La fête de l'Aïd Al Adha célébrée le 24 Septembre dernier a été amèrement gâchée et endeuillée par les tragiques évènements survenus lors de la lapidation symbolique de djamarat Al Aqaba à Minen, à l'issue d'une effroyable bousculade qui a provoqué 717 morts et 863blessés, selon les chiffres officiels alors que d'autres sources d'information revoient ce décompte macabre nettement à la hausse. Parmi ces centaines de victimes, on a dénombré 464 Iraniens, 28 Algériens, des dizaines d'Egyptiens et de Turcs, une douzaine de Marocains... En raison de l'ampleur du désastre, l'identification des corps a duré plusieurs jours, une période cauchemardesque pour les familles et les proches des pèlerins et des 49 Algériens disparus notamment. Les informations distillées par les médias séoudiens et les vidéos et les photographies prises et diffusées par des pèlerins sur les lieux – surtout-, suscitent l'horreur, la désolation et l'incompréhension. Des dizaines de cadavres agglutinés et entassés comme s'ils avaient été emportés par une déferlante irrésistible ! Les causes de cette immense et insupportable tragédie, à en croire des témoignages oculaires dignes de foi, sont multiples et révèlent indubitablement une négligence et un laxisme coupables des services de prévention et de sécurité séoudiens : des portes d'accès ont été fermées à la circulation pour permettre le passage du cortège officiel du prince gouverneur de la province de la Mecque, Khaled Ben Fayçal, entravant ainsi le déroulement normal de cette phase du pèlerinage. Personne n'en a le droit, quel que soit son rang. L'accomplissement du pèlerinage et les pratiques religieuses en Islam gomment incontestablement toutes les différences d'ordre social, racial, ethnique, culturel...et bannissent tous les privilèges ! « La vraie valeur d'un homme réside non dans ce qu'il a mais dans ce qu'il est. » (Oscar Wilde) A la suite de quoi, une seule porte donnant sur les voies 204 et 223 fut ouverte alors que le flot de pèlerins ne cessait de grossir et que, dans de telles conditions, leur déferlement prévisible allait provoquer une violente bousculade. Les rares informations diffusées par les chaînes de télévision séoudiennes ravivaient notre angoisse puisqu'elles n'avaient, ce jour- là, aucun rapport avec l'étendue du désastre. Les autorités séoudiennes imputaient alors et inlassablement ce drame aux fortes chaleurs et à la fatigue des pèlerins. Les hadjis encore une fois, ont bon clos ! Et dire que ce même jour, les responsables wahabites organisèrent une réception pour vanter la belle réussite du pèlerinage ! Par ailleurs, la conférence de presse tenue – et télédiffusée- à 18h30m ne porta aucune information digne d'intérêt. Les journalistes présents eurent droit à des réponses évasives des responsables séoudiens de la sécurité qui se contentèrent d'affirmer que les causes de ce drame n'étaient pas encore déterminées. Promesse fut faite de procéder à une enquête transparente. Pourvu qu'elle soit effectivement respectée ! Ne serait- il pas légitime de s'en inquiéter et de poser une question lancinante ? A-t-on retenu les terribles leçons du passé ? Les tragédies à répétition survenues à Minen en1990 (des faits similaires à ceux de 2015 entraînèrent la mort de 1426 pèlerins) ; en1997 (343 pèlerins ont succombé à de graves brûlures et 1500 blessés) ; en 1998 (bousculades à Minen où 118 hadjis ont péri) ; en 2004 (des bousculades toujours à Minen provoquèrent la mort de 251 pèlerins) ; en 2006 (364 morts à Minen et 76 victimes ensevelies sous les décombres d'un hôtel à la Mecque). A cette série noire s'ajoutent les 111 pèlerins tués et 394autres blessés par la chute d'une grue dans l'enceinte du Harem mecquois, quelques jours avant le début du pèlerinage. Une série noire qu'il serait insensé d'imputer à la seule fatalité ! Le caractère répétitif ou cyclique de ces drames des bousculades à Minen et de leurs effroyables conséquences n'est- il pas révélateur de lourdes et inadmissibles défaillances du système de gestion (en général) et de prévention et de sécurité (en particulier) mis en place ? Il convient cependant de préciser que de nombreuses réalisations et d'importants travaux ont été effectués depuis 2006 surtout, pour améliorer les conditions de séjour des hadjis. A Minen notamment, l'ancien pont constitué de deux étages, qui donnait accès aux djamarat Al Aqaba a été remplacé par un autre pont de 950m et de 80mde large, formé de cinq étages et pourvu de douze issues d'entrée, de douze autres de sortie et d'autres issues secours, le tout doté d'un système d'orientation qui devrait permettre la circulation de 300.000 pèlerins par heure. Cette infrastructure est équipée de caméras de surveillance et de contrôle. Des postes de soins médicaux d'urgence seraient en mesure de parer à toute éventualité. Par ailleurs, une aire d'atterrissage