CCXVII?me Nuit (Suite) ?Ganem, reprit la favorite, il n?y a point de temps ? perdre. Si vous m?aimez, prenez vite l?habit d?un de vos esclaves et frottez-vous le visage et les bras de noir de chemin?e. Mettez ensuite quelques-uns de ces plats sur votre t?te; on pourra vous prendre pour le gar?on du traiteur, et on vous laissera passer. Si l?on vous demande o? est le ma?tre de la maison, r?pondez sans h?siter qu?il est au logis. -Ah! madame, dit ? son tour Ganem, moins effray? pour lui que pour Tourmente, vous ne songez qu?? moi. H?las! Qu?allez-vous devenir? -Ne vous en mettez pas en peine, reprit-elle; c?est ? moi d?y songer. A l??gard de ce que vous laissez dans cette maison, j?en aurai soin et j?esp?re qu?un jour tout vous sera fid?lement rendu, quand la col?re du calife sera pass?e; mais ?vitez sa violence. Les ordres qu?il donne dans ses premiers mouvements sont toujours funestes.? L?affliction du jeune marchand ?tait telle qu?il ne savait ? quoi se d?terminer; et il se serait sans doute laiss? surprendre par les soldats du calife, si Tourmente ne l?e?t press? de se d?guiser. Il se rendit ? ses instances il prit un habit d?esclave, se barbouilla de suie; et il ?tait temps, car on frappa ? la porte; et tout ce qu?ils purent faire, ce fut de s?embrasser tendrement. Ils ?taient tous deux si p?n?tr?s de douleur qu?il leur fut impossible de se dire un seul mot. Tels furent leurs adieux. Ganem sortit enfin avec quelques plats sur la t?te. On le prit effectivement pour un gar?on traiteur, et on ne l?arr?ta point. Au contraire, le grand vizir, qui le rencontra le premier, se rangea pour le laisser passer, ?tant fort ?loign? de s?imaginer que ce f?t celui qu?il cherchait. Ceux qui ?talent derri?re le grand vizir lui firent place de m?me et favoris?rent ainsi sa fuite. Il gagna une des portes de la ville en diligence et se sauva. Pendant qu?il se d?robait aux poursuites du grand vizir Giafar, ce ministre entra dans la chambre o? ?tait Tourmente, assise sur un sofa, et o? il y avait une assez grande quantit? de coffres remplis des hardes de Ganem et de l?argent qu?il avait fait de ses marchandises. D?s que Tourmente vit entrer le grand vizir, elle se prosterna la face contre terre; et, demeurant en cet ?tat, comme dispos?e ? recevoir la mort: ?Seigneur, dit-elle, je suis pr?te ? subir l?arr?t que le commandeur des croyants a prononc? contre moi; vous n?avez qu?? me l?annoncer. -Madame, lui r?pondit Giafar, en se prosternant aussi jusqu?? ce qu?elle se f?t relev?e, ? Dieu ne plaise que personne ose mettre sur vous une main profane! Je n?ai pas dessein de vous faire le moindre d?plaisir. Je n?ai point d?autre ordre que de vous supplier de vouloir bien venir au palais avec moi et de vous y conduire avec le marchand qui demeure en cette maison. -Seigneur, reprit la favorite en se levant, partons, je suis pr?te ? vous suivre. Pour ce qui est du jeune marchand ? qui je dois la vie, il n?est point ici. Il y a pr?s d?un mois qu?il est all? ? Damas, o? ses affaires l?ont appel?; et, jusqu?? son retour, il m?a laiss? en garde ces coffres, que vous voyez. Je vous conjure de vouloir bien les faire porter au palais et de donner ordre qu?on les mette en s?ret?, afin que je tienne la promesse que je lui ai faite d?en avoir tout le soin imaginable.