-vis de Laurent Gbagbo, même si à la mi-décembre 2010, Nicolas Sarkozy lui avait donné une semaine pour quitter le pouvoir après sa défaite à l'élection présidentielle de novembre. Trois plus tard, l'ex-président n'avait toujours pas abandonné le palais présidentiel d'Abidjan. Comme la plupart des Etats africains qui se montraient fermes dans leurs propos mais hésitaient à passer à l'acte, Paris misait sur les sanctions économiques pour étouffer peu à peu le régime Gbagbo et ouvrir la voie à la présidence d'Alassane Ouattara. La même prudence était de mise face aux révoltes dans le monde arabe. «Ni ingérence, ni indifférence», c'était le mot d'ordre diffusé par Nicolas Sarkozy, encore à la fin du mois de janvier, au cours de sa conférence de presse. La France n'avait semblé nullement pressée de voir partir les autocrates tunisien et égyptien. Ben Ali et Moubarak avaient longtemps été traités comme les garants de la stabilité dans la région. Ils avaient été les piliers de l'Union pour la Méditerranée portée à grands frais sur les fonts baptismaux par Nicolas Sarkozy en 2008. C'était aussi l'époque où le dialogue avec le colonel Kadhafi était toujours recherché. Et c'est justement la contestation du guide libyen par une partie de son propre peuple qui a fait basculer Nicolas Sarkozy de la prudence dans l'interventionnisme. Dès le début mars, les conseillers du président évoquaient des frappes sélectives sur les positions des forces kadhafistes pour desserrer l'étau contre les insurgés de Benghazi. Tout se passait comme si le président de la République avait déjà pris sa décision et n'attendait qu'une occasion pour la mettre en œuvre. Il lui manquait la bénédiction d'une organisation internationale, les Nations unies dans la meilleure des hypothèses. On ne doutait pas à l'Elysée que quelques exactions de l'armée libyenne provoqueraient l'indignation de l'opinion publique internationale et viendraient à bout des réticences russes ou chinoises. A défaut d'une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU, une décision de l'Union européenne, de l'Union africaine ou de la Ligue arabe aurait pu faire l'affaire. Obtenir le feu vert de l'Onu était cependant une priorité. Mais Nicolas Sarkozy était prêt à s'en passer. Dans une conférence de presse, le 11 mars à Bruxelles à l'issue d'un Conseil européen, il avait laissé percer ses intentions en jonglant avec les adjectifs: une résolution de l'Onu était «nécessaire» puis simplement «souhaitable» pour redevenir «nécessaire». En Côte d'Ivoire, le processus a été officiellement inverse. Si pour la Libye, la France a fait pression sur l'Onu pour qu'elle légitime l'intervention, à Abidjan c'est l'Onu qui s'est adressée à la France pour qu'elle se porte en soutien de la force internationale ONUCI. Celle-ci n'avait pas, seule, les moyens ni de neutraliser les armes lourdes du camp Gbagbo qui tiraient sur les populations civiles, ni de déloger le président battu aux élections. Là encore, une résolution du Conseil de sécurité, votée cette fois à l'unanimité, a «couvert» l'opération armée en Côte d'Ivoire. La France ne s'en est pas moins retrouvée au premier rang, avec des arguments de poids: protéger les populations, éviter une guerre civile, faire respecter le verdict des urnes, assurer la sécurité des Français et sauver la crédibilité de l'Onu sur un continent où doivent avoir lieu cette année plusieurs élections. En 1990, François Mitterrand avait justifié la participation à la première guerre du Golfe par la volonté de maintenir le «rang de la France». Nicolas Sarkozy est plus sensible à son «image». Comme le dit le spécialiste de l'Afrique Antoine Glaser dans l'International Herald Tribune, le président de la République saisit «les occasions politiques, diplomatiques et géostratégiques de l'instant». Ce qui donne à sa diplomatie ce caractère impulsif. A charge pour le ministre des affaires étrangères Alain Juppé d'y apporter réflexion et cohérence. Nicolas Sarkozy a trouvé un allié en la personne du premier ministre britannique David Cameron qui a besoin de se tailler une stature internationale. Comme on ne peut pas entreprendre grand chose avec les Allemands dans le domaine militaire, la coopération bilatérale avec la Grande-Bretagne peut apparaitre au mieux comme une condition de l'Europe de la défense, au pire comme un succédané. Reste à savoir si le regain d'activisme militaire de deux pays européens rapproche ou éloigne l'avènement d'une politique européenne commune dans ce domaine. Deux éléments incitent au pessimisme. D'une part, l'interventionnisme divise les Européens plus qu'il ne les rapproche. D'autre part, le malentendu perdure avec les Britanniques. Quand la situation devient sérieuse, ils se tournent vers l'OTAN, pas vers l'Europe.