Entre Djemila la belle et Djemila la rebelle, il y aura toujours ce point commun. Elles sont toutes deux Algériennes. Mais, il ne s'agit ni de cette Amria que nous croisons dans les rues tous les jours, ni de la célèbre héroïne du nom de Bouhired * qui a vaillamment lutté contre le colonialisme pour recouvrer nos libertés. Celle dont il est question aujourd'hui portait un nom antique de jeune fille de Cuicul ou cuiculla en latin. Nous n'avons pas besoin de vous la situer .Tout le monde connaît son adresse mais tout le monde ne sait pas ce qu'il est advenu de cette Djemila là !Comme longtemps pour Bouhired qui est réapparue tout récemment au bonheur et à la joie de tous ses admirateurs et admiratrices. Accompagné d'un groupe étrangers, nous avons visité le site archéologique de Djemila cette semaine .Elle est toujours si belle,si accueillante mais, de cette beauté sauvage et envoûtante, se détache d'elle une certaine gène et une certaine inquiétude d'où se dégage sans le dire sa mélancolie, sa tristesse qui renseignent de sa profonde meurtrissure qu'elle tend à cacher malencontreusement. On ne peut voiler la misère, comme on ne peut voiler les rides ou les autres usures du temps, celles qui proviennent surtout des hommes sont plus marquantes et plus violentes, comme pour une femme battue. Djemila est un site culturel classé, de rang mondial, c'est-à-dire que c'est devenu un patrimoine commun à l'humanité .Son aspect féerique et magique à de quoi nous retremper dans son histoire deux fois millénaire ou presque .C'est une joie réelle qui nous saisie à chacune des retrouvailles mais grande est notre déception et notre dépit en la quittant. Pourquoi cela, diriez–vous ? Si le musée offre une structure impeccable pour abriter différentes reliques, pièces, outils, outillages et autres objets archéologiques magnifiques, bien conservés, venus du fond des ages, il n'en est pas malheureusement du reste du site qui est presque livré à l'abandon .Hormis la présence discrète et timide d'agents de sécurité dépassés, le site, comme nous l'avons observé, est régulièrement envahi par des hordes de ‘visiteurs' indélicats et d'une faune de vendeurs d'occasions. Les caniveaux historiques et les canaux d'amenées d'eau, en parfaits états ne sont pas curés, comme les herbes folles, les fleurs sauvages et d'autres plantes agressives envahissent tout le permettre des vestiges qui donnait cœur joie aux japonais présents de fixer ces vues de 'première', uniques ; qu'ils n'auront jamais l'occasion d'immortaliser chez eux où ailleurs .Les risques d'incendies de ces broussailles pourraient fragiliser d'avantage nombreux éléments. Le lichen, la mousse et autres champignons fixés sur toutes les surfaces apparentes et non apparentes, offrent ce spectre ou ce spectacle de la désolation. Le « guide » en la circonstance, spécialiste des questions archéologiques, venu spécialement nous accompagner voulait un moment abandonner tant il est vrai que sa souffrance était grande devant son incapacité à modifier quoi que se soit et à ces appels restés sans échos. Tout ceci est, diriez vous, maîtrisable, pour peut que quelques volontés soient misent à contributions et que quelques crédits soient dégagés. Mais, il resterait l'autre grande catastrophe, ou ce grand ‘bal masqué' par nos consciences qui consiste à y réunir tous les ans un festival international de la musique. Puis, a-t-on conscience cette fois du mal provoqué incidemment à ce pauvre site qui commence à trembler des l'annonce des festivités et qui aura à panser longtemps ses blessures après le passage de l'ouragan fait d'une foule en délires et de folies parfois ? L'été approche, les problèmes aussi. Au départ après un début très timide dans les années 80,nous voici aux portes de la 4ème édition du festival de Djemila dans sa version nouvelle,internationale .En fait a-t-on affaire à une fête du patrimoine archéologique ou à une fête internationale de la chanson et de la variété ?D'abord, ce dernier rassemblement ne peut recevoir ce label tant il est vrai qu'il ne concerne curieusement qu'une certaine région ou une seule partie du monde .Par contre obtenir ce brevet de classement comme site universel est un signe de reconnaissance mondial pour ce prestigieux site historique. Cette distinction qui ferait pâlir certains et ravir plus d'un pays, n'a été attribuée que grâce à l'engagement de certaines hautes autorités archéologiques patriotiques et d'une poignée d'éminents spécialistes aidés d'éléments de base qui avaient contribué à l' aboutissement à ce label international de qualité par son inscription sur le site du patrimoine mondial. L'Algérie dispose à ce jour de sept sites classés, autant que l'Egypte avec son immense réservoir, un autre poids lourds en termes de vestiges .Les promotions et les inscriptions futures seraient difficiles à obtenir lorsqu'on sait l'usage fait de ceux que nous avons déjà .Cas de la Casbah d'Alger en peine decreptitude ou de la vallée du M'Zab qui subit les attaques de l'érosion et des faits humains Tout le monde sait que le site de Djemila est classé patrimoine mondial par les instances de l'Unesco. Organiser des festivals, promouvoir la culture, procéder aux échanges…L'initiative en elle-même est louable et généreuse. Réunir les sommités de la chanson, de la danse et de la chorographie relèverait des initiatives à applaudir et à féliciter même. Mais la question centrale, pertinente serait de savoir précisément en quoi répond l' intérêt de cette grandiose manifestation à se produire au cœur même du site historique de la ville antique de Djemila ? Ceux qui ont pris cette décision feront trembler de fureur Caracalla et Septime Sévère et énerveront certainement l'empereur Nerva son fondateur. C'est eux seuls qui ont qualité pour mieux répondre à cette question comme pour les anciens habitants berbères, qui les observeront ébahis par tant d'acharnements. Cependant, a-t-on conscience de la gravité des risques ?les a-t-on mesuré ? A-t-on fait le bilan des dégradations après chaque passage ? C'est autant de questionnement qui restent en sans réponses. Les libertés chèrement acquises par la lutte de cette autre Djemila Bouhired et tant d'autres, morts ou vivants ne nous nous autorisent d'user de ces autres libertés et nous interdisent même de souiller et de contribuer à la dégradation de notre patrimoine dont nous assumerons histoire à la fin des temps, bonne ou mauvaise. Entre cette Djemila la belle et cette autre Djemila la rebelle, il y a ce souffle commun ou cette similitude .Elle est toutes les deux algériennes avons-nous dit. Nous devons donc, nous avons le devoir, pour toutes les deux, de les aimer, de les respecter et surtout de les protéger. Que vive le festival, bienvenue à ses accro, cependant ne continuons pas la bêtise, ne faisons plus peur, ne faisons plus trembler ces « h'djar » car à la vérité, elles ont toute une âme, elles ont des vies aussi. Se sont elles qui transporteront les nôtres comme elles diront notre histoire, nos souvenirs une fois que nous aurons nous même disparu et cessé d'exister. Alors de grâce ne tuez plus cette autre ‘immortalité' et n'étrangler plus l'histoire, vous êtes comptables devant l'humanité entière qui nous a confié la gestion des ces lieux. Entre l'usure du temps et celle des hommes, il y a hélas comme un avenir incertain qui se dessine si rien n'est fait pour la protection de notre patrimoine de tout notre patrimoine y compris celui qui est immatériel. Un appel pourrait être lancé et entendu juste pour externaliser le lieu du festival et que la fête continue. Ah, oui, ne parlons plus de ruines de ceci ou de cela parlons plutôt de vestiges ! Quel serait l'avis du lecteur. *Pour les plus jeunes, Djemila Bouhired est cette grande héroïne de la guerre de libération nationale.