Le second front armé engagé en France, sur décision du Comité de coordination et d'exécution (CCE), direction suprême de la Révolution algérienne avant la création du GPRA, était un relais du 1er novembre 1954 en Algérie et portait, pour la première fois dans les annales des guerres révolutionnaires, le combat libérateur sur le sol ennemi. Pour Mohamed Ghafir, un ancien chef zonal à Paris et un des organisateurs de la manifestation pacifique du 17 octobre 1961, le mot d'ordre était d'atteindre des objectifs ciblés, notamment économiques, militaires et policières. "Ce second front a été engagé par la Fédération de France du FLN, le 25 août 1958 à 00h00 pour concerner l'ensemble de la Métropole avec comme premiers objectifs les raffineries, les casernes et les commissariats", a-t-il indiqué, dans un entretien à l'APS. C'est ainsi qu'a été visée, à la même date, la raffinerie de Mourepiane (banlieue marseillaise), considérée, à cette époque, comme la plus importante de France. D'autres dépôts de carburants seront visés à Ales, Port la Nouvelle, Frontignan, Toulouse, Narbonneà etc, au moment où la cartoucherie de Vincennes et l'aérodrome militaire de Villacoublay sont attaqués. Selon Ghafir, dit Moh Clichy, ces actions, parmi tant d'autres, visaient à "transplanter" la lutte armée déclenchée le 1er novembre 1954 en Algérie, sur l'ensemble du territoire de l'ennemi. "Outre l'action armée ciblée, la Fédération FLN de France avait aussi à faire face au MNA, mouvement messaliste, et aux harkis, supplétifs notamment de la police auxiliaire ramenés spécialement d'Algérie pour contenir l'émigration structurée au sein du FLN", a-t-il témoigné. Dans sa plateforme finale, le congrès de la Soummam d'août 1956 avait défini les objectifs assignés à la Fédération FLN de France, à savoir organiser l'émigration algérienne en Europe, soutenir financièrement l'effort de guerre et éclairer l'opinion publique française et étrangère sur la justesse de la cause nationale. Pour l'historienne spécialiste de la Fédération de France du FLN, Linda Amiri, "l'idée du chef révolutionnaire Abane Ramdane de porter la guerre en Métropole avait pour objectif que les forces militaires soient aussi mobilisées en France, d'étendre l'étau depuis la bataille d'Alger et de marquer les esprits en affirmant que le FLN est capable de frapper la Métropole". "C'est une première dans l'histoire des décolonisations. Des objectifs stratégiques étaient visés. Ce ne sont pas des attentats du genre mettre une bombe dans le métro parisien", a-t-elle affirmé, signalant que ces actions militaires avaient "surtout une incidence psychologique". "C'était pour le citoyen Lambda la découverte d'une existence FLN, implanté et suffisamment fort pour faire des attentats. Pour les pouvoirs publics, dont le ministère de l'Intérieur, ça a été une surprise puisque, malgré la surveillance, ils n'ont pas pu anticiper l'ouverture de ce second front", a indiqué l'historienne. Aux yeux de l'auteure de "La bataille de France, la guerre d'Algérie en métropole", ce second front a été par ailleurs un "soulagement" pour les troupes ALN de constater que le FLN aussi est "capable de mener de telles actions". "Il s'agissait d'une victoire plutôt politique que militaire car les résultats étaient moindres. Mais, ça était important et c'est aussi, d'un point de vue de l'affrontement FLN-Police, un virage à 180 degrés avec l'implantation de militaires nationalistes en France", a ajouté la doctorante en histoire. Interrogée sur l'impact de ces actions militaires sur le cheminement de la guerre d'indépendance, elle a estimé que ce second front a renforcé le FLN, lui a donné une envergure internationale plus importante et contribué à montrer que l'immigration est aussi du côté du FLN, nationaliste et indépendantiste. L'historienne a toutefois relevé que la répression policière, notamment, s'est accrue contre les Algériens avec l'ouverture de ce second front et le summum de la barbarie a été atteint lors de la manifestation pacifique réprimée dans le sang du 17 octobre 1961 à Paris. Pour Moh Clichy, cette action pacifique a été la "dernière bataille politique" de la Fédération de France du FLN et constitue, selon lui, "l'aboutissement de l'indépendance totale de l'Algérie" avec la signature des accords d'Evian le 18 mars 1962 et la proclamation du cessez-le-feu le lendemain. Selon l'universitaire Emmanuel Blanchard, l'action armée lancée par le FLN en France avait pour objectifs surtout de "faire apparaître les militants de l'Organisation spéciale (OS) comme des combattants pour la libération de l'Algérie, même si, de fait, l'immigration était en mouvement depuis plus longtemps par d'autres modes d'action (manifestations, cotisations, meetings, affrontements internes MNA-FLN depuis le début de la guerre d'indépendance", a-t-il relevé. "Ayant assis sa position en 1958 sur l'immigration, le FLN pouvait se lancer dans d'autres types d'actions qui ne rencontrent pas forcément l'assentiment du GPRA, et qui font que ce second front va être un front à éclipse très épisodique", a-t-il soutenu. De l'avais de l'auteur de "La police parisienne et les Algériens (1944-1962)", ce front armé "historiquement singulier" a été cependant "critiqué de l'intérieur même du FLN". "Cela risquait de contribuer à présenter les nationalistes algériens comme violents et allait les couper d'une partie de ceux qui auraient pu être leurs soutiens, dont un certain nombre de syndicalistes, de militants politiques français", a-t-il opiné. "Cette stratégie a aussi surtout contribué à élever le niveau de riposte et de violence de la préfecture de police contre le FLN, puisqu'elle a été suivie de très grandes rafles et a conduit à des internements administratifs de plus au moins longue durée", a ajouté l'universitaire. Des bilans officiels français, recoupés par des sources de la Fédération de France du FLN, affirment, qu'entre le 21 août et le 27 septembre 1958, ont été dénombrés 56 sabotages et 242 attaques contre 181 objectifs économiques et militaires. Les opérations auraient fait 82 morts et 188 blessés, côté français. Outre ces actions militaires, Akli Benyounès, membre du Conseil de la nation et président de l'Association des moudjahidine de l'ex-Fédération de France du FLN, a signalé que l'immigration algérienne dans l'Hexagone constituait "la banque de la Révolution", affirmant que la contribution des Algériens de France était de l'ordre du milliard de centimes de francs par mois.