CCIII?me nuit (Suite) Quand ils eurent achev?, Noureddin regarda le calife: ?P?cheur, lui dit-il, on ne peut pas manger de meilleur poisson, et tu nous a fait le plus grand plaisir du monde. II mit la main dans son sein en m?me temps, et il en tira sa bourse, o? il y avait trente pi?ces d?or, le reste des quarante que Sangiar, huissier du roi de Balsora, lui avait donn?es avant son d?part. ?Prends, lui dit-il; je t?en donnerais davantage si j?en avais: je t?eusse mis ? l?abri de la pauvret?, si je t?eusse connu avant que j?eusse d?pens? mon patrimoine; ne laisse pas de recevoir ceci d?aussi bon c?ur que si le pr?sent ?tait beaucoup plus consid?rable. Le calife prit la bourse, et en remerciant Noureddin, comme il sentit que c??tait de l?or qui ?tait dedans: ?Seigneur, lui dit-il, je ne puis assez vous remercier de votre lib?ralit?. On est bien heureux d?avoir ? faire ? d?honn?tes gens comme vous; mais, avant de me retirer, j?ai une pri?re ? vous faire, que je vous supplie de m?accorder. Voil? un luth qui me fait conna?tre que madame en sait jouer. Si vous pouviez obtenir d?elle qu?elle me f?t la gr?ce de jouer un air, je m?en retournerais le plus content du monde: c?est un instrument que j?aime passionn?ment. -Belle Persane, dit aussit?t Noureddin, en s?adressant ? elle, je vous demande cette gr?ce; j?esp?re que vous ne me refuserez pas?. Elle prit le luth; et, apr?s l?avoir accord? en peu de moments, elle joua et chanta un air qui enleva le calife. En achevant, elle continua de jouer sans chanter; et elle le fit avec tant de force et d?agr?ment, qu?il fut ravi comme en extase. Quand la belle Persane eut cess? de jouer: ?Ah! s??cria le calife, quelle voix, quelle main et quel jeu! A-t-on jamais mieux chant?, mieux jou? du luth? Jamais on n?a rien vu ni entendu de pareil!? Noureddin, accoutum? ? donner ce qui lui appartenait ? tous ceux qui lui en faisaient les louanges: ?P?cheur, reprit-il, je vois bien que tu t?y connais; puisqu?elle te pla?t si fort, elle est ? toi, je t?en fais pr?sent?. En m?me temps il se leva, prit sa robe, qu?il avait quitt?e, et il voulut partir et laisser le calife, qu?il ne connaissait que pour un p?cheur, en possession de la belle Persane. La belle Persane, extr?mement ?tonn?e de la lib?ralit? de Noureddin, le retint: ?Seigneur, lui dit-elle en le regardant tendrement, o? pr?tendez-vous donc aller? Remettez-vous ? votre place, je vous en supplie, et ?coutez ce que je vais jouer et chanter?. Il fit ce qu?elle souhaitait; et alors, en touchant le luth, et en le regardant les larmes aux yeux, elle chanta des vers qu?elle fit sur-le-champ, et elle lui reprocha vivement le peu d?amour qu?il avait pour elle, puisqu?il l?abandonnait si facilement ? Kerim, et avec tant de duret?; elle voulait dire, sans s?expliquer davantage, ? un p?cheur tel que Kerim, qu?elle ne connaissait pas pour le calife, non plus que lui. En achevant, elle poussa le luth pr?s d?elle et porta son mouchoir au visage, pour cacher ses larmes, qu?elle ne pouvait retenir.