Depuis près de vingt années, les filaments des lampes à incandescence des Ababsa, ce douar des Hararta, n'ont pas été excités. Hadj Benaïssa du haut de ses 90 ans n'est pas près de perdre confiance en ceux qui ont lui promis un retour en fanfare au bercail. C'est son second retour après sa seconde évasion des terres de ses aïeux. Il les a quittées durant la guerre de libération pour se réfugier à Zemmora de peur d'être exécuté par les troupes coloniales lors des fameuses « corvées de bois », soit après la fameuse grève de 1957 où les exécutions extrajudiciaires devinrent monnaie courante et au début de la décennie noire, la nuit même où il devait être exécuté. Grâce à l'attachement de cet être exceptionnel à ses racines, tous les siens se sont mis au diapason du retour. Un retour en force. Cet authentique Moudjahid qui n'a jamais rien demandé au retour de ses services rendus s'éclaire encore à la bougie sous le regard pitoyable de poteaux électriques implantés depuis la nuit des temps sans… câbles. Hadj Benaïssa entame une treizième année de sa vie dans son douar face à Sidi Harrat, à attendre ceux qui lui ont fait les promesses d'un retour triomphal. Homme de parole, il croit et espère. Il a confiance. Ballotés entre les bureaux du DMI de la wilaya de Relizane et les services communaux de Zemmora, les plus courageux parmi les siens qui s'aventurent dans les rouages de l'administration le font vivre les nuits ténébreuses de cet hiver glacial dans un optimisme sans commune mesure. Si à la DMI, l'on répond que la lumière est pour « bientôt », aux services communaux l'on croit savoir que l'on est incapable de régler une facture de… dix millions de centimes. Une bagatelle. Des belles paroles, Hadj Benaïssa conçoit une vision lointaine. Il voit même l'éclairage public dans son douar. Chez les Hararta, c'est à dos d'âne que vieillards, femmes et enfants parcourent vers Zemmora plus de quatre kilomètres de route… goudronnée pour une simple injection, un contrôle de glycémie ou quelque vaccin. Et là c'est une autre paire de manches. Ils sont des centaines de familles à prendre leur mal en patience pendant qu'en haut lieu l'on fait miroiter un avenir meilleur à celui qui, à 90 ans n'est pas près de rendre l'âme et croit encore en un avenir meilleur.