pour les hélicoptères devrait faciliter les opérations de secours en cas de nécessité. Les conditions matérielles et techniques semblent donc réunies tant et si bien qu'à l'évidence, seules les défaillances humaines (qui restent à déterminer) qui n'ont pas pu ou su assurer la fluidité de la circulation des hadjis et prévenir tout risque de bousculade seraient incriminées. Il importe également de signaler que de nombreux pays musulmans contribuent effectivement, dans les limites de leurs prérogatives et des accords conclus, au bon déroulement du pèlerinage, en déléguant des missions médicales, des agents de sécurité, des guides spirituels...D'autre part, le quota de pèlerins, fixé par les autorités séoudiennes, a enregistré une baisse drastique cette année, ramenant le nombre total des hadjis à un million neuf cents mille selon les données officielles. Pour toutes ces considérations objectives, on était en droit d'attendre et même d'exiger que le pèlerinage se déroulât enfin dans les meilleures conditions possibles. Or, force est de constater malheureusement que la série noire continue et s'amplifie. C'est fort légitimement que des voix s'élèvent un peu partout pour dénoncer la mauvaise gestion, les défaillances d'ordre organisationnel et sécuritaire relevées à Minen et à la Mecque où les pèlerins ont payé un lourd tribut. Il n'échappe à personne que la sécurité constitue l'une des conditions essentielles qui président à l'organisation et au déroulement du pèlerinage. A ce titre, le prédicateur séoudien, le Docteur Salmane Al Auda réfute catégoriquement l'hypothèse qui imputerait la terrible catastrophe survenue récemment à Minen aux pèlerins eux- mêmes. Il estime que les pèlerins n'en endossent pas la responsabilité et qu'il serait injuste de passer sous silence celle des autorités wahabites. D'aucuns n'hésitent pas à parler d'incompétence humaine et de mauvaise gestion. En tout état de cause, l'efficacité du dispositif de prévention et de sécurité est mise à l'index et jugée à l'aune des résultats obtenus. Les responsables séoudiens continuent, à ce jour, à garder « un silence assourdissant » puisque rien n'a encore filtré des résultats de l'enquête promise. On continue d'espérer que toute la lumière sera faite prochainement à ce sujet, que les responsabilités seront déterminées et que les mesures y afférentes seront effectivement prises. Ce nouveau drame vient se greffer, hélas, à un état des lieux préoccupant et désolant du monde arabe. Au même moment, la grande mosquée d'Al Qods, le troisième Lieu Saint de l'Islam, est impunément violée par les hordes sionistes qui cherchent à imposer leur diktat en bafouant toutes les résolutions internationales et les accords conclus (ceux d'Oslo notamment), des sionistes enhardis par le mutisme lâche et coupable de dirigeants arabes englués dans des conflits fratricides rendus inextricables. Opportunément, les islamophobes et les racistes s'en donnent à cœur joie et s'acharnent à pourfendre et ternir nos valeurs civilisationnelles. La protection de la grande mosquée d'Al Qods ne devrait- elle pas constituer l'une des priorités du monde arabo- musulman et de ses leaders ? Et dire que l'Arabie Séoudite vient d'être élue à la présidence de la commission des droits de l'homme de l'ONU ! N'est- il pas vrai que les puissances de l'argent et les alliances géo- stratégiques autorisent tous les reniements et les contradictions les plus insensées ? Les autorités séoudiennes (dans un élan de générosité) viennent de proposer de prendre en charge les centaines de hadjis blessés à Minen (dix-huit Algériens sont toujours hospitalisés à la Mecque) qui seraient invités à effectuer le pèlerinage l'an prochain. Cette mesure compensatoire pourra- t- elle aider à effacer les profonds traumatismes engendrés ? Pourvu qu'elle ne soit pas une manière d'escamoter le fond du problème ! Ne serait- il pas judicieux d'instituer une sorte d'observatoire qui regrouperait des compétences avérées et représentatives du monde musulman, une sorte de comité chargé d'émettre des propositions concrètes et réalistes dans le but de combler les lacunes enregistrées, d'améliorer la gestion et le suivi du pèlerinage dans les domaines organisationnel, sécuritaire, préventionnel et rituel ? On œuvrerait ainsi, sous la supervision des responsables séoudiens, au-delà des susceptibilités et des clivages idéologiques, dans l'intérêt exclusif bien compris de tous les musulmans. Les pèlerins, hôtes du Clément, (douyouf Arrahmane), ont incontestablement droit à tous les égards et tout devra être entrepris pour que les drames à répétition, survenus à Minen surtout, ne se reproduisent plus jamais. Se référer à ce sujet à mes articles : 1- Le monde arabe, désunion et désillusion. Réflexion du 23/5/2013, p.6. 2- Les pétromonarchies arabes face à l'effet boomerang. Réflexion du 29/10/2014, p5.