CCIII?me nuit La belle Persane pr?ludait d?j? d?une mani?re qui fit comprendre au calife qu?elle jouait en ma?tre. Elle commen?a ensuite de chanter un air, et elle accompagna sa voix, qu?elle avait admirable, avec le luth; et elle le fit avec tant d?art et de perfection, que le calife en fut charm?. D?s que la belle Persane eut achev? de chanter, le calife descendit de l?escalier et le vizir Giafar le suivit. Quand il fut au bas: ?De ma vie, dit-il au vizir, je n?ai entendu une plus belle voix, ni mieux jouer du luth: Isaac, que je croyais le plus habile joueur qu?il y e?t au monde, n?en approche pas. J?en suis si content, que je veux entrer pour l?entendre jouer devant moi: il s?agit de savoir de quelle mani?re je le ferai. -Commandeur des croyants, reprit le grand vizir, si vous y entrez et que Scheich Ibrahim vous reconnaisse, il en mourra de frayeur. -C?est aussi ce qui me fait de la peine, repartit le calife, et je serais f?ch? d??tre cause de sa mort, apr?s tant de temps qu?il me sert. Il me vient une pens?e qui pourra me r?ussir: demeure ici avec Mesrour, et attendez dans la premi?re all?e que je revienne?. Le voisinage du Tigre avait donn? lieu au calife d?en d?tourner assez d?eau par-dessus une grande vo?te bien terrass?e pour former une belle pi?ce d?eau, o? ce qu?il y avait de plus beau poisson dans le Tigre venait se retirer. Les p?cheurs le savaient bien, et ils eussent fort souhait? d?avoir la libert? d?y p?cher; mais le calife avait d?fendu express?ment ? Scheich Ibrahim de souffrir qu?aucun en approch?t. Cette m?me nuit, n?anmoins, un p?cheur, qui passait devant la porte du jardin depuis que le calife y ?tait entr?, et qui l?avait laiss?e ouverte comme il l?avait trouv?e, avait profit? de l?occasion et s??tait coul? dans le jardin jusqu?? la pi?ce d?eau. Ce p?cheur avait jet? ses filets, et il ?tait pr?s de les tirer, au moment o? le calife, qui, apr?s la n?gligence de Scheich Ibrahim, s??tait dout? de ce qui ?tait arriv? et voulait profiter de cette conjoncture pour son dessein, vint au m?me endroit. Nonobstant son d?guisement, le p?cheur le reconnut et se jeta aussit?t ? ses pieds, en lui demandant pardon et en s?excusant sur sa pauvret?. ?Rel?ve-toi, et ne crains rien, reprit le calife; tire seulement tes filets, que je voie le poisson qu?il y aura?. Le p?cheur, rassur?, ex?cuta promptement ce que le calife souhaitait, et il amena cinq ou six beaux poissons, dont le calife choisit les deux plus gros, qu?il fit attacher ensemble par la t?te, avec un brin d?arbrisseau. Il dit ensuite au p?cheur: ?Donne-moi ton habit et prends le mien?. L??change se fit en peu de moments; et d?s que le calife fut habill? en p?cheur, jusqu?? la chaussure et au turban: ?Prends tes filets, dit-il au p?cheur, et va faire tes affaires?.