CCXIX?me Nuit (Suite) ?C?est ? moi que vous devez imputer la perte de votre fils, s?il n?est plus au monde; mais, si j?ai fait votre infortune, je puis aussi la soulager. J?ai d?j? justifi? Ganem dans l?esprit du calife. Ce prince a fait publier par tous ses ?tats qu?il pardonnait au fils d?Abou A?bou; et ne doutez pas qu?il ne vous fasse autant de bien qu?il vous a fait de mal. Vous n??tes plus ses ennemis. Il attend Ganem pour le r?compenser du service qu?il m?a rendu, en unissant nos fortunes; il ne donne ? lui pour ?pouse. Ainsi, regardez-moi comme votre fille et permettez-moi que je vous consacre une ?ternelle amiti?.? En disant cela, elle se pencha sur la m?re de Ganem, qui ne put r?pondre ? ce discours, tant il lui causa d??tonnement. Tourmente la tint longtemps embrass?e et ne la quitta que pour courir ? l?autre lit, embrasser Force des c?urs, qui, s??tant lev?e sur son s?ant pour la recevoir, lui tendit les bras. Apr?s que la charmante favorite du calife eut donn? ? la m?re et ? la fille toutes les marques de tendresse qu?elles pouvaient attendre de la femme de Ganem, elle leur dit: ?Cessez de vous affliger l?une et l?autre; les richesses que Ganem avait en cette ville ne sont pas perdues: elles sont du palais du calife, dans mon appartement. Je sais bien que toutes les richesses du monde ne sauraient vous consoler sans Ganem; c?est le jugement que je fais de sa m?re et de sa s?ur, si je dois juger d?elles par moi-m?me. Le sang n?a pas moins de force que l?amour dans les grands c?urs. Mais pourquoi faut-il d?sesp?rer de le revoir? Nous le retrouverons; le bonheur de vous avoir rencontr?es m?en fait concevoir l?esp?rance. Peut-?tre m?me que c?est aujourd?hui le dernier jour de vos peines et le commencement d?un bonheur plus grand que celui dont vous jouissiez ? Damas, dans le temps que vous y poss?diez Ganem. Tourmente allait poursuivre, lorsque le syndic des joailliers arriva: ?Madame, lui dit-il, je viens de voir un objet bien touchant: c?est un jeune homme qu?un chamelier amenait ? l?h?pital de Bagdad. Il ?tait li? avec des cordes sur un chameau, parce qu?il n?avait pas la force de se soutenir. On l?avait d?j? d?li? et on ?tait pr?t ? le porter ? l?h?pital, lorsque j?ai pass? par l?. Je me suis approch? du jeune homme, je l?ai consid?r? avec attention, et il m?a paru que son visage ne m??tait pas tout ? fait inconnu. Je lui ai fait des questions sur sa famille; mais, pour toute r?ponse, je n?en ai tir? que des pleurs et des soupirs. J?en ai eu piti?; et, connaissant, par l?habitude que j?ai de voir des malades, qu?il ?tait dans un pressant besoin d??tre soign?, je n?ai pas voulu qu?on le m?t ? l?h?pital; car je sais trop de quelle mani?re on y gouverne les malades et je connais l?incapacit? des m?decins. Je l?ai fait apporter chez moi par mes esclaves, qui, dans une chambre particuli?re o? je l?ai mis, lui donnent, par mon ordre, de mon propre linge et le servent comme ils me serviraient moi-m?me.? Tourmente tressaillit ? ce discours du joaillier et sentit une ?motion dont elle ne pouvait se rendre raison. ?Menez-moi, dit-elle au syndic, dans la chambre de ce malade; je souhaite de le voir.? Le syndic l?y conduit; et, tandis qu?elle y allait, la m?re de Ganem dit ? Force des c?urs: ?Ah! Ma fille, quelque mis?rable que soit cet ?tranger malade, votre fr?re, s?il est encore en vie, n?est peut-?tre pas dans un ?tat plus heureux!